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S III. Situation intérieure.

Notre situation extérieure est donc très satisfaisante. Pour juger notre situation intérieure, une distinction est nécessaire.

Si l'on entend par ce mot l'esprit public d'un peuple, rien n'est, sous ce rapport, à désirer pour nous. Sur toutes les questions politiques, les lumières sont universellement répandues dans la classe qui a des droits à exercer. Notre éducation a été chère; mais elle est faite. Prenez, dans toutes les professions, les citoyens qu'une aisance médiocre met au dessus du besoin, vous trouverez qu'ils entendent tous parfaitement ce qu'il leur faut pour être libres, protégés par les lois et garantis contre l'arbitraire. Ils savent, et c'est l'idée essentielle, base de la liberté, ils savent, dis-je, qu'en fait de liberté tout se tient; qu'il est bon pour eux que d'autres exercent les facultés qu'euxmêmes n'exercent pas; que ce n'est point aux écrivains seuls que la liberté de la presse importe; que ce n'est point dans l'intérêt des avocats seuls que le barreau doit être indépendant; que ce n'est point pour les seuls créanciers de l'état que l'état doit payer ses dettes, ou pour les seuls propriétaires que la propriété doit être respectée. Ils savent qu'un droit ne peut être envahi, sans que tous les autres droits n'en souffrent, comme un citoyen ne peut être traité illégalement, sans que la sécurité de tous ne soit menacée.

Mais si, par la situation intérieure d'un pays, l'on entend la marche des ministrés auxquels le pouvoir est confie, beaucoup de vœux peuvent être formés, sans qu'on nous accuse de trop d'exigence.

L'exagération n'est pas mon habitude; et comme je n'écris que pour être utile, je brave volontiers le reproche de ne pas tout dire, ou de ne pas dire assez. Je ne me jetterai donc point dans des déclamations amères, et pour faire la part de l'impartialité avec scrupule, je commencerai même par des éloges sur le petit nombre de mesures que je me crois permis de louer.

S IV. Lois d'exception abrogées.

Il y a un an, quatre lois d'exception nous régissaient; car je place parmi les lois d'exception, celle qui avait institué les cours prévotales. De ces quatre lois, deux sont abrogées. Les cours prévotales ont cessé d'exister, et les ministres n'ont plus le droit d'arrêter et de détenir des citoyens sans les mettre en jugement. Je ne rechercherai point encore si l'effet de l'abrogation de ces deux lois est complet, si le mode qu'on a conservé pour la composition du jury n'équivaut pas, plus on moins, aux cours prévotales, et si les moyens sans nombre que fournissent les lois ordinaires pour arrêter et pour détenír indéfiniment les hommes soupçonnés, ne remplacent pas efficacement le droit d'arrestation indéfinie que les ministres ont abdiqué. Je me borne au fait, et je reconnais que, sous ce rapport, il y a amélioration : car lors même que, par des détours et des subterfuges, l'on obtiendrait, au nom des lois ordinaires, un résultat pareil à celui que procuraient les lois d'exception, leur abrogation serait toujours un bien. Les détours et les subterfuges, bien que conduisant au même but, seraient encore un hommage à la légalité.

S V. Loi du recrutement.

Il y a un an, notre ancienne et admirable armée était frappée, par des mesures ministérielles, d'une défaveur qui devait affliger et révolter tous les cœurs français. Une loi dont le principe est national, équitable, conforme à la charte, a relevé de cette excommunication politique ces légions de héros, dont tout les pays seraient fiers et que tous nous envient.

Ce n'est pas sans doute que la loi du recrutement soit irréprochable; de nombreux défauts la déparent, et malheureusement, il faut le dire, les ordonnances destinées à régulariser son exécution, loin de remédier à ces défauts, les ont aggravés. Je n'aimerais pas à censurer un ministre qui a donné des preuves ses intentions patriotiques; mais prendra-t-il pour une critique amère, des questions que me dictent la justice et la reconnaissance envers ceux qui ont porté la gloire française aux bornes du monde?

de

Pourquoi, dans l'ordonnance du 20 mai, la réforme annoncée semble-t-elle atteindre précisément les officiers de l'ancienne armée, que des circonstances déplorables ont éloignés de la carrière qu'ils parcouraient avec tant d'éclat, et favoriser des hommes qui ont vécu loin des camps pendant la guerre, guerre, et saisi le casque et l'épée le lendemain de la paix?

Pourquoi, dans l'ordonnance du 2 août, rien n'est-il précisé sur l'importante question du tableau général qui doit comprendre tous les officiers en non activité? Pourquoi n'est-il pas dit quand ce tableau sera fait? quand il sera public? ni même s'il sera publié ? Comment n'a-t-on pas senti que, si l'époque de sa

publication demeure incertaine, cette disposition devient nuisible, au lieu d'être, utile à ceux en faveur desquels elle paraît avoir été prise?

Leur rappel à l'activité n'est-il pas menacé d'un ajournement indéfini?

Que si la liste demeure secrète, quelle garantie aura-t-on que les règles de l'ancienneté ne seront pas violées?

N'est-il pas évident que, durant le temps nécessaire pour dresser et publier cette liste, plusieurs de ces braves atteindront les quinze années de service qui les frappent d'inactivité. Ce délai, dont ils ne seront pas responsables, leur deviendra-t-il fatal? que d'oublis! que d'obscurités! que de lacunes!

Cependant, je le répète, comme parlout où se 'trouve le germe du bien, le bien finit par triompher des imperfections accidentelles, comme toutes les fois qu'on rend hommage à un principe, ce principe amène tôt ou tard avec lui le cortège de ses conséquences, je considère la loi du recrutement comme une conquête. L'édifice n'est pas construit, mais la base est posée.

J'ai dit le bien. Je vais tourner mes regards sur d'antres objets. Ce n'est pas ma faute si nos nrotifs de nous féliciter des pas que nous avons faits, deviennent plus

rares.

S VI. Concordat.

Il y a un an, la liberté de conscience était solennellement proclamée. Rien dans nos lois, rien dans les traités qui décident de nos rapports avec l'étranger, rien dans les actes officiels du gouvernement ne pou

vait jeter des doutes sur cette liberté. Si de fait, dans quelques provinces, elle était ou menacée ou troublée, les atteintes qui lui étaient portées étaient illégales et irrégulières. On pouvait s'en prendre aux fonctionnaires inférieurs qui n'avaient pas bien compris la charte ou qui la faisaient mal exécuter.

Un concordat est survenu pendant la session. Ce concordat, j'aime à le dire, n'a encore été exécuté nulle part. Mais plusieurs mesures préparatoires ont été prises qui semblent annoncer qu'il pourra l'être; chose singulière, car étant l'objet d'un projet de loi présenté aux chambres, l'on ne conçoit guère, à moins de renverser toutes les règles constitutionnelles et de déchirer la charte, qu'il puisse recevoir le moindre commencement d'exécution, avant que les chambres l'aient adopté.

Ce concordat ressuscite un acte du seizième siècle, qui dès lors avait alarmé tous les amis, je ne dirai pas de la tolérance, malheureusement trop peu respectée à cette époque, mais de la dignité royale et des libertés de l'église gallicane. Il contient des clauses vagues, mais menaçantes pour tous les droits que la charte a garantis aux différens cultes professés en France (1). Il accorde à un prince étran

(1) L'article 10 du concordat, qui engage le roi à employer de concert avec le saint-père tous les moyens qui sont en son pouvoir pour faire cesser le plus tôt possible les désordres et les obstacles qui s'opposent au bien de la religion et à l'exécution des lois de l'église, est-il dirigé contre les protestans et autres cominunions non catholiques? On pourrait le craindre ; car certes, dans le sens que le pape doit attacher à ces mots : les désor dres et les obstacles qui s'opposent au bien de la religion et à

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