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fujet. Comme elle le prit mal, ils fe brouillérent, & la mefintelligence éclata. Le Duc d'Anguien prit le parti d'écrire ce qui fe paffoit à fon beau-frere le Duc de Longueville, alors réfident à Munfter pour les négociations de la Paix, & lui confeilla d'envoyer fa femmedans quelque place de fon gouvernement de Normandie, s'il n'aimoit mieux l'appeller auprès de lui à Munster.

Le Duc prit ce dernier parti, comme plus conforme à l'efprit de modération qui faifoit fon caractére. Il écrivit donc à la Duchefle pour la prier de venir prendre quelque divertiffement dans le pays. La Ducheffe voulut bien facrifier à la bienféance & au devoir les plaifirs qu'elle goûtoit en France. Ainfi ellepartit. Son illuftre époux qui vouloit lui faire trouver tout l'agrément poffible dans cette. tranfmigration, avoit pourvu à tout. Il avoit invité les Gouverneurs des places qui fe trouvoient fur la route à lui faire une réception. honorable. Il avoit demandé la même grace aux Gouverneurs des places Efpagnoles & Hol-. landoifes. Tout fut exécuté felon fes fouhaits. Les garnifons des places venoient deux ou trois lieues au devant d'elle: le canon tiroit à fon arrivée: on lui apportoit les clefs des Villes, comme on auroit fait à une Souveraine. Lorfqu'elle fut embarquée fur la Meuse, une escorte ou de cavalerie ou d'infanterie marchoit fur les bords de la riviere, faifant de fréquentes falves de Moufqueterie. Son en-. trée à Munfter fut d'une magnificence fans égale. Elle avoit une fuite de Pages, de Valets-de-pieds, d'Ecuyers, de Gentilshommes richement vêtus; & une multitude innombrable de caroffes brillans fermoit la mar

che. Le lendemain de fon arrivée, tous Mef-
Geurs les Plénipotentiaires vinrent lui rendre
leurs refpects, le Nonce du Pape comme les
autres. On fut charmé des manières gracieuses
de cette Princeffe tant qu'elle réfida à Mun-
fter, & étonné en même tems de la capacité
d'une auffi jeune perfonne pour traiter les affai-
res les plus difficiles. Cependant elle ne put pas
tenir entiérement caché l'ennui qui ne la quit-
toit point. M. le Duc en agit avec elle d'une
maniére bien digne de fa fageffe & de fon bon
cœur. Il lui propofa de faire quelque voyage,
d'aller voir par exemple les beaux pays
de la
Hollande. Elle le fit & y reçut comme partout
de grands honneurs. De retour auprès de M.
fon mari, elle penfa à revenir en France,
parce qu'elle étoit groffe, & qu'elle ne vou-
loit point du tout faire fes couches à Mun-
fter.

que

Quand elle fut à Paris, elle retrouva fes anciens amusemens, tant de la Cour de l'Hôtel de Rambouillet. Sa réputation en fait d'efprit s'étoit accrue pendant fon abfence, fur les récits qu'on faifoit de ce qui fe paffoir à Munfter. Elle étoit donc extrêmement flattée par la Cour que lui faifoient les plus beaux génies de ce tems-là. Mais un autre théatre s'ouvrit à fon efprit haut & entreprenant, par les brouilleries & la confufion où étoit alors l'intérieur de l'Etat. Un petit trait en paffant fera connoître quelle étoit la hauteur de fon caractere. Comme fon mari n'approuvoit pas toutes fes démarches inquiétes elle lui fit dire un jour que s'il s'avifoit de trouver à redire à fa conduite, elle fauroit bien le rendre le plus malheureux de tous les hommes, On fait qu'en 1648. il fe forma deux partis

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XXV. Elle fouleve les Princes

contre la Cour

& engage la guerre civile.

dans le Royaume, celui des Mazarins & celui des Frondeurs. Le premier étoit ainfi appellé, parce que c'étoient ceux qui prenoient les intérêts de la Cour gouvernée par le Cardinal Mazarin le fecond étoit celui du Parlement & du peuple qui contrecarroit, & frondoit, comme l'on dit, le gouvernement de ce Miniftre. Les Princes & les grands Seigneurs fe partagérent entre ces deux partis. Le Prince de Marfillac entra dans le fecond, & y engagea la Ducheffe de Longueville, dont il étoit grand ami, comme nous avons vu : elle à fon tour y engagea le Prince de Conti fon jeune frere. Pour donner aux Parifiens toute confiance, le Cardinal de Retz, qui étoit l'ame de la Fronde, amena la Ducheffe à l'Hôtel de Ville pour y établir fa demeure. Comme elle étoit enceinte quand elle y entra, elle y accoucha d'un fils qui fut tenu par le Prévôt des Marchands au nom de la Ville de Paris, & nommé pour cela Charles Paris. Ce fut une fête bien riante ; & ce n'étoit que la fuite de toutes celles qu'on faifoit à la Ducheffe. Car tout ce qu'il y avoit à Paris de perfonnes diftinguées, foit grands Seigneurs, foit gens de Robe, fe raffembloient affidument auprès de cette Princeffe, & lui formoient une magnifique Cour. Les Confeils même fe tenoient dans fon appartement & devant elle.

