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LETTRE SUR LA COMÉDIE.

Je suis, avec tous les sentiments d'un profond respect et d'un attachement inviolable,

Monsieur,

Votre très humble et très

A Amiens, le 14 mai 1759.

obéissant serviteur,

GRESSET.

LETTRE DE GRESSET

Vous

A M. *****

A Amiens, le 10 septembre 1774.

ous avez été plus sensible que moi, monsieur, à l'impression peu correcte de ma réponse au dernier discours de réception à l'académie françoise, impression dont mon départ de Paris ne m'avoit point permis de revoir les épreuves. Aux premiers exemplaires qui m'en furent envoyés à Compiegne je me consolai des fautes dont on m'avoit gratifié par l'espérance que ces fautes seroient corrigées par ceux qui voudroient bien me lire : il ne me resta que deux véritables peines; la premiere sur le contre-sens de la page 27, dans ces mots, comme de toute l'Europe, mon manuscrit portoit, connu de toute l'Europe; la seconde, plus grave, étoit l'énorme absurdité de la page 37, déguerpissement, au lieu de dépérissement. J'aurois déja pris ma revanche du défectueux exemplaire qui vous a été envoyé, et vous auriez eu bien plutôt ma véritable

copie, si au moment même de mon retour ici, il y a trois semaines, je n'avois été attaqué d'une maladie dangereuse, dont je ne suis quitte que depuis peu de jours. Outre les corrections que j'ai cru nécessaires, j'ai augmenté la copie ci-jointe de plusieurs détails, que les bornes du temps prescrit m'avoient fait retrancher le jour de la séance publique.

Vous me demandez la petite aventure de cette séance: on vous a écrit, dites-vous, que le style que j'avois employé avoit fait naître quelques murmures dans le cours de ma réponse. Tout ce que je sais, c'est que l'effet du premier moment fut assez singulier: apparemment que les faiseurs et faiseuses d'esprit, qui environnoient l'académie et surchargeoient l'assemblée, attendoient de moi leur petit jargon des grandes maximes, de longues belles phrases, vieilles sans doute, mais refaites à neuf, avec toutes les bombes du ton exalté, ou du moins avec tous les petits bouquets d'artifice, et tous les lampions du style moderne dont ils raffolent.

Sans doute ils furent fort étonnés, et se crurent compromis de ne point s'entendre parler leur langue; il fut assez amusant, même pour moi, de les voir se chercher des yeux, s'interroger de loin d'un air agité, et prendre l'ordre dans les regards les

uns des autres, pour décider si ce que je disois der voit être trouvé bien ou mal, ou peu de chose ou rien. Malgré leur fermentation très sensible, et qui tout en prononçant me faisoit beaucoup plus spectacle que distraction, j'allois tranquillement mon chemin à travers les partis-bleus, et soutenu par l'attention et l'indulgence des gens raisonnables, qui ne font point d'esprit, mais qui en ont de tout fait, je forçai les autres au malheur de m'écouter jusqu'à la fin. En deux mots voici l'histoire toute simple de ma réponse: Je ne m'étois point du tout arrangé ni redressé pour une harangue authentique et seche; je n'avois pas prétendu assurément parler pour parler, ni rajeunir des inutilités harmonieuses, ni régenter notre siecle, comme cela se pratique aujourd'hui tant pour l'instruction publique que pour l'ennui général. Vous le savez, monsieur, le rôle du directeur de l'académie françoise est fort court en pareil cas; et quand il a honnêtement accueilli le récipiendaire au nom de la compagnie, ce qui demande tout au plus vingt lignes à qui veut éviter les fadeurs, s'il veut ensuite éviter aussi tout remplissage fastidieux, il ne lui reste, après sa tâche remplie, qu'à se taire subitement et à clorre la séance, à moins que quelque objet intéressant,

neuf, propre au temps, propre au lieu, ne l'arrête quelques instants, et ne soit digne de l'académie et de l'assemblée qui l'écoute. En conséquence de ce principe, étant persuadé que la place que j'avois l'honneur d'occuper dans le sanctuaire de la langue françoise me donnoit quelque droit de réclamer contre un ridicule néologisme de nos jours, et contre de modernes abus qui tendent à altérer la langue, abus trop peu relevés jusqu'à ce moment, je crus devoir les dénoncer au jugement public, non du ton des harangues, qui n'alloit point du tout là, mais du ton simple de la conversation des honnêtes gens, et des gens de goût. N'ayant point d'autre objet que d'offrir des réflexions justes sur un fond vrai, je n'avois certainement pas eu la moindre prétention d'y faire trouver le mot pour rire; cependant les connoisseurs à gauche ont crié par-tout que j'avois eu ce projet, qu'il étoit fort indécent d'avoir déridé quelquefois l'assistance, et qu'enfin ce n'étoit point là le ton d'un discours académique. A la bonne heure; mais, 1o je n'avois jamais eu l'idée de faire ce qu'ils appellent un discours, entendu à leur façon et portant leur uniforme; 2o quant au genre académique, si dans une assemblée publique de l'académie françoise parler pour la défense de la langue de la nation n'est point remplir une

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