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Wilfrid Regnault, il scrutait sa conscience 'scrupuleuse pour savoir s'il en avait dit assez, s'il n'avait ni oublié ni laissé défigurer la moindre circonstance : et l'on voyait dans chacune de ses paroles la sollicitude d'un ancien ami et l'inquiétudé d'an honnête homme. Celui qui laisse de tels souvenirs, n'est pas un assassin, n'est pas un homme 'odieux.

J'entre dans ces détails, parce que je suis blessé, je l'avoue, de je ne sais quelle affeciation d'impartialité qu'en rencontre souvent et dont l'amour-propre est le principe, et l'injustice la conséquence. Que de fois, en me lonant trop d'une action très-simple, en reconnaissant l'innocence de Regnault, quant au fait particulier, n'a-t-on pas ajouté que d'ailleurs il n'était probablement pas un sujet très-recommandable! Et qu'en savez-vous, vous qui le jugez, et qui, précisément quand il a besoin de l'opinion, prononcez avec négligence des mots qui peuvent la désintéresser de sa cause? Vous ne vous êtes certainement jamais donné la peine de descendre dans les détails de sa vie humble et ignorée, mais vous voulez faire acte de discernement, insiuuer que votre pénétration rapide fait la de la conviction et celle du doute, parce que part doute est une preuve d'esprit ; et pour vous donner ce brevet de sagacité, vous nuisez autant qu'il est en vous à un homme qui ne vous a jamais fait de mal, à un homme qui n'est pas encore sauvé! Ah! si la calomnie vous atteint un jour, vous saurez ce que c'est que cette élégance de scepticisme. L'on insinuera aussi que tout en étant victime de l'injustice, vous avez sans doute eu de votre côté quelques torts, et l'on affaiblira de la sorte dans quelques âmes peu affermies le mouvement qui les porterait à vous défendre ou à

vous secourir.

le

Je termine ici cette lettre, Monsieur. Vous savez mieux qu'un autre tout ce que je ne dis pas. Je ne Tome III, 5. Partie.

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parle point des jurés, bien qu'à cet égard on ait nié un fait positif dont vous et moi nous avons et nous pouvons produire les preuves. Je souhaite toujours que rien ne fasse de ce malheureux procès une affaire de parti. Prouver l'innocence de Regnault est tout ce que je veux sauver sa vie et sa liberté, tout ce que je désire.

J'ai l'honneur d'être, etc.

BENJAMIN CONSTANT.

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Wilfrid-Regnault, fort de son innocence, devait à la société, à sa famille et à lui-même, d'épuiser toutes les voies juridiques avant de recourir à Votre Majesté.

Par une suite de fatalités, son sort a été continuellement livré à des juges, ou imbus de préventions, ou secrètement intéressés à maintenir leur ouvrage ; et lorsqu'il est arrivé devant des magistrats trop élevés pour être atteints par les mêmes influences, il a trouvé leur justice et leur impartialité enchaînées par la rigueur des formes.

D'abord condamné sur des faits étrangers au procès, et sur des pièces non communiquées, il a vu ensuite sa plainte en faux témoignage rejetée par une cause tout-à-fait inverse; celle que ni les pièces ni les faits constitutifs du crime qu'il dénonçait, ne pouvaient être admis comme indices de ce erime.

La Cour de cassation a reconnu tous les vices de cette procédure, et cependant, arrêtée par les bornes de ses attribu tions, elle n'a pas cru pouvoir les réformer.

C'est ainsi que la plus inexplicable de toutes les condamnations a été surprise, et que la plus légitime des plaintes a été étouffée.

Il est donc vrai de dire qu'indépendamment de l'erreur manifeste dont l'infortuné Regnault est victime, il s'est vu privé de la plupart des garanties que lui assurait la loi.

Mais ces garanties, il les retrouve toutes dans la justice da Votre Majesté.

Daignez, Sire, vous faire rendre compte de cette malheureuse affaire dans tous ses détails, et si Votre Majesté y aperçoit une condamnation capitale en contradiction avec toutes les propabilités humaines, et repoussée par une impossibilité physique et morale, qui équivaut à une certitude, alors elle n'aura plus qu'à concilier la justice pleine et entière qu'elle croira sans doute devoir à l'infortuné qui se trouve injustement condamné, avec les lois existantes et l'inviolabilité de toute décision rendue par des jurés.