Quand la Cour eut fait un accommodement avec les Parifiens, tous les Seigneurs du parti oppofé au Cardinal retournérent chez le Roi & la Reine mere. Il fallut que Madame de Longueville y allât comme les autres ; ce qui lui coûtoit beaucoup. Elle y parut donc, mais dans un déconcertement fi grand, qu'elle ne put pas dire deux mots à la Reine, & qu'après

qu'elle eur la bouche ouverte pour dire, Madame, on ne put rien entendre de plus. Auffi elle n'avoit pas le cœur à la reconciliation. Elle chercha à remuer de nouveau ; elle gagna fon frere, M. le Duc d'Anguien devenu M. le Prince, qui avoit été jufque-là dans le parti de la Cour. Elle exagéra à fes yeux le froid avec lequel il étoit reçu de la Reine & du Cardinal, les différens refus qu'il effuyoit, & d'autres chofes pareilles. Animé ainfi par sa fœur, il faifoit le mécontent en Cour; il demandoit tous les jours quelque chofe de nouveau, & l'exigeoit avec hauteur. La Reine & le Cardinal s'apperçurent du changement, & réfolurent de faire arrêter les trois Princes, Condé, Conti, & Longueville, qui furent conduits au Château de Vincennes. La Ducheffe de Longueville fut en même tems mandée; mais au lieu de s'y rendre, elle prit la fuite, & s'en alla à Rouen, qu'elle effaya de foulever par la confidération de fon mari qui en étoit Gouverneur. Mais elle n'y réuffit pas, non plus qu'au Havre & à Dieppe, où elle fit la même tentative. Cependant la Cour la fuivoit de près; car la Reine Mere avoit amené le Roi à Rouen, enforte qu'elle fe trouva très-embarraffée pour échaper à la pourfuite. Elle fortit du Château de Dieppe par une porte de derriere, & fit deux lieues à pied, fans suite, pour gagner un petit port, où elle comptoit s'embarquer. Mais les vents d'abord l'en empêchérent;& enfuite, le pouvant, elle n'ofa plus le faire, ayant eu avis que lePatron du bâtiment étoit gagné par leCardinal. Enfin elle alla au Havre ou le Capitaine d'un vaiffeau Anglois l'attendoit, & la reçut fous le nom d'un Gentilhomme qui s'étoit battu en duel. Il la tranfporta en Hollande. Com

me fon projet étoit de fe rendre à Stenai auprès de M. de Turenne, elle traversa promptement la Hollande & la Flandre, & vint à Stenai où elle concerta avec ce Général & les Miniftres d'Efpagne de déclarer la guerre au Cardinal Mazarin, jufqu'à ce que la paix entre la France & l'Espagne fût conclue, & les Princes élargis Le traité en fut dreffé. Ce fut alors que la Cour envoya une Déclaration au Parlement pour y être enregistrée, qui déclaroit la Ducheffe de Longueville & fes confors ennemis de l'Etat, criminels de leze-Majefté au premier chef. La Ducheffe compofa dans la Citadelle de Stenai & répandit partout un Manifeste, dans lequel elle juftifioit fa conduite, & chargeoit leCardinal de tous les maux qui arrivoient.

Quelque tems après elle changea de batterie. Elle fit négocier en Cour la liberté des Princes >- promettant de réconcilier toute fa Maifon avec la Reine. L'affaire réuffit: les Princes furent mis en liberté en 1651, & la Ducheffe revint en Cour, où elle fut bien reque, le Cardinal ayant disparu alors, & n'étant plus dans le Royaume. Elle reprit bientôt cette efpéce d'autorité qu'elle avoit fçu se donner par le paffé. C'étoit à fon Hôtel que fe tenoient les conférences pour la paix, entre M. le Prince & elle & les Miniftres d'Espagne, pendant que le Roi & la Reine reftoient feuls dans le Louvre & s'y morfondoient. M. le Prince s'appercevant dans la fuite que tout fe gouvernoit toujours à la Cour par les confeils du Cardinal quoiqu'abfent, prit le parti de fe retirer dans fon gouvernement de Guienne, où la Duchefle de Longueville le fuivit. Elle fe logea à Bourdeaux dans un Couvent de Bénédictines. C'étoit-là où Dieu l'attendok.

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