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tous les fondateurs des religions diverses, connoissant le goût naturel de l'homme pour les agréables accords, mirent à profit cette sensibilité; ils donnerent à l'harmonie l'une des premieres places dans le sanctuaire: en donnant des dieux aux nations ils confierent au pouvoir et aux regles du chant l'histoire de ces divinitės, les hymnes, les lois des fêtes, les coutumes des sacrifices, les chants des victoires, des hyménées, des funérailles, persuadés que leur religion placée sur l'autel à côté de la paisible harmonie, s'y maintiendroit plus long-temps que si son autorité étoit seulement gravée sur le marbre ou sur les tables de bronze, et que si elle ne régnoit que par la terreur au milieu des feux et la foudre à la main.

Ici peut-être quelqu'un en secret m'interrompt et me dit: J'avoue l'antiquité de la musique, mais qu'étoit-ce que la musique des anciens? c'étoit sans doute l'enfance de l'art, des chants sans délicatesse, des voix sans goût, des airs sans mouvement, des instruments sans ame, une harmonie sans expression, du bruit sans accords; enfin, poursuit-on, comparer la musique ancienne à celle des derniers âges, c'est comparer le premier crépuscule du matin, l'éclat douteux de l'aurore, au soleil dans sa course. Illu

sion ordinaire du préjugé : les siecles sont rivaux et réciproquement ennemis; le siecle présent croit toujours avoir surpassé ceux qui l'ont précédé, et ne rien laisser à perfectionner à ceux qui doivent le suivre; mais (j'ose le dire sur la foi d'un savant * critique de nos jours, très profond connoisseur de l'antiquité) oui, la musique ne fut peut-être jamais plus réguliere que chez les premiers peuples: alors dans son printemps, telle encore qu'une jeune nyinphe, belle sans fard, vive sans affectation, elle marchoit à la suite de l'aimable nature; depuis ces précieux jours, souvent déchue de l'état parfait, elle est à présent plus occupée à recouvrer ce qu'elle a perdu de beautés qu'à s'en chercher de nouvelles. En effet les premiers enfants de la nature, ses favoris, avoient-ils moins que nous le don de l'invention? les anciens avoient-ils moins de passion pour la belle harmonie? chez eux les musiciens étoient plus illustres; chez eux la musique produisoit de surprenants effets, que la nôtre ne produit plus; par elle on voyoit des séditions appaisées, des combats arrêtés, des tyrans fléchis, des frénétiques calmés, des mourants sauvés du tombeau. Doutera-t-on de ces pro

* Don Calmet.

diges attestés par les auteurs profanes, si on se rappelle ceux qu'attestent les monuments sacrés? Ici des Israélites devenus subitement prophetes du Seigneur au seul son * des instruments, subitement frappés d'une sainte ivresse, subitement instruits de l'histoire de l'avenir; là le premier roi ** d'Israël, du sein des fureurs infernales ramené au calme et rendu à la paix par les accords de la harpe. Tant de faits brillants permettent-ils encore d'ignorer les charmes de l'antique harmonie? Qu'on ne dise point que la musique ancienne étoit trop simple, trop peu variée; déja l'ivoire, l'airain et les bois précieux s'étoient animés sous les doigts légers de l'harmonie : alors même on connoissoit plusieurs instruments inconnus à notre musique; car où sont maintenant les lyres antiques, les hazurs du peuple hébreu, les sistres dorés de Memphis, les kinnors de Tyr, les nables de Sidon ? à peine leurs noms sont-ils venus jusqu'à nous, la mémoire même en a péri; mais il reste toujours vrai que leurs effets tenoient du pro

dige: preuve victorieuse que l'ancienne musique n'étoit point sans force et sans beauté, puisqu'elle n'étoit

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point sans pouvoir; seconde prérogative de l'harmo mie. Sa puissance marquée, seconde preuve de la noblesse de cet art.

Sans que je parle, messieurs, déja cette puissance est assez prouvée : tout l'empire de la nature est l'empire de l'harmonie; tout ce qui respire, tout ce qui est né sensible, subit sa loi. S'il est quelqu'un qui l'ose contester, il est sans entrailles, il est né sans doute dans l'absence des graces, et sous un astre sinistre, au sein des rochers impitoyables, et parmi les animaux farouches. Que dis-je ? les rochers même et les plus farouches animaux sont sensibles à de touchants accords, et tiennent plus de l'humanité que ce cœur inflexible. A la voix de l'harmonie, cette reine aimable de l'air, les êtres les plus insensibles sont animés, les êtres les plus tristes sont égayés, les êtres les plus féroces sont attendris; par-tout où elle passe la nature s'embellit, le ciel se pare, les fleurs s'épanouissent: elle entre dans une solitude vaste, muette et désolée, bientôt par elle tout se réveille, l'affreux silence s'enfuit, tout vit, tout entend, tout prend une voix pour applaudir; sommets des collines, ruisseaux, vallons, antres des bois, tout répond à l'envi; l'air par ses doux frémissements, Fonde par son murmure, les oiseaux par leur ra

mage, les feuillages même par leur agitation harmo nieuse, les zéphyrs en prolongent le plaisir d'échos en échos, de rivages en rivages : Amphion touche la lyre, les montagnes s'animent, les pierres vivent, les marbres respirent, les rochers marchent, des tours s'élevent, une ville vient d'éclore; je vois Thebes.

Sur quel nouveau spectacle mes yeux sont-ils transportés ? ô crime! d'avares nochers vont précipiter dans les eaux un favori de Polymnie: cruels! arrêtez! ah! du moins avant sa chûte qu'il lui soit permis de prendre encore une fois la lyre. Il la touche; à ses accents Amphitrite se calme, les aquilons s'envolent, les monstres des mers s'élevent au-dessus des flots tempérés, et se rassemblent autour du vaisseau barbare: Arion en est précipité; un dauphin le reçoit, le porte au sein des vertes ondes, et le rend aux rives lesbiennes. C'est peu: l'empire de la terre et celui du trident ne suffisent point à la puissante harmonie; elle va porter ses conquêtes hors du monde même, et sur des plages inconnues au dieu du jour. Eurydice n'est plus : tendre époux et toujours amant, le chantre de la Thrace ose quitter les régions de la lumiere; à la lueur du flambeau de l'amour il perce les profonds déserts du chaos; vivant il des

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