Sans examiner si le droit d'abolition, qui emportait nonseulement la remise de la peine, mais encore l'anéantissement de toute la procédure, a été conservé à la couronne, nous pouvons affirmer, sans craindre d'être démenti, que le droit de faire grâce lui est conservé dans toute sa plénitude. Or, ce droit emporte nécessairement celui d'ordonner une revision gracieuse, qui concilierait, autant qu'il est possible, les réparations dues à une innocence démontrée, avec le respect dû à la chose jugée.

L'ancien gouvernement en offre un exemple bien remarquable. Un individu avait été condamné comme coupable de vol, et envoyé aux galères. Il s'était élevé ensuite de trèsfortes probabilités de son innocence. Le véritable coupable avait même été signalé à la justice; mais comme il était couvert par la prescription, il ne pouvait être condamné. Le cas de évision prévu par l'article 443 du Code d'instruction criminelle, ne pouvait donc se réaliser. Un rapport fut fait sur cette affaire par le ministre de la justice au Conseil-d'Etat. Ce ministre proposait d'accorder à celui sur l'innocence duquel existaient d'aussi fortes probabilités, une grâce pleine et entière; mais il fut reconnu que cette grâce n'était pas une satisfaction suffisante, et que si, par une lacune de la loi, on ne pouvait accorder à l'innocence une révision rigoureuse ét légale, c'était le cas d'ordonner, par la voie gracieuse, une révision qui se rapprochât, autant que possible, des formes de la loi.

En conséquence, il fut arrêté que toutes les pièces seraient envoyées à la Cour de cassation, qui les examinerait, sections réunies, et qu'elle pourrait révoquer l'arrêt de condamnation par des motifs tirés du fond de l'affaire, et indépendamment de tout vice de forme.

C'est dans les registres mêmes de cette Cour que nous avons puisé ces détails.

Comme on voit, cet acte de justice et de clémence, déterminé par le seul intérêt qu'inspirait un homme injustement condamné, et par le besoin de lui accorder une réparation entière, ne fut provoqué par aucune de ces grandes considérations politiques qui purent, à cette époque, faire déroger aux principes fondamentaux de la législation.

L'exemple d'une atteinte portée par l'ancien gouvernement aux lois ne pourrait sans doute être d'aucune influence pour le gouvernement actuel, qui place toute sa force dans leur observation rigoureuse; inais l'acte que nous implorons de Votre Majeste, n'a rien que de régulier et de légal.

En effet, le souverain peut toujours faire précéder la grâce qu'il accorde de telle ou telle épreuve, ou l'assujétir à telle ou telle forme. Aucune loi ne l'oblige à n'user du beau droit de faire grâce, qu'autant qu'il est provoqué par un travail fait dans tels ou tels bureaux. Ne peut-il pas toujours, soit, s'il veut solenniser davantage la grâce qu'il est dans l'intention d'accorder, soit s'il veut fortifier sa clémence par d'autres garanties que celles qui l'environnent ordinairement, faire précéder sa décision suprême d'une révision?"

On ne peut pas contester à Sa Majesté le droit de motiver les lettres de grâce qu'elle accorde. Or, quelle différence essentielle y aurait-il entre une ordonnance de Sa Majesté portant grace pleine et entière, et motivée sur l'innocence reconnue ou probable de celui à qui elle serait accordée, et une décision de la Cour de cassation, préparée par une révision gracieuse, telle que nous la sollicitons?

Il n'y aurait de différence qu'en ce que cette révision rendrait plus solennelle et plus entière la réparation que le souverain accorderait à l'innocence, en lui donnant pour base un examen rigoureux de l'affaire, et la conscience des magistrats qui offrent le plus de garanties.

Cette révision gracieuse ne serait qu'un mode particulier de grâce; et toutes les fois que le souverain, sans violer les lois existantes, peut donner aux actes de sa clémence et de sa faveur les formes et les garanties de la justice, on ne peut qu'y applaudir et s'en féliciter.

Au reste, si l'infortuné Wilfrid-Regnault et ses vénérables parens, quoique trahis par les formes judiciaires qui les ont plutôt opprimés que protégés, cherchent cependant encore à s'y rattacher, Votre Majesté daignera excuser leurs efforts par le sentiment honorable qui les provoque ; ils ont à conserver l'héritage d'honneur et de bonne réputation qui, depuis bien des générations, récompensent dans leur famille la pratique constante de toutes les vertus privées. C'est surtout l'effet moral de la condamnation qu'ils voudraient détruire; mais ils n'ont jamais' prétendu tracer des règles à la clémence de Votre Majesté, ils s'abandonnent sans réserve aux impressions de sa justice et de son humanité.

Pour Wilfrid-Regnault et sa famille,

·Signé ODILLON-BARROT, Avocat au Conseil du Roi et à la Cour de Cassation.

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