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avoir porté des fouliers tout troués dans le grand froid: fes pieds étoient enflés & percés de plufieurs trous, & elle n'en difoit rien. On ne pouvoit gagner fur elle qu'elle fe vêtît fuffifamment dans les grandes gelées; la couverture du lit la plus mince & la plus ufée étoit la meilleure pour elle. Elle ne s'afféyoit jamais que lorfque l'ouvrage l'exigeoit, mais alors elle ne s'afféyoit que fur la carne d'une chaife ou fur le petit bord de la stalle. Quand elle étoit au lit, elle ne s'y tenoit que dans une pofture gênante, pour fe priver du plaifir qu'elle auroit eu à fe trop bien délaffer. On l'a vue fouvent pleurer de fon immortification dans les repas, parce qu'elle prenoit pour des péchés la fenfation toute fimple du plaifir naturel & involontaire que le goût trouve dans l'ufage des alimens.

té.

IV.

L'humilité égaloit dans la Sœur Susanne l'amour de la pénitence. Elle fe faifoit un plai- Son humilifir d'être envoyée dans des obédiences dans les tems de l'Office, pour remplacer des Sœurs qui iroient à l'Office; penfant que fes Sœurs honoreroient Dieu mieux, qu'elle par leurs louanges; & que pour elle, terreftre & groffiére comme elle étoit, elle ne méritoit que d'être employée au fervice qu'on tiroit des animaux & des bêtes brutes. Dans les premiers tems qu'on étoit retourné à P. R. des Champs, comme la Communion étoit plus fréquente pour chaque Sœur, à caufe qu'on étoit un petit nombre, & qu'il falloit qu'il y eut toujours quelque communiante à chaque Meffe, la Sœur Sufanne qu'on favoit être bien en état de communier tous les jours, étoit fouvent préférée aux autres pour cette faveur. Or bien loin qu'elle en cût la moindre tentation de

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vanité, voici comment elle raisonnoit : Elle » difoit qu'elle n'étoit pas plus nourrie que » fes Sœurs , pour manger plus fouvent ce pain Celefte; mais que toute la Commu» nauté n'étant qu'un corps, elle en étoit » comme la bouche, & que Jefus Chrift paf>> foit feulement par elle pour fe donner à > toutes les autres; afin qu'elle eût part en> fuite elle-même dans la diftribution à ce que leur charité auroit mérité & comme digéré pour elle, fuivant la petite proporɔɔtion qui lui convenoit. » Lorfqu'il mouroit quelque Sœur, elle fentoit une fecrette joie, regardant cette mort comme la fin de T'exil pour la défunte : & voyant cependant les autres fondre en larmes, elle s'accufoit de dureté & d'infenfibilité de ce qu'elle ne pleuroit point. Elle aimoit extrêmement les humiliations; auffi ne les lui épargnoit-on pas, pour donner lieu à fa vertu de croître & de fe perfectionner. Un jour elle s'avifa d'aller prendre au grenier un vieil habit de Sœur Converfe; & ainfi vêtue elle vint à la chambre de la Mere Angélique, & se mit à genoux devant elle, comme pour demander la grace de demeurer Sour Converfe. Comme elle avoit fait la chofe fans permiffion, la Mere le prit avec elle fur un ton févere, la fit fortir, tint confeil, & lui fignifia qu'elle étoit foumife à l'excommunication de l'Ordre qui emporte la prifon. On l'enferma durant trois feinaines, plus pour le bien de fon corps que pour celui de fon ame: car par ce moyen elle fe trouva bien rétablie, moyennant la ceffation de travail & la bonne nourriture. C'eft ainfi qu'il falloit oppofer rufe à rufe & être auffi induftrieux à lui ménager fa

fanté, qu'elle l'étoit à la ruiner.

Elle ne lifoit jamais d'autres livres que l'Evangile & fa Régle, redoutant de nouvelles lumiéres, à caufe du peu d'ufage qu'elle croyoit avoir fait des premiéres. Si cependant elle trouvoit à terre en balayant quelque chiffon de papier, où il y eût quelque chofe de bon, elle le ramaffoit & demandoit permiffion de le garder, fe faifant ainfi une petite bibliothéque vraiment de pauvre, s'il en fut jamais. Elle tint ferme dans l'affaire du Formulaire; mais fon humilité la porta à demander difpenfe d'opiner dans le Chapitre fur les oppofitions, les appels, les proteftations & autres actes femblables qu'on faifoit de tems en tems; parce qu'elle vouloit ne se mêler de rien.

