SIDNEI, entrant d'un air égaré ; HAMILTON.
HAMILTON, après l'avoir embrassé en silence. Reprenez ce dépôt qui me glace d'effroi :
Vous me trompiez, cruel!
Que voulez-vous de moi?
Puisque vous savez tout, plaignez un misérable : Ma funeste existence est un poids qui m'accable. Je vous ai déguisé ma triste extrémité : Ce n'est point seulement insensibilité, Dégoût de l'univers à qui le sort me lie; C'est ennui de moi-même, et haine de ma vie, C'est un brûlant desir d'anéantissement.
Je les ai combattus, mais inutilement ;
Cette haine attachée aux restes de mon être
A pris un ascendant dont je ne suis plus maître ; Mon cœur, mes sens flétris, ma funeste raison, Tout me dit d'abréger le temps de ma prison. Faut-il donc sans honneur attendre la vieillesse, Trainant pour tout destin les regrets, la foiblesse, Pour objet éternel l'affreuse vérité,
Et pour tout sentiment l'ennui d'avoir été ?
C'est au stupide, au lâche à plier sous la peine, A ramper, à vieillir sous le poids de sa chaîne; Mais, vous en conviendrez, quand on sait réfléchir, Malheureux sans remede, on doit savoir finir.
Dans quel coupable oubli vous plonge ce délire! Que la raison sur vous reprenne son empire: Un frein sacré s'oppose à votre cruauté ; Vous vous devez d'ailleurs à la société ;
Vous n'êtes point à vous, le temps, les biens, la vie, Rien ne vous appartient, tout est à la patrie;
Les jours de l'honnête homme, au conseil, au combat, Sont le vrai patrimoine et le bien de l'état:
Venez remplir le rang où vous devez paroître ; Votre esprit occupé va prendre un nouvel être; Tout renaîtra pour vous... Mais, hélas ! je vous vois Plongé dans un repos qui me remplit d'effroi : Quoi! sans appréhender l'horreur de ce passage, Vous suivrez de sang-froid dans leur fatal courage Ces héros insensés...
Je suis mal où je suis, et je veux être bien; Voilà tout: je n'ai point l'espoir d'être célebre, Ni l'ardeur d'obtenir quelque éloge funebre,
Et j'ignore pourquoi l'on vante en certains lieux Un procédé tout simple à qui veut être mieux : D'ailleurs que suis-je au monde ? une foible partie Peut bien sans nuire au tout en être désunie: A la société je ne fais aucun tort,
Tout ira comme avant ma naissance et ma mort; Peu de gens, selon moi, sont d'assez d'importance Pour que cet univers remarque leur absence.
Continuez, cruel! calme dans vos fureurs, Faites-vous des raisons de vos propres erreurs : Mais l'amitié du moins n'est-elle point capable De vous rendre la vie encore desirable?
Dans l'état où je suis on pese à l'amitié; Je ne puis desirer que d'en être oublié.
Vous m'offensez, Sidnei, quand votre ame incertaine Peut douter de mon zele à partager sa peine.
Mais cette Rosalie, adorée autrefois,
Sur ce jour qui vous luit n'a-t-elle point des droits? Sont-ce là les conseils que l'amour vous inspire? Que ne la cherchez-vous ? sans doute elle respire, Sans doute vous pourrez la revoir quelque jour.
Ah! ne me parlez point d'un malheureux amour;
Je l'ai trop outragé; méprisable, infidele, Quand je la reverrois, suis-je encor digne d'elle? Et les derniers soupirs d'un cœur anéanti
Sont-ils faits pour l'amour qu'autrefois j'ai senti? Témoin de mes erreurs, vous n'avez pu comprendre Comment j'abandonnai l'amante la plus tendre; Le savois-je moi-même ? égaré, vicieux,
Je ne méritois pas ce bonheur vertueux,
Ce cœur fait pour l'honneur comme pour la tendresse, Que j'aurois respecté jusque dans sa foiblesse : Lui promettant ma main, j'avois fixé son cœur; Je la trompois: enfin, lassé de sa rigueur, Lassé de sa vertu, j'abandonnai ses charmes, J'affligeai l'amour même : indigne de ses larmes, Je promenai par-tout mes aveugles desirs : J'aimai sans estimer; triste au sein des plaisirs, Errant loin de nos bords, j'oubliai Rosalie : Elle avoit disparu pleurant ma perfidie. Hélas! peut-être, ami, j'aurois causé sa mort. Depuis que je suis las du monde et de mon sort, Au moment de finir ma vie et mon supplice, J'ai voulu réparer ma honteuse injustice :
Pour lui donner mes biens, comme vous savez tout, Je l'ai cherchée à Londre, aux environs, par-tout; Mais depuis plus d'un mois les recherches sont vaines.
Du soin de la trouver fiez-vous à mes peines.
Non, quand je le pourrois je ne la verrois plus ; Mes sentiments troublés, tous mes sens confondus,
Tout me sépare d'elle, et mon ame éclipsée,
De ma fin seule, ami, conserve la pensée :
Je ne voulois savoir sa retraite et son sort
Que pour la rendre heureuse au moins après ma mort; Et ne prétendois pas à reporter près d'elle Un cœur déja frappé de l'atteinte mortelle.
Elle oubliera vos torts en voyant vos regrets; L'amour pardonne tout: laissez d'affreux projets, Différez-les du moins, rassurez ma tendresse. Votre ame fut toujours faite pour la sagesse; Vous entendrez sa voix, vous vaincrez vos dégoûts : Je ne veux que du temps; me le promettez-vous ? Mon cher Sidnei, parlez.
Laissez un malheureux qui vous craint et vous aime.
J'ai besoin d'être seul... Je vous promets, ami,
De revenir dans peu vous retrouver ici.
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