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tre vêtue très-fimplement, de mettre telle régle qu'elle jugeroit à propos dans fon domestique ; & fe renfermant lui-même dans les occupations de fa charge, il lui abandonna non feulement la conduite de fon ménage, mais encore le gouvernement de tout fon temporel & le maniement de tous les revenus. Il s'appercévoit bien de fes aumônes qui étoient confidérables, & il ne s'y oppofoit point. Elle vifitoit affidument les hôpitaux, les prifons, les pauvres malades: elle alloit au fecours des pauvres honteux; elle ofa quelquefois même entrer dans certains lieux où elle cherchoit des ames à fauver & à retirer du défordre. Dieu lui a donné la confolation de réuffir plufieurs fois dans ce miniftére de charité: elle en a fait quelques-unes Religieufes;elle en a marié d'autres. Elle faifoit pour cela des quêtes dans les maisons d'amis & de parens, & faifoit à ces filles des dots de cinq cens écus. Elle en a gardé deux chez elle un tems confidérable, en attendant qu'elle pût les établir. Dans un voyage & un féjour qu'elle fut obligée de faire en Dauphiné avec fon mari, elle exerça fon zéle fur cet article, comme à Paris.

L'intérieur de fa maison étoit réglé comme un monaftére. Les femmes avoient leur logement tout près d'elle, enforte que fa chambre fervoit de paffage pour aller dans la leur. Perfonne n'y pouvoit aller qu'elle ne le vît, & les femmes même n'en pouvoient fortir fans être vues. Elle ne les laiffoit aller dehors que très-rarement: elle fouhaitoit qu'elles ne fortiffent jamais feules, mais toujours deux enfemble, autant que cela fe pouvoit. On faifoit le foir la prière en commun. Dans l'aprèsdîné on faifoit une lecture à toute la maison:

M. de Chazé y affiftoit autant que fes affaires lui permettoient : c'étoit lui qui faifoit la lecture; il prioit enfuite fon époufe d'expliquer ce qui venoit d'être lu, & de faire l'inftruction aux domeftiques, parce qu'il lui connoiffoit un grand talent pour parler de Dieu. Elle animoit tout par de grands exemples de piété qu'elle donnoit. Elle prioit beaucoup, approchoit très-fouvent des Sacremens, étoit toujours occupée ou au travail ou aux bonnes œuvres, pratiquoit des jeûnes fréquens ; le Jeudi-faint tous les ans elle lavoit les pieds à tous fes domeftiques, hommes & femmes. Ce qui mettoit le comble à l'édification qu'on refpiroit dans cette maison, c'étoit l'union vraiment cordiale des deux chefs, qui s'étudioient à fe prévenir l'un l'autre en toutes chofes, & le concert charmant de ces deux époux dans le bien, dont l'un étoit livré tout entier au fervice du public, & furtout des pauvres qu'il écoutoit à toute heure, & l'autre toujours en mouvement pour les œuvres de charité & les foins du ménage.

Elle rencontra un jour chez un de fes freres à qui elle rendoit vifite, M. de faint Ciran qui étoit ami de cette maison. L'ayant entendu parler, elle fut dans l'admiration des belles chofes qu'il difoit; de même que lui de fon côté fut touché de ce qu'il apperçut de vertus dans cette Dame par la converfation. La connoiffance fut donc bientôt faite. Madame de Chazé depuis ce tems-là prenoit toujours avis de l'Abbé pour tout ce qu'elle avoit à faire; & elle procura auffi à fon mari l'avantage de connoître ce grand homme & de fe lier avec lui. Ce fut enfuite M. de faint Ciran qui donna à Madame de Chazé la connoiffance de la

Mere Angélique, qui devint dans la fuite la Directrice de la Dame.