Sur la fin de 1669. elle fut prise d'une fiévre quarte, dont elle eut dix accès en tout. L'enflure lui furvint aux pieds dès les premiers accès elle ne laifoit : de fe traîner à pas l'Eglife, aux obédiences, aux exhortations. Enfin la veille de fa mort, elle fut frappée de telle maniére qu'elle perdit connoiffance : : ce qui fut caufe qu'on ne put lui adminiftrer que l'Extrême-Onction ; & elle expira le lendemain fix Novembre 1669.

Mort de la

veuve Chazé

Le mois fuivant mourut la Sœur Liée, Madeleine de fainte-Elizabeth Bochart de Sour Liée BoChampigny, veuve de M. de Chazé. Elle chart de étoit fille de M. de Champigny qui a été Champigny Surintendant des Finances & eft mort pre-sa jeuneffe émier Préfident du Parlement de Paris. Elle difiante. apporta en naiffant une ame tournée à la vertu, & dès fa plus tendre jeunefle elle aimoit la piété. Auffi dès la premiére fois qu'elle connut ce que c'étoit que Couvent, & qu'elle

vit des Religieufes, elle conçut à l'inftant le défir de l'être. Elle fe foutint conftamment dans ces bons fentimens au milieu du monde, & dans un voyage qu'elle fit à Venise où M. fon pere l'emmena avec lui dans une Ambaffade qu'il y fit. Elle eut beaucoup à fouffrir de Madame fa Mere qui n'avoit pas comme elle le goût de la piété. S'étant un jour ouverte à elle fur le défir qu'elle avoit d'entrer au Couvent, la mere lui donna un fouflet, lui défendant bien de lui en jamais parler & d'y penfer. Elle ne la laiffoit parler à perfonne qui pût l'entretenir dans fes idées de dévotion; elle l'obligea à fe confefler au même Confeffeur qu'elle; elle alla même jufqu'à refuser à un faint Religieux, oncle de la Demoiselle, de la lui laiffer voir. Elle effayoit auffi de lui faire prendre du goût pour le monde, en lui faifant porter de beaux habits, les ajustemens & les modes de la vanité & en la menant dans des affemblées, à des bals, à des fêtes mondaines. La jeune fille ne fe laiffa point féduire, & ne fe relâcha point dans fon auftére vertu. Elle s'y confirma encore fous la direction d'un Confeffeur à qui elle s'adreffa dans l'absence de fa mere qui avoit fuivi fon mari à Poitiers où il avoit été envoyé par la Cour. Ce Confeffeur la mit dans l'ufage du Cilice & de la difcipline, dans la pratique des Oraifons mentales, dans une fuite d'exercices de piété tout le long du jour.

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M. fon pere en agiffoit avec elle d'une maniére plus douce & plus paternelle. Il auroit même confenti aflez volontiers à la mettre en Religion, ayant déja fa premiére fille mariée à M. Molé. Mais comme il ne pouvoit vaincre la réfiftance de fa femme, il tâchoit de faire

:

agréer à fa fille des partis qui fe préfentoient. La jeune Demoiselle qui avoit déja vingt-deux ans ne put tenir contre plus longtems, & foumit fa volonté à celle de fon pere. Elle fut mariée à M. de Chazé Maître des Requêtes. Ce fut une noce d'une espéce finguliére : la mariée ne fit que pleurer la veille & le jour les larmes qu'elle répandit pendant la Messe même du mariage, penférent faire auffi pleurer un vertueux Ecclefiaftique qui la célébroit ; & ce qui rend la fingularité parfaite, c'est que le marié ne s'en offenfa point. Comme il connoiffoit fa vertu, & qu'il étoit luimême fort homme de bien, il dissimula cette petite foibleffe. Cette trifteffe dura encore pendant plufieurs femaines; mais la vertueufe époufe avoit eu la précaution de déclarer à fon mari, que ce n'étoit nullement lui qui étoit l'objet de fon déplaifir; mais qu'elle n'étoit pas maîtreffe du chagrin qu'elle reffentoit de fe voir engagée dans le mariage, après avoir fouhaité ardemment d'être Religieufe.

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Elle prit cependant fon parti, & penfa à remplir de bon cœur les devoirs de fon état fans fe départir de ceux de la piété chrétienne. Elle fe propofa d'abord d'infpirer à fon mari un grand mépris des biens du monde & du fafte du fiécle; beaucoup d'amour pour les pauvres; l'éloignement des compagnies mondaines. Elle ne prenoit pas le ton de Prédicateur: elle infinuoit adroitement les vérités ; & lorfqu'il arrivoit au mari de parler des bonnes fortunes du fiécie, de dire que tel & tel étoient heureux, elle laiffot tomber la converfation & ne répliquoit que par fon filence. Il entra pleinement dans les vues: il lui permit de vivre comme elle voudroit, d'ê

VI. Sa vie fain te dans le ma

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