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Ce n'est pas seulement, messieurs, à l'idée générale d'une franchise respectable, d'une probité sans nuages, et d'une conduite sans variations, que je viens rappeler votre souvenir pour peindre tout le mérite de son ame: je n'ai nommé là que les vertus et les devoirs qu'il partageoit avec tous les véritables honnêtes gens, il n'avoit d'amis qu'eux, il ne pouvoit ressembler à d'autres ; mais, pour y joindre des traits plus personnels, un mérite dont il faut lui tenir compte, un avantage qu'il emporte dans le tombeau, c'est de n'avoir jamais déshonoré l'usage de son esprit par aucun abus de la poésie; caractere si rare dans l'art dangereux qu'il cultivoit, et où le talent ne doit pas être plus estimable par les choses mêmes qu'il produit, que par celles qu'il a le courage de se refuser. Instruit dès sa jeunesse et convaincu toute sa vie que la poésie ne doit être que l'interprete de la vérité et de l'honneur, la langue de la sagesse et de l'amitié, et le charme de la société, il ne partagea ni le délire ni l'ignominie de ceux qui la profanent: audessus de cette lâche envie qui est toujours une preuve humiliante d'infériorité; ennemi du genre satirique, dont l'art est si facile et si bas; ennemi de l'obscénité, dont le succès même est si honteux ; inaccessible à cette aveugle licence qui ose attaquer le respect dû aux lois, au trône, à la religion, audace

dont tout le mérite est en même temps si coupable et si digne de mépris; incapable enfin de tout ce que doivent interdire l'esprit sociable, la façon noble de penser, l'ordre, la décence et le devoir, ses écrits porterent toujours l'empreinte de son cœur.

Malgré l'opinion presque générale il n'est pas toujours vrai qu'on se peigne dans ses ouvrages. Il est aisé d'être le panégyriste de l'honneur, l'organe des sentiments vertueux, et l'orateur des mœurs; mais quand on parcourt l'histoire de la poésie, on a quelquefois le regret de trouver les plus belles maximes en contradiction avec la vie de leurs déclamateurs, et l'élévation des préceptes dégradée par la bassesse des exemples: telle a été la malheureuse destinée de quelques écrivains, qui ne prétendoient qu'à la célébríté, et qui n'ont ni connu ni mérité l'estime.

La mémoire de M. Danchet n'a rien à craindre d'un semblable reproche; la candeur, la raison et la noblesse que respirent tous ses ouvrages sont l'histoire de sa vie : heureux en la perdant d'obtenir les regrets sinceres de tous ceux qui l'ont bien connu! heureux d'avoir uni à ses talents tous les titres de l'honnête homme et du sage, et d'avoir toujours mis avant le vain bruit de la renommée le soin de s'immortaliser dans l'estime publique !

C'est votre ouvrage, messieurs, ce sont vos biens

que je viens d'exposer à vos yeux en parlant de son cœur et de ses vertus ; c'est par les principes invariables de cette illustre compagnie qu'il avoit cultivé, enrichi, perfectionné, un naturel si heureux, et surtout l'esprit d'union, de déférence et de société, ce caractere si essentiel à la république littéraire, et dont vous donnerez toujours le modele ; caractere de noblesse et de vérité, de force et de lumiere, qui, ne connoissant ni les honteuses inquiétudes de la jalousie, ni les intrigues de la vanité, ni le tourment de la haine, ni la bassesse de nuire, reçoit et donne avec droiture tous les secours de la confiance, tous les conseils du goût, tous les jugements de l'impartialité; ne voit point un ennemi dans un concurrent; applaudit tout haut aux vrais succès, sans se réserver à les déprimer tout bas; et ne cherche que le bien, le progrès, et l'embellissement des arts. Voilà, messieurs, l'esprit respectable qui vous anime; voilà les lois et l'appui, ainsi que les premiers fondements de l'académie françoise. En ouvrant ses annales, monuments de la vertu ainsi que de la gloire littéraire, on voit avec un sentiment de plaisir qui n'échappe point aux ames généreuses, on voit, dis-je, que l'amitié éclaira la naissance de l'académie. C'est sur une société choisie de sages qui s'aimoient et s'instruisoient réciproquement que

le cardinal de Richelieu, ce vaste et profond génie à qui rien n'échappoit de tous les moyens d'illustrer un empire, conçut le plan de cet établissement si honorable à sa mémoire, et si utile aux lettres et à la France.

A ce spectacle, messieurs, au souvenir de votre origine, frappé de tout l'éclat de ce moment illustre, le premier d'une carriere immortelle, je me plaindrois de l'insuffisance de l'art à rendre en ce jour d'aussi brillantes images, et sur-tout à peindre dignement les traits des deux premiers protecteurs de l'académie, si leur juste éloge ne venoit de vous être tracé en ce moment par un homme né pour parler des hommes d'état, pour leur ressembler, pour leur appartenir par les talents comme par la naissance, et né également pour appartenir aux lettres et aux arts par un goût héréditaire.

Assez d'autres, en rendant hommage à l'académie dans un jour semblable, ont vanté plus heureusement que je ne pourrois faire sa fondation, ses accroissements, ses ouvrages immortels, et ses autres attributs : pour moi, messieurs, l'honneur de vous appartenir me donne quelque droit de vous rendre compte de moi-même, j'avouerai que, toujours indigné des inimitiés basses et des divisions indécentes dont l'em

pire des lettres est quelquefois agité, pénétré de vénération pour les exemples contraires que présente l'académie, j'ai cru ne pouvoir mieux satisfaire au tribut public que je lui dois qu'en m'étendant à faire remarquer et respecter cette heureuse amitié, partie sans doute la plus intéressante de vos fastes, puisqu'elle est l'histoire de la vertu, et que la vertu, dans l'ordre du bonheur public, marche avant les talents.

Cette union qui, en assurant vos progrès, présageoit toute votre gloire, attira plus particulièrement sur vous l'attention du souverain. Louis XIV aux noms sublimes de conquérant et de monarque voulut joindre le titre de votre protecteur. Et qui peut douter que le sentiment généreux de la confiance, et ce concours de forces et de clartés toujours réunies par l'amour de l'intérêt commun, n'aient heureusement contribué aux progrès particuliers de tant de grands hommes qui ont illustré le dernier regne et la nation, et porté à un si haut degré de splendeur l'éloquence et la poésie, ainsi que la pureté, l'énergie, et l'élégance de la langue françoise, devenue par eux la langue de l'Europe? Différents dans leurs genres, mais placés dans la même carriere, rivaux sans division, concurrents dignes de s'estimer, simples et

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