J'ai dit que Madame de Chazé fit un voyage en Dauphiné pour fuivre fon mari dans une commiffion de la Cour. Elle y trouva de quoi fatisfaire fa piété & fon ancien goût pour le cloître. Elle fit liaifon à Romans avec les Annonciades de cette ville, & à Valence avec les Urfulines. Elle rencontra dans ce dernier Couvent une fille d'un rare mérite qui étoit la Supérieure, nommée la Mere Angéle de faintJofeph: elle s'édifia beaucoup avec cette fainte Religieufe, de qui elle prit direction pour le tems de fon féjour dans la Province, à la place de la Mere Angélique dont elle étoit éloignée. La Mere Angéle à fon tour prit en grande affection la vertueufe Dame. Depuis le retour de celle-ci à Paris, la liaison a toujours continué par lettres & longtems après, la Mere Angéle écrivit à Madame de Chazé devenue Religieufe de P. R. une lettre fort touchante, pour l'encourager à porter la perfécution qui étoit allumée contre P. R. & la féliciter du bonheur qu'elle avoit de fouffrir. Elle fit auffi rencontre dans cette même ville de Valence de deux perfonnes qui l'édifiérent extrêmement. L'une étoit une bonne fille connue dans le pays fous le nom de Sour Marie, qui ne favoit ni lire ni écrire, & qui difoit de fi belles chofes qu'on les écrivoit fous fa dictée. Ces écrits de piété ont été depuis imprimés avec fa vie. La Dame la vifitoit fouvent, & fe plaifoit à dîner avec elle. Elle y faifoit porter de quoi faire le repas; & elle avoit foin qu'il y eût toujours plus que moins, afin qu'il en reftât davantage à la bonne Sœur, pour le ferrer & Je donner aux pauvres fuivant fa coutume,

Madame de Chazé apporta à P. R. le portrait de cette fainte fille qu'elle avoit fait tirer. L'autre rencontre fut d'un bon villageois, nommé Antoine, qui quoique homme groffier & d'un efprit borné, étoit très-refpectable pour fon éminente fainteté. Elle ne fe laffoit point de converfer avec lui & lui portoit un grand respect. Il arriva pendant le féjour qu'elle fit dans cette Province, que ce bon homme voulut faire aux Urfulines une donation d'une portion de terre qui lui appartenoit. Son défintéreffement fe montra dans cette affaire d'une maniére fort fingulière. Il voulut qu'il fut mis dans le contrat, que les Religieufes le laifferoient cultiver fon champ tant qu'il auroit des forces pour le faire, & que quand il ne le pourroit plus, elles le chafleroient : fa raifon étoit qu'il fe défioit de fa lâcheté, & qu'il falloit par cette claufe le mettre dans la néceffité de travailler plus longtems. On ne put jamais lui faire changer d'idée, quoiqu'on y eut employé Madame de Chazé. Ce qu'elle fit de fon côté, ce fut de faire décharger cette terre de la taille, en la faisant ennoblir par le crédit de M. fon mari.

VII.

Son atten

tion à donner

Madame de Chazé avoit quatre enfans, un garçon & trois filles. Une telle mere ne pouvoit pas manquer de leur donner l'édu- une bonne écation la plus chrétienne. Une grande douceur ducation à les mêlée de gravité tenoit tout dans l'ordre, enfans. Une de fes filles ayant tenté un matin de paroître devant elle avec des frifures, elle fe contenta de lui dire d'aller fe mettre autrement, qu'après cela elle viendroit lui donner le bon jour. Elle mit fon fils au Collège des PP. de l'Oratoire, où il fit toutes les études, même de Théologie. Il faut favoir que fes parens

avoient fait une efpéce de vœu avant fa naiffance, de confacrer à Dieu le premier fruit qui viendroit de leur mariage. Pour les filles, elle les garda auprès d'elle jufqu'à un certain âge, fous les yeux d'une excellente gouvernante que la Providence lui avoit fait rencontrer par un cas fortuit: le voici. La Dame voyant un jour dans l'Eglife une bonne fille qui prioit bien Dieu, s'approcha d'elle & lui propofa de venir demeurer chez elle. Cette fille s'en excufa difant › que quoiqu'elle n'eût pas de bien, elle ne vouloit pas fe mettre en condition, parce qu'elle vouloit être libre de prier Dieu autant qu'elle fouhaitoit, ayant befoin d'ailleurs de fort peu de chofe pour vivre. Cette réponse donna encore plus d'envie à Madame de Chazé de l'avoir; & la Dame lui ayant promis de la laiffer prier Dieu autant qu'elle voudroit, déclarant qu'elle ne lui demandoit que d'avoir l'oeil fur fes petites filles, elle la fuivit : & Madame de Chazé la préfenta à fon mari, en lui difant: » Monfieur, voilà un préfent que le Seigneur nous fait.

Lorfque fes filles eurent un certain âge, elle les donna à la Mere Angélique pour les former hors des dangers du monde. Elle en retint une chez elle, qui étoit imbécille, parce qu'elle étoit bien affurée que le monde ne lui feroit point dangereux. M. de Chazé auroit bien fouhaité la fequeftrer, à caufe de la peine qu'il avoit de voir & de faire voir au monde un perfonnage auffi déplaisant : mais fon époufe lui infpiroit au contraire un certain refpect pour cet enfant, à caufe de la grace de fon baptême qu'aflurément elle n'avoit point perdue. Et le pieux mari cut la défé

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