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sion, il y a en circulation 22 milliards de francs de bons et d'obligations de la Défense nationale.

L'Allemagne a consolidé jusqu'à présent en sept emprunts de guerre, 72 milliards de M. Elle a placé, en avril 1917, 12 978 millions; en septembre, 12 457 millions de M. '.

En analysant les résultats des emprunts allemands, on constate que les petites souscriptions inférieures à 10000 M. vont en diminuant, que les grosses souscriptions, celles qui dépassent 100 000 M. vont en augmentant. L'Empire semble recueillir moins de capital frais au fur et à mesure que la guerre se prolonge.

L'Autriche Hongrie s'est fort endettée. La dette consolidée s'est accrue de 42 milliards de couronnes pour les deux parties de la monarchie. En outre, l'Autriche a emprunté au dehors 2 milliards 347 millions de couronnes en marks à Berlin. Elle a pris près de 9 milliards de couronnes à la Banque, 7 milliards chez un syndicat de banquiers. Le stock d'or de la Banque d'Autriche-Hongrie a diminué de 1094 millions à 264 millions de couronnes, soit une moins-value de 830 millions.

Pour la malheureuse Russie, le total des dépenses de guerre jusqu'à la fin de 1917, ont été estimées à 51470 millions de roubles, dont le surplus des recettes ordinaires a fourni 2612 millions, les emprunts intérieurs 11 406 millions, extérieurs 8 070 millions, à court terme 16 426 millions ensemble, 38 517 millions de roubles.

Tous les États sont en quête de ressources nouvelles. Les ministres des Finances ne manquent plus de collaborateurs bénévoles qui leur envoient par la poste des projets de taxation ou qui les publient dans la presse. On voit éclore des projets de conscription des fortunes, c'est-à-dire de prélèvement sur le capital mobilier et immobilier des particuliers et des associations jusqu'à concurrence du dixième. Les Allemands l'ont fait à raison d'un milliard de levée extraordinaire avant la guerre. Les objections surgissent: où trouvera-t-on les milliards nécessaires en numéraire? Qu'importe ! répondent les promoteurs, on prendra volontiers en nature la dîme du contribuable et l'État se fera marchand de maisons, de meubles, de machines! Il faudra écarter cette combinaison de tout État qui ne sera pas livré à l'anarchie et au socialisme révolutionnaire. Il reste la formule des monopoles. La Russie avait supprimé celui de l'alcool et devait introduire celui du sucre et du thé. En Allemagne, on suggère celui de la bière, de l'alcool, du tabac, du sucre, du café, des nitrates, de la

1. 4,6 milliards en septembre 1914; 9 milliards en février 1915; 12,1 milliards en octobre 1916; 10,4 milliards en mars 1916; 10,5 milliards en octobre 1915. On trouvera dans le Pour et le Contre du 11 et 18 novembre de très intéressants détails sur les emprunts allemands.

houille, de l'électricité, des assurances, de la navigation et d'autres encore. On connaît les arguments de principe à faire valoir contre les monopoles qui coûtent cher à établir et donnent des résultats fiscaux réels bien inférieurs à ce qu'un impôt bien établi peut en tirer. Il y a malheureusement un esprit d'imitation en matière fiscale contre lequel a protesté M. Aucoc dans une étude sur l'importation des idées de l'étranger en matière de législation. Cette contagion fiscale est à redouter. D'autre part, un bouleversement financier aussi formidable que celui que nous devons à la guerre, exige des mesures fiscales qui étreignent le contribuable. Celui-ci peut demander que l'impôt demeure ce qu'il doit être et ne devienne pas un instrument de torture ni un outil de répartition arbitraire de la richesse, et par suite un facteur d'appauvrissement.

Nous commençons à voir les conséquences de l'état anormal résultant de la guerre. Ces conséquences sont dues aux énormes dépenses que les États belligérants et neutres sont obligés de supporter et dont ils couvrent la majeure partie à l'aide d'opérations de crédits. Ils mettent à contribution les banques d'émission avec plus ou moins de modération, ils en reçoivent des billets en échange des bons du Trésor qu'ils leur présentent à l'escompte. Avec ces billets, ils payent leurs fournisseurs, leurs soldats et leurs officiers, les entreprises de transport. Une partie de ces billets rentre dans les institutions de crédit pour grossir les dépôts, une partie en est thésaurisée à défaut d'espèces. Celte monnaie de papier, dotée du cours forcé, manque de l'élasticité du billet émis contre de l'or, susceptible d'être échangé et qui a pour couverture des effets de commerce. La cause de l'émission, c'est la guerre, c'est la dépense de l'État.

