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de ce prince religieux avoient-ils rendu les Lévites les premiers musiciens de l'univers; ainsi le publioit la renommée. C'est par là que, pendant les jours de la captivité, les peuples de l'Euphrate invitoient les tristes Hébreux à leur apprendre quelques uns de leurs airs si vantés : mais Israël exilé ne peut chanter loin des champs de Solyme; il ne peut que gémir, ses harpes en silence sont suspendues aux saules du rivage: tel l'oiseau captif néglige son chant, ou, si son gosier s'ouvre quelquefois, ce n'est qu'aux soupirs, sa voix est morte aux délectables accents. Enfin, messieurs, parcourez toutes les pages de la loi antique, par-tout vous rencontrerez, ou des concerts de louanges, ou des cantiques de victoire, ou des chants de funérailles; il semble qu'aucune voix mortelle n'est digne de l'oreille du Seigneur si elle n'est portée au trône de la toute-puissance sur les ailes de l'harmonie, au travers des nuages d'encens. Dans des sacrifices plus parfaits la loi nouvelle a conservé à la musique sa place dans les sanctuaires. Oui, dit l'oracle de l'Afrique, le pasteur et l'ornement d'Hippone: « Je ne puis trop approuver les chants dont reten« tissent nos temples; par ces augustes accords je me « sens vivement ému, pénétré de cette horreur sacrée qu'inspire la demeure de Dieu, frappé d'un respect

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profond, saisi d'une sainte ivresse ; nouveau Paul, je suis dans les cieux, mon esprit est enlevé au«< dessus de lui-même, il s'élance jusqu'au triple trône « du Très-Haut, il se croit admis aux concerts éternels des intelligences suprêmes, et mon cœur embrasé va se perdre dans le sein de la Divinité. »

Dans cette uniformité de suffrages acquis à l'harmonie peut-il être une vénération plus marquée, plus suivie, plus incontestable ? Cette gloire de l'art a toujours rejailli sur ses artistes: souvent les favoris de l'harmonie furent illustrés par les couronnes, par les lauriers, par les pompes triomphantes, par les applaudissements des théâtres, par des statues érigées, par des mausolées, par des inscriptions mémorables, par les honneurs même de l'apothéose, enfin par tous les monuments publics inventés chez les peuples divers pour immortaliser les talents. De là ils sont encore une nation chere et sacrée aux mortels; avantage souvent refusé aux nourrissons des autres sciences. On évite un sophiste, on néglige un géometre, on fuit un critique, on siffle un chimiste, à peine remarque-t-on un grammairien; on aime au contraire, on recherche un éleve de l'harmonie ; il est le citoyen de toutes les contrées, l'homme de toutes les heures, l'égal de tous les hommes de goût et de sentiment; le monde entier est sa patrie. De

là vient encore que le souvenir des musiciens illustres des siecles supérieurs est beaucoup plus aimable et plus précieux à l'esprit et à l'humanité que le souvenir des conquérants les plus renommés, faux héros, tyrans réels : les conquérants étoient nés pour la perte du monde, les musiciens illustres pour son bonheur : avides de funérailles, ont porté les larmes,

les uns,
la discorde,

mort; les autres, toujours bienfaisants, toujours applaudis, ont porté par-tout la paix, la concorde, le plaisir : la terre consternée s'est tue devant ceux-là; par ceux-ci la terre rassurée a retenti de sons pacifiques : les conquérants, couronnés de sanglants lauriers, sont sortis de la vie souvent par une fin précoce, toujours chargés de la haine des peuples indignés, perdus sans être pleurés; les musiciens fameux, couronnés de myrte et de roses, et paisiblement expirés, ont emporté chez les morts les regrets des nations. Oui, le nom d'un tendre Orphée sera toujours plus chèrement gardé au temple de mémoire que le nom d'un fougueux Alexandre.

Telle est la noblesse de la musique, noblesse fondée sur l'antiquité de son origine, illustrée par sa puissance suprême, confirmée par la vénération de tous les temps et de tous les peuples. Mais aux preuves de sa dignité joignons celles de son utilité; louange pour cet art plus délicate encore que la premiere,

SECONDE PARTIE.

QUAND la musique ne seroit qu'un art enjoué, qu'une science riante et de pur agrément, par là même ne seroit-elle pas une science utile, un art même nécessaire? car est-il rien de plus nécessaire à l'homme qu'un plaisir innocent? le plaisir n'est-il pas chaque jour un des besoins de l'humanité ? Mais allons à la conviction par des routes moins détournées. La république doit à l'harmonie de plus solides bienfaits que des plaisirs infructueux. Je sais, messieurs, que j'avance un paradoxe, disons mieux, une vérité peu développée, mais à qui il n'a manqué que l'occasion d'éclore: osons donc l'amener à la lumiere, lui donner ses couleurs, et la revêtir de toutes les preuvès que la réflexion et l'expérience offrent de nous en fournir. Au reste je ne hasarde point un sentiment isolé et sans auteurs quand je soutiens que le mérite de la musique ne se borne point au gracieux, et qu'il s'étend jusqu'à l'utile ; je ne fais que me ranger au sentiment reçu chez la sage antiquité. En effet, si l'importance de cet art n'avoit été dès-lors reconnue, les législateurs de l'Egypte, de la Perse, d'Athenes, les maîtres des nations au

roient-ils fait une loi de l'harmonie? s'ils n'avoient jugé sa durée nécessaire aux destins heureux des empires, l'auroient-ils fait marcher de front avec la religion? l'auroient-ils munie de ce sceau consacré par la main de l'immortalité même ? Lycurgue, en voulant former une république de héros, auroit-il inscrit l'harmonie dans le livre austere des lois de Lacédémone? auroit-on lu cette inscription sur la façade de l'école de Pythagore: Loin d'ici, profanes! que personne ne porte ici ses pas s'ib ignore l'harmonie ; profanes, loin d'ici! Platon en auroit-il admis l'étude dans sa république de sages, ou d'autant de dieux ? Aristote, son disciple, et tant d'autres philosophes, héros du lycée, du portique, du prytanée, du capitole, en auroient-ils recomman-dé l'usage comme d'une science également née pour le bien des mœurs, pour les progrès des vertus, pour l'embellissement des arts, pour l'union des humains, pour la paix du monde ? Voilà les maîtres dont j'apprends l'utilité de l'harmonie : si je m'égare sur les traces de ces guides illustres, il est plus beau d'errer par cette hardiesse généreuse à dévoiler des vérités nouvelles qu'offre un hasard heureux, que de ramper avec ces ames foibles, ces esprits trop sages, ou trop superstitieux, ces génies serviles qui n'osent

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