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JOURNAL

DES

ÉCONOMISTES

DES PROJETS

DE RÉORGANISATION ÉCONOMIQUE

DE LA FRANCE1

I. Les trois interpellations.

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II. L'interpellation Landry. - III. L'interpellation Valière. IV. La commission de réorganisation économique. V. La politique des consortiums. VI. Mouvements d'opposition. VII. La main mise socialiste.

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La Chambre des députés a commencé, dans sa séance du vendredi 15 mars, et pourra continuer pendant une durée indéfinie de séances, la discussion des trois interpellations :

1° De M. Landry, sur les mesures que le gouvernement compte prendre et les méthodes qu'il compte suivre en vue de préparer la réorganisation économique du pays; 2° de M. Louis Puech, sur les mesures que le gouvernement compte prendre pour le maintien et le développement de la vie économique du pays; 3° de MM. Valière et Bedouce, sur les moyens par lesquels le gouvernement entend préparer la réorganisation économique de notre pays.

Ces interpellations ne sont qu'un prétexte pour permettre à leurs auteurs de développer des programmes. Elles ne

1. V. Journal des Économistes de mars 1918: Questions sur les conditions économiques de la paix. Février 1917: Sur les monopoles et industries d'Etat, par G. Schelle. Septembre 1917 Le contrôle du commerce et de l'industrie par l'Etat, par Arthur Raffalovich.

peuvent se terminer que par des vœux vagues et indéfinis. Quels vœux? des voeux de conseil d'arrondissement, de conseil général ou de réunion publique? Une Chambre des députés n'a pas à émettre de vœux : elle doit prendre des décisions, soit sous la forme de législation, soit sous la forme d'approbation ou de réprobation des actes du pouvoir exécutif. En laissant absorber son temps par des conférences, elle oublie son rôle.

Ces trois interpellations ont toutes le même objet: prouver que c'est le gouvernement qui doit procéder à la réorganisation économique de la France; el chacun de leurs promoteurs, en émettant son programme, déclare à ses collègues et au pays :

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Je suis prêt à l'appliquer; et comme j'en ai eu l'initiative, c'est à moi que cette fonction incombe.

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Sous quelle forme, les auteurs de ces interpellations voient-ils l'intervention de l'Etat?

M. Landry dit immédiatement :

A quelle production les industriels devront-ils se consacrer? Le choix des productions sera-t-il abandonné au jugement des industriels interessés, individuellement livrés à leur inspiration? Il y aurait à cela un grand danger.

Trop d'industriels pourraient se porter vers un genre de production, d'où surproduction. D'autres productions seraient négligées. Il faut mettre ordre à cela. Comment ? Le gouvernement va-t-il limiter le nombre des industriels qui pourront se livrer à telle ou telle fabrication? Va-t-il établir un contingent pour la production de chacun d'eux? Va-t-il ordonner aux industriels de se livrer à des fabrications dont ils ne veulent pas?

Le gouvernement a déjà commencé en exerçant des contraintes, au moins morales, sur un certain nombre de commerçants et d'industriels. En Angleterre, en France, en Italie, aux États-Unis, on a considéré que l'industrie des couleurs était une industrie clef 1; et le gouvernement bri

1. Voir l'Industrie britannique après la guerre, par sir Hugh Bell. Journal des Économistes, avril 1917, p. 38.

tannique a fondé, bon gré mal gré, une société pour produire des couleurs dérivées de la houille; en France, on a dit à des commerçants qui n'avaient rien de commun avec l'industrie de la couleur : « Il faut que vous commanditiez l'industrie de la couleur! >>>

Cependant, il suffisait de consulter quelques spécialistes pour voir la proportion existant entre l'industrie des couleurs et l'industrie textile.

Dans son livre, l'Essor des industries chimiques en France, M. Eugène Grandmougin fait les évaluations suivantes :

La production du coton (1912-1913) s'est élevée à 5 400 000 tonnes d'une valeur de 7 milliards; triplée par la filature et le tissage, elle atteint au moins, 21 milliards. La laine brute, consommée par l'industrie mondiale, s'est élevée au chiffre de 1 260 000 tonnes, d'une valeur de 3 milliards et ses produits manufacturés ont dû atