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pendant que les Evêques & les Théologiens s'échauffoient pour & contre & d'offrir à Dieu cette humiliation, à laquelle elle ne s'étoit point attendue.

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L'Archevêque de Paris ayant renvoyé chez elles quelques années après les Religieufes de Tard qui étoient à P. R. par une fuite de fon mécontentement de M. de Langres, la Mere Agnès qui étoit à Tard fut rappellée à Paris avec fes compagnes de P. R. Elle rapporta fes préventions contre la Mere Angélique & contre M. de S. Ciran. Mais ayant vu les chofes de près, elle ne tarda point à déposer tous les préjugés, & elle rentra dans un concert parfait avec la M. Angélique. Elle fut établie Prieure en arrivant, & peu de tems après elle fut élue Abbeffe de P. R. en 1636. Elle gouverna durant fix ans jufqu'en 1642. aidée des confeils de la Mere Angélique. Le premier efprit revint peu à peu dans la maison : la nouvelle Abbeffe ramena les perfonnes aliénées aux pratiques primitives de Citeaux & en particulier à la réforme de P. R. Ce fut comme une efpéce de renouvellement de la maifon moyennant la bénédiction que Dieu don

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na à la conduite de M. de S. Ciran, de M. Singlin & de M. d'Alençon, Confeffeurs de la Maison. On peut dire que les chofes furent conduites à une plus grande perfection même, qu'elles n'étoient avant les innovations de M. de Langres.

La Mere Agnès inftruifoit beaucoup au Chapitre & à la Conférence. C'étoit la Régle qui faifoit le fujet de fes inftructions au Chapitre : elle l'expliquoit avec une grande folidité & beaucoup d'onction. Ses paroles étoient toutes de feu, & au fortir de chaque inftruc

B

XIII.

tion toutes les Sœurs fe retiroient avec un fur-
croît de ferveur. La plupart, étoient tellement
touchées qu'elles faifoient en plein Chapitre
des efpéces de confeffions générales, s'accu-
fant de toutes les fautes qu'elles avoient com-
mises depuis qu'elles étoient Religieuses. Elles.
demandoient des pénitences publiques : les
unes prioient qu'on les mit au voile blanc;
les autres, qu'on les tînt aux offices les plus bas
& les plus pénibles de la cuifine; d'autres, qu'on
leur permit de faire des retraites très-févéres.
La Mere Agnès recevoit toutes ces humbles re-
pentences avec charité, mêlant fouvent fes
larmes à celles de fes Sœurs ; mais elle ne
laiffoit pas
de faire des remontrances fortes >
dont l'impreffion fubfiftoit dans l'ame. Elle
rétablit la pratique du filence dans le plus haut
dégré d'exactitude. Elle avoit foin que toutes
les Sœurs fuflent pleinement inftruites de tous
les différens fignes qui avoient été déja établis
pour indiquer toutes chofes fans parler; &
elle ne fouffroit point que les Officiéres même
fe parlaffent autre part que dans un endroit
voifin du Chœur, où elles pouvoient dans
la néceflité fe dire les unes aux autres briève-

ment ce qu'elles avoient dire. Ce filence pro-
fond joint à l'émulation qui regnoit pour la
pénitence, retraçoit dans l'efprit des Sœurs
l'image de ce célébre Monaftére de S. Jean-
Climaque, où le filence n'étoit interrompu
que par les pleurs & les gémiffemens des Pé-

nitens.

Le recuillement étoit peint fur le vifage de Son amour la Mere Agnès. Sa préfence feule animoit pour le pleintout. Il fuffifoit de la voir, pour être comme chant, le tra vail, &c. entraîné au bien. L'Office public furtout devoit en partie à fon exemple la maniére édi

fiante dont il étoit exécuté. Elle n'y manquoit jamais c'étoient fes délices ; & elle y paroiffoit toujours avec une gravité qui étoit dou ble pour ainfi dire de celle qu'elle portoit partout ailleurs. Quoiqu'elle ne fût pas bien forte& bien robufte, elle foutenoit le plaint-chant avec un grand zéle & une régularité parfaite : elle l'avoit fçu dès l'âge de neuf ans. Sa voix lui ayant prefque manqué fur la fin de fa vie, elle faifoit des efforts pour reprendre ce chant qui lui étoit ficher: on fut obligé de le lui inter dire, & elle s'y foumit avec fimplicité. La lon→ gue habitude cependant l'emportoit quelquefois fans qu'elle y penfat, & elle fe retrouvoit chantant.

Elle donnoit auffi l'exemple aux Sœurs pour l'amour du travail. Tant qu'elle a eu des forces, les travaux les plus rudes ne lui coûtoient rien; lorfque les infirmités & l'âge eurent affoibli fon corps, elle ne pou-* voit être un moment fans quelque petit travail des mains, lors même qu'elle parloit aux Sœurs. Ce qui rendoit aimable fa gravité & ce férieux qui lui étoit naturel, c'eft le tempérament qu'y apportoit une charité vraiment tendre pour toutes celles qui avoient de la peine, & furtout pour les infirmes. Elle ne fe laffoit point de vifiter les infirmeries ; elle y revenoit fans ceffe, & y retenoit toutes celles qui y étoient, autant de tems qu'il falloit pour se rétablir parfaitement. Mais autant elle étoit compatisfante pour les autres, autant elle étoit dure pour elle-même, furtout par l'endroit des privations. Son renoncement à toute fatisfaction étoit fi parfait, qu'il fembloit être comme paffé chez elle en nature. Sa force d'efprit se montra furtout à la mort de fa mere, Madame

XIV.

Ses vertus & fes écrits.

Arnauld, devenue la Sœur Catherine de fainteFélicité. On étoit à Matines lorfque cette vertueuse Religieufe étoit à Fagonie. Sa fin approchant, on vint chercher au chœur la Mere Agnès pour aller recevoir fes derniers foupirs. Elle les reçut, & revint à l'Eglife achever Matines, fans qu'on pût appercevoir à l'air de fon vifage que fa mere étoit morte. Elle fut, cependant obligée eafin de céder aux fentimens de la nature: car lorfqu'elle récitoit le Pater tout haut à la fin de l'Office, à ces mots fiat voluntas tua, elle ne put retenir les larmes.

&

Toutes les vertus différentes, mélangées & réunies enfemble, formoient un tout, qui faifoit comme une vertu unique qu'on peut appeller une égalité d'ame qui ne fe démentoit jamais. C'est par ce caractére qu'elle différoit. de fa Soeur la Mere Angélique, à qui elle reffembloit parfaitement pour tout le reste. Les Religieufes dans leurs Relations remarquent que la Mere Angélique avoit une belle vivacité qui renverfoit tout en un moment relevoit tout à l'instant suivant ; & que la Mere Agnès toujours tranquille favoit être ferme & douce à la fois, recueillie & agiffante. Cette grande égalité ne parut jamais mieux qu'en. 1649. dans la premiére guerre de Paris, lorfqu'on fut obligé de tranfporter dans l'intérieur de la ville une grande portion de la Communauté. Nous avons vu dans le tems avec quelle préfence d'efprit & quelle tranquillité elle conduifit tout ce déplacement, pourvoyant de telle forte aux befoins des Sours pour le tem-, porel, que le fpirituel bien loin d'en fouffrir parût même y gagner. On peut relire le recit que j'en ai fait au long en fon lieu.

Sa Sour Angélique étant morte en 166г..

lorfque le grand orage commençoit à fondre fur la Maifon, elle fe trouva feule chargée de conduire la barque. Nous avons vu dans l'Hiftoire de ce tems-là avec quelle fageffe elle parloit aux Magiftrats qui venoient faire. des expéditions très-difgracieufes ; avec quelle fermeté refpectueufe elle répondoit aux Supérieurs Eccléfiaftiques; avec quelle lumiére ellefuggéroit à fes Sœurs des règles de conduite pour tous les cas où on pouvoit fe rencontrer 5 avec quelle difcrétion & quelle fupériorité de génie elle dirigeoit toutes les opérations & donnoit confeil aux Sœurs dans les conjonctures diverfes. Le récit que j'ai fait ailleurs de fa Captivité chez les Filles de fainte Marie, renferme mille beaux traits de la conftance de cette vénérable Mere au milieu des épreuves accumulées l'une fur l'autre, foit de la part de la Providence & des événemens, foit de la part de fes Supérieurs & des Couvens où elle étoit prisonniére, foit de la part de deux niéces qu'elle vit tomber devant elle, foit de la part de fa propre Communauté à qui elle devint fufpecte. Enfin nous avons vu après la réunion de toutes les Sœurs à P. R. des Champs comment elle s'humilia devant toute fa Communauté, & lui demanda pardon de la peine qu'elle avoit pu lui caufer, par une faute qui étoit plutôt de méprife que d'affoibliffement... Elle ne furvécut que deux ans à la Paix qui fut heureusement rendue à l'Eglife & au Monaftére en 1669. Elle mourut d'une fluxion de poitrine en 1671. au mois de Février. Il paroît que les Médecins firent une faute, qui peutêtre fut la cause de fa mort, ou qui l'avança du moins. Comme on avoit fouvent éprouvé que les petits grains d'opium l'avoient foula

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