Un pays comme la France qui faisait ses affaires avec 5 à 6 milliards de francs de billets, avec 4 milliards d'or dans la poche ou les caisses du public, se trouve aujourd'hui avec 23 milliards de francs de billets non échangeables contre le métal jaune. Cette augmentation de moyens de payement réagit sur le cours des marchandises et des services. Elle se traduit également par un accroissement du chiffre des dépôts dans les institutions de banque qui remontent au niveau où ils étaient avant la guerre. On ne saurait se plaindre actuellement ni d'un manque de moyens de payement, ni d'une rareté de capitaux disponibles. Ceux-ci demeurent sur le marché intérieur, parce que l'Etat en surveille jalousement la sortie, prétendant s'en réserver l'utilisation et parce que l'achat de devises étrangères est devenu très onéreux. Si la condition de ceux qui vivent de leurs revenus et de leurs appointements est très pénible, il ne manque pas de gens de toute catégorie et de toute profession qui vendent avec bénéfice leurs produits, notamment les agriculteurs, les vignerons ou

leurs services comme les ouvriers, comme les domestiques. Ceux qui veulent agrandir leurs ateliers, en créer de nouveaux, à condition qu'ils se rapportent aux fabrications de guerre, n'ont pas de peine à trouver des concours; ils ont été aidés par l'État. Nous ne voudrions pas être soupçonnés de voir l'avenir sous un aspect menaçant, mais cependant nous ne pouvons nous empêcher d'avoir certaines appréhensions. Il y a une prospérité apparente due à un facteur qui détruit les richesses et les utilités, à la guerre. Avec cette prospérité, il existe un esprit de spéculation qui est comprimé à Paris, à Londres, autant que l'État peut le faire, qui a exercé ses ravages à Pétrograd, à Budapest, à Vienne, contre lequel on a lutté à New-York.

Lorsque la guerre aura pris fin, il faut s'attendre à une période de transition très difficile sur le marché financier. La liquidation de tout ce qui est demeuré en suspens, de tout ce qui n'a pas été consolidé, devra être entreprise. Des crédits ouverts devront être remboursés. Les demandes de capital pour des entreprises de première nécessité, pour la reconstitution économique des territoires ravagés, pour la remise en état des chemins de fer, pour le réapprovisionnement de l'industrie, pour le ravitaillement plus copieux des populations, seront immenses. Il faudra liquider ou consolider des dettes contractées à l'étranger. Rencontrera-t-on alors une meilleure volonté qu'aujourd'hui chez certaines institutions centrales de pays neutres, dont l'attitude n'a pas toujours été empreinte de sentiments amicaux. Il ne faudrait pas qu'au lendemain de la paix, la solidarité qui s'est établie sur les champs de bataille entre les Alliés et qui s'est manifestée dans le domaine économique et financier, disparût brusque

ment.

Ce n'est pas impunément que la circulation des billets a passé, en France, du 23 juillet 1914 au 15 novembre 1917, de 5911 millions de francs à 22 345 millions de francs; en Allemagne (y compris les billets d'Empire et des caisses de prêts), de 2 036 millions de marks à 16369 millions de marks; en Angleterre (y compris le Treasury Notes) de 45 millions à 271 millions; en Espagne, de 1 919 millions de pesetas à 2 705 millions; en Grèce, de 229 millions à 694 millions de drachmes; en Italie, de 2 265 millions à 6633 millions de lire; au Japon, de 312 millions à 615 millions de yen; en Hollande, de 310 millions à 820 millions de florins; en Roumanie, de 413 millions à 1 730 millions de lei, en Russie, de 1 634 millions à 15887 millions de roubles; en Suède, de 154 millions à 467 millions de kroner; en Suisse, de 267 millions à 612 millions de francs.

Cet accroissement de l'émission de billets a été accompagné dans beaucoup de pays, de la suspension du remboursement des billets en or, de perturbations dans les mouvements du commerce extérieur.

La misère du change étranger, dont nous avions, dans notre tableau de l'année de 1914, indiqué les origines et expliqué le mécanisme a continué en 1917. Malgré le puissant concours apporté par les EtatsUnis, les Alliés ont eu des difficultés à se procurer la quantité de remises nécessaires pour payer leurs achats au dehors.

La question du change s'est compliquée du fait que les pays neutres d'Europe ont plus vendu au dehors qu'ils n'ont acheté ou qu'ils n'ont pu acheter par suite du blocus imposé aux nations de l'Europe centrale et par suite du besoin impérieux d'empêcher les fuites de denrées et de matières à travers les fissures du blocus.

Il y a eu chez les neutres des degrés dans la cote des changes. Les monnaies qui ont relativement valu le plus ont été la peseta espagnole qu'on est loin de la dépréciation cotée en 1898 et la couronne suédoise.

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On a pu voir en Scandinavie un exemple instructif de l'inefficacité des unions monétaires. La couronne suédoise a fait prime contre la couronne de Norvège et de Danemark, contre toutes les autres monnaies y compris le florin. Cette devise, secondaire comme importance avant la guerre, a été des plus recherchées. Elle a fait, en novembre, à Paris, jusqu'à 72 p. 100 de prime, et cela parce que la Suède n'accepte l'or qu'avec une perte, prétendant être payée en marchandises ou en titres suédois.

Cette hausse est d'ailleurs très précaire. Sur de simples bruits de paix, sur des interprétations d'événements, laissant entrevoir la fin de la guerre, la couronne a fléchi de 240 à 2101.

Le florin a été moins recherché. En Hollande, on a suivi une politique financière moins arrogante à l'égard des débiteurs étrangers. On n'a pas voulu non plus se surcharger d'or. On a ouvert des crédits à règler après la guerre. On y a eu le sentiment qu'avec la cessation des hostilités, avec la reprise graduelle du commerce international, les anciens pays créditeurs de l'étranger reprendront une partie de l'or qui s'est accumulé chez les neutres.

Chez les belligérants, on a vu une réglementation plus ou moins générale, allant de la prohibition d'exporter librement de l'or, comme c'est le cas en Angleterre et aux Etats-Unis, où une dérogation est nécessaire et d'une surveillance de po'ice, exercée par les autorités du contrôle postal, jusqu'à des sanctions pénales comme la peine de mort dont le pacha de Syrie menaçait les négociants, si la valeur de la piastre ottomane ne se relevait pas.

Il y a toute une gamme de prescriptions intermédiaires entre ces

1. Cette instabilité, cette précarité du change sur la Suède est de nature à encourager les détenteurs des titres suédois à s'en défaire.

TOME LVII. - JANVIER 1918.

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ces deux extrêmes. Les États se sont efforcés d'agir sur le change en conseillant aux particuliers d'acheter le moins possible à l'étranger, en leur imposant ensuite des mesures prohibitives pures et simples, en leur conseillant de vendre le plus possible, surtout de titres étrangers. Ils ont au besoin réquisitionné ceux-ci, en rendant obligatoire la déclaration des titres, valeurs, créances sur les pays neutres. Ils en sont arrivés à interdire non seulement l'exportation des espèces, y compris les monnaies blanches, mais celle même des billets de banque, des coupons et des titres de la dette nationale. Ils n'ont reculé devant aucune mesure pour réduire les payements au dehors et faire mettre à leur disposition les créances des particuliers. Tous les pays ne sont pas allés aussi loin les uns que les autres. La médiocrité des résultats obtenus par les mesures extrêmes a été signalée aux partisans d'une politique outrancière. Au commencement, on avait essayé de se tirer d'affaire, en fournissant du change uniquement pour les opérations d'ordre commercial, à l'exclusion des placements de capitaux à l'étranger. On a emprisonné les capitaux des particuliers. Graduellement, on en est arrivé en France à créer une commission consultative du change au ministère des Finances, qui a repoussé l'organisation du monopole et qui a fait introduire un registre dans lequel les banques et banquiers sont tenus d'inscrire les opérations, le montant, la place étrangère et le nom du vendeur ou de l'acheteur. En Allemagne, en Autriche-Hongrie, en Russie, en Italie, on est allé plus. loin; on a créé des centrales de change, sous la direction de l'institution d'émission centrale ou de la chancellerie des opérations de crédit qui se font remettre dans la mesure du possible, les créances sur l'étranger et qui les distribuent entre ceux qui ont des remises pressantes à faire. Les permis d'exporter des marchandises ne s'obtiennent que si l'exportateur donne à la centrale du change, la valeur qu'il a à recevoir à l'étranger. Le régime du vase clos a été appliqué en Allemagne avec rigueur : il y a eu des querelles de ménage entre Vienne et Berlin, les Allemands ayant émis la prétention de bloquer en Allemagne les créances austro-hongroises, de limiter au marché allemand la vente des titres appartenant à des Austro Hongrois et déposés en Allemagne, afin d'empêcher les vendeurs de ces titres et les créanciers d'exporter des marks dans les pays neutres, notamment en Suisse, où le besoin s'en fait peu sentir. L'offre abondante de marks à Génève et à Zurich pesait trop sur les cours. Vienne s'est soumis, de mauvaise humeur, à ces prétentions du plus fort.

La réglementation du change à l'intérieur n'a pas donné les résultats espérés. Elle n'a pas empêché la cote des devises à l'étranger. En comparant les cours de l'intérieur et ceux du dehors, on a constaté que c'était trop demander.

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