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des Archers à cheval. L'attroupement des payfans du voifinage qui étoient accourus à ce fpectacle, & de tous les pauvres des environs qui crioient miféricorde, qu'on leur enlevoit leurs meres nourrices, groffiffoit encore aux yeux cette petite armée destinée à enlever vingtdeux filles douces comme des agneaux. J'obferve ici pour l'intégrité de la narration que la plus grande partie de tous ces fufiliers étoit venue dès la veille, qui étoit le jour de faint Simon faint Jude, parce que c'étoit ce jour

que l'expédition devoit fe faire. Mais comme fi le Ciel eût voulu fe déclarer contre les entreprises de l'homme, il fit pendant tout le jour un tems fi affreux & une pluie fi continuelle, qu'il fallût que M. d'Argenfon reftât à Paris & remît l'affaire au lendemain. Comme ces Cavaliers avoient ordre de tenir leur marche fecrette, & de ne point approcher du Couvent, ils furent fort embarraffés pour paffer la nuit. Ils firent comme ils purent; ils fe difperférent de côté & d'autre, les uns à Magny, les autres à Montigny, à Voifins, à Chévreufe, & même à Dampierre. Plufieurs pafférent la nuit dans les bois de P. R. & firent grand feu en attendant le retour du jour. Ce fut-là fans doute ce qui attira tant de monde du voifinage le lendemain matin, & ce qui caufa ces attroupemens de payfans à l'arrivée de M. d'Argenfon.

Le Lieutenant de Police étant donc entré dans la cour, ayant ainfi pofté ses sentinelles,& de plus arrêté tous les domeftiques de la Maifon qu'il rencontroit avec défense de fortir de la place où il les fituoit, alla au tour du Couvent. I demanda la Prieure, la SousPrieure & la Célériere, fans dire fon nom, mais feulement qu'il venoit de la part du Roi.

manquer

On le conduifit au grand parloir, où ces trois Religieufes fe rendirent. La Mere Prieure n'ouvrit d'abord que les volets de la grille, & ne tira point le rideau. M. d'Argenfon s'en plaignit, fe nomma, & dit que venant de la part du Roi, il lui sembloit c'étoit que au respect du à Sa Majefté. La Mere tira auffitôt le rideau, & lui fit fes excufes de ne l'avoir pas fait d'abord, n'ayant point fçu fon nom. M. d'Argenfon fit lire enfuite le commencement de l'Arrêt du Confeil d'Etat dont il étoit porteur. Il étoit daté du 26 Octobre trois jours auparavant. Par cet Arrêt le Roi » ordonnoit aux Religieufes d'ouvrir leur por

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te à M. d'Argenfon, & de lui remettre en » main tous leurs titres & papiers. Il demanda à entrer dans la Maifon pour exécuter fes ordres. La Prieure lui répondit qu'elle alloit lui faire ouvrir la porte; & elle alla au tour le recevoir. Il entra avec les deux Commissaires & le Greffier qui portoit une caffette.

11 fe fit conduire au Chapitre, & ordonna qu'on y fit venir la Communauté. On fonna l'affenblée. Toutes les Religieufes fe rendirent au Chapitre avec leurs grands voiles baiffés. Il les compta plufieurs fois, & fe plaça dans la chaire de l'Abbeffe : les Commiffaires fe mirent à fes côtés. Il dit qu'il ne venoit point revêtu d'aucune puiffance eccléfiaftique, mais feulement de l'autorité du Roi. Il lut à la Communauté ce qu'il avoit lu de l'Arrêt au parloit: il ajouta qu'il déclareroit les volontés du Roi fur le refte, lorsqu'on auroit fatisfait au premier article, qui étoit de livrer les titres, & demanda fi l'on n'avoit Point détourné de papiers. La Pricure dit que non, & que s'il vouloit prendre la peine de

fe tranfporter à l'endroit où ils étoient, elle les lui remettroit. Ce qu'il fit. On le mena donc à l'armoire où étoient les titres il y mit le fcellé avec fon cachet. Il fit emporter trois coffres très-lourds dans le petit chœur qui eft au-deffus du Chapitre, où il appofa auffi le fcellé, & de même au coffre-fort. En l'ouvrant, il demanda à la Mere Prieure fi elle voudroit bien figner fon procès-verbal : Elle lui répondit que s'il vouloit lui en donner copie, elle le figneroit. Il dit qu'il n'avoit pas coutume de donner copie : qu'au refte fa fignature n'étoit point fort néceffaire, & qu'on s'en pafferoit. Elle répondit que cela lui feroit plaifir, qu'elle étoit bien aife de ne rien figner. Il demanda à voir la fœur Euphrafie Robert âgée de 85 ans, paralitique depuis plufieurs années. Elle n'étoit pas encore levée. Il demanda fi elle pouvoit marcher, fi elle mangeoit, & de quoi on la nourriffoit.

Durant cette premiére expédition où il n'y avoit que la Prieure, la Sous-Prieure & la Célériere de préfentes, les Religieufes ayant entendu fonner l'heure de Tierce s'en allérent au chœur pour les dire, fans favoir encore que c'étoit pour la derniere fois qu'elles y chantoient les louanges de Dieu. Comme c'étoit un Mardi, il fe trouva qu'on récitoit à Tierce le Pf. 24. Ad te levavi animam meam,lequel convenoit tout-à-fait à la trifte conjoncture. Il y eut encore ce même jour une autre rencontre plus finguliére; les deux lampes du dortoir Le trouvérent éteintes au fortir des Matines; ce qui n'étoit jamais arrivé dans cette Maifon, où tout le faifoit avec la plus grande 'exactitude. Les Religieufes après Tierce s'en allérent à leurs obédiences ou à leurs cellu

les. A peine y furent-elles arrivées, que M. d'Argenfon retourna au Chapitre, & donna ordre de rappeller la Communauté. Il compta encore les Religieufes, & dit qu'on fit venir les fœurs Converfes. Lorfqu'elles furent toutes affemblées, il dit qu'il avoit fujet de fe louer de la foumiffion avec laquelle on avoit obéi aux ordres du Roi ; » mais que c'étoit » avec douleur qu'il fe trouvoit contraint de » leur déclarer d'autres ordres beaucoup plus » pénibles & plus rigoureux, dont le facrifi»ce leur coûteroit bien davantage, à quoi

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» il falloit néanmoins fe rendre. » En mêmetems il fit lire la fuite de l'Arrêt qui portoit que le Roi pour plufieurs raifons bien confidérées & pour le bien de fon Etat, ordonnoit que toutes les Religieufes de P. R. fe»roient inceffamment féparées les unes des » autres, & difperfées dans des Maisons Re

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ligieufes hors le Diocèfe de Paris. » La Prieure prit la parole, & dit qu'elle étoit furprife que M. le Cardinal étant leur Supérieur les envoyât dans d'autres Diocèfes que le fien. Il répondit qu'il y avoit des raisons pour cela. Elle ajouta qu'elle croyoit que du moins on les auroit mifes deux à deux, étant toutes vieilles & infirmes. Il dit que cela ne feroit pas ainfi pour le préfent ; qu'au reste elles pouvoient fortit fans peine, parce qu'il avoit pouffé le fcrupule jufqu'à aller demander leurs obédiences à M. le Cardinal de Noailles, & qu'il les lui avoit délivrées. Ce dernier trait fouffre quelque difficulté, parce que le Cardinal de Noailles parut après l'enlèvement ignorant de la plupart des chofes qui s'étoient faites. La Mere lui demanda quand ce feroit, & quel tems on leur donneroit pour

XXI.

fe préparer à un tel voyage. Il répondit que ce feroit fans délai. Quelques Religieuses lui représentérent qu'à peine avoient-elles pu monter à leur cellule depuis la Meffe, qu'elles avoient befoin de quelque tems pour prendre ce qui leur étoit néceffaire. Il fe laiffa fléchir jufqu'à leur accorder un demi-quart d'heure, mais il dit qu'il les fuivroit, pour voir fi elles n'emporteroient point de papiers: car les papiers furtout lui tenoient au cœur.

Il ouvrit alors la caffette qu'il avoit apporDistribution tée, d'où il tira la lifte des Villes & des lieux des exils pour d'exil. Il y avoit auffi dans la caffette l'argent chaque Reli- tout compté pour payer le premier quartier gieufe.

de la penfion des Religieufes, & pour faire les dépenfes de la route. Les Lettres de Cachet n'étoient pas remplies du nom des perfonnes. M. d'Argenfon qui avoit la liberté de les remplir comme il le jugeroit à propos, offrit à la Prieure de choisir pour elle & pour les autres les lieux qu'elle croyoit convenir à chacune. Elle dit que dès qu'on les ôtoit de leur Maifon, toutes les autres leur étoient indifférentes. Elle pria feulement d'avoir égard à ne pas envoyer loin les plus âgées & les plus infirmes. M. d'Argenfon lui deftina Blois, & remplit fa Lettre de cachet pour les Urfulines. Il remplit toutes les autres Lettres de concert avec la Mere Prieure, qui lui nommoit les noms des Religieufes, & les Commiffaires les écrivoient en même-tems fur deux ou trois regiftres différens. La diftribution des vingtdeux Profeffes, quinze de Chœur & fept Converfes, fe fit en la maniére fuivante.

La Mere Louise de fainte Anaftafie du Mefnil, Prieure, à Blois chez les Urfulines; & la four Françoise-Agnès de fainte Marguerite

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