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SCENE VI.

SIDNEI, entrant d'un air égaré ; HAMILTON.

HAMILTON, après l'avoir embrassé en silence. Reprenez ce dépôt qui me glace d'effroi :

Vous me trompiez, cruel!

(Il lui rend sa lettre.)

SIDNE I.

Que voulez-vous de moi?

Puisque vous savez tout, plaignez un misérable :
Ma funeste existence est un poids qui m'accable.
Je vous ai déguisé ma triste extrémité :
Ce n'est point seulement insensibilité,
Dégoût de l'univers à qui le sort me lie;
C'est ennui de moi-même, et haine de ma vie,
C'est un brûlant desir d'anéantissement.

Je les ai combattus, mais inutilement ;

Cette haine attachée aux restes de mon être

A pris un ascendant dont je ne suis plus maître ;
Mon cœur,
mes sens flétris, ma funeste raison,
Tout me dit d'abréger le temps de ma prison.
Faut-il donc sans honneur attendre la vieillesse,
Trainant pour tout destin les regrets, la foiblesse,
Pour objet éternel l'affreuse vérité,

Et pour tout sentiment l'ennui d'avoir été ?

C'est au stupide, au lâche à plier sous la peine,
A ramper,
à vieillir sous le poids de sa chaîne;
Mais, vous en conviendrez, quand on sait réfléchir,
Malheureux sans remede, on doit savoir finir.

HAMILTON.

Dans quel coupable oubli vous plonge ce délire!
Que la raison sur vous reprenne son empire:
Un frein sacré s'oppose à votre cruauté ;
Vous vous devez d'ailleurs à la société ;

Vous n'êtes point à vous, le temps, les biens, la vie,
Rien ne vous appartient, tout est à la patrie;

Les jours de l'honnête homme, au conseil, au combat,
Sont le vrai patrimoine et le bien de l'état:

Venez remplir le rang où vous devez paroître ;
Votre esprit occupé va prendre un nouvel être;
Tout renaîtra pour vous... Mais, hélas ! je vous vois
Plongé dans un repos qui me remplit d'effroi :
Quoi! sans appréhender l'horreur de ce passage,
Vous suivrez de sang-froid dans leur fatal courage
Ces héros insensés...

SIDNE I.

Ce courage n'est rien:

Je suis mal où je suis, et je veux être bien;
Voilà tout: je n'ai point l'espoir d'être célebre,
Ni l'ardeur d'obtenir quelque éloge funebre,

Et j'ignore pourquoi l'on vante en certains lieux
Un procédé tout simple à qui veut être mieux :
D'ailleurs que suis-je au monde ? une foible partie
Peut bien sans nuire au tout en être désunie:
A la société je ne fais aucun tort,

Tout ira comme avant ma naissance et ma mort;
Peu de gens, selon moi, sont d'assez d'importance
Pour que cet univers remarque leur absence.

HAMILTON.

Continuez, cruel! calme dans vos fureurs,
Faites-vous des raisons de vos propres erreurs :
Mais l'amitié du moins n'est-elle point capable
De vous rendre la vie encore desirable?

SIDNEI.

Dans l'état où je suis on pese à l'amitié;
Je ne puis desirer que d'en être oublié.

HAMILTON.

Vous m'offensez, Sidnei, quand votre ame incertaine Peut douter de mon zele à partager sa peine.

Mais cette Rosalie, adorée autrefois,

Sur ce jour qui vous luit n'a-t-elle point des droits? Sont-ce là les conseils que l'amour vous inspire? Que ne la cherchez-vous ? sans doute elle respire, Sans doute vous pourrez la revoir quelque jour.

SIDNEI.

Ah! ne me parlez point d'un malheureux amour;

Je l'ai trop outragé; méprisable, infidele,
Quand je la reverrois, suis-je encor digne d'elle?
Et les derniers soupirs d'un cœur anéanti

Sont-ils faits pour l'amour qu'autrefois j'ai senti?
Témoin de mes erreurs, vous n'avez pu comprendre
Comment j'abandonnai l'amante la plus tendre;
Le savois-je moi-même ? égaré, vicieux,

Je ne méritois pas ce bonheur vertueux,

Ce cœur fait pour l'honneur comme pour la tendresse,
Que j'aurois respecté jusque dans sa foiblesse :
Lui promettant ma main, j'avois fixé son cœur;
Je la trompois: enfin, lassé de sa rigueur,
Lassé de sa vertu, j'abandonnai ses charmes,
J'affligeai l'amour même : indigne de ses larmes,
Je promenai par-tout mes aveugles desirs :
J'aimai sans estimer; triste au sein des plaisirs,
Errant loin de nos bords, j'oubliai Rosalie :
Elle avoit disparu pleurant ma perfidie.
Hélas! peut-être, ami, j'aurois causé sa mort.
Depuis que je suis las du monde et de mon sort,
Au moment de finir ma vie et mon supplice,
J'ai voulu réparer ma honteuse injustice :

Pour lui donner mes biens, comme vous savez tout,
Je l'ai cherchée à Londre, aux environs, par-tout;
Mais depuis plus d'un mois les recherches sont vaines.

HAMILTON.

Du soin de la trouver fiez-vous à mes peines.

SIDNEI.

Non, quand je le pourrois je ne la verrois plus ;
Mes sentiments troublés, tous mes sens confondus,

Tout me sépare d'elle, et mon ame éclipsée,

De ma fin seule, ami, conserve la pensée :

Je ne voulois savoir sa retraite et son sort

Que pour la rendre heureuse au moins après ma mort;
Et ne prétendois pas à reporter près d'elle
Un cœur déja frappé de l'atteinte mortelle.

HAMILTON.

Elle oubliera vos torts en voyant vos regrets;
L'amour pardonne tout: laissez d'affreux projets,
Différez-les du moins, rassurez ma tendresse.
Votre ame fut toujours faite pour la sagesse;
Vous entendrez sa voix, vous vaincrez vos dégoûts :
Je ne veux que du temps; me le promettez-vous ?
Mon cher Sidnei, parlez.

SIDNEI.
NEI.

J'ai honte de moi-même.

Laissez un malheureux qui vous craint et vous aime.

(Dumont paroit.)

J'ai besoin d'être seul... Je vous promets, ami,

De revenir dans peu vous retrouver ici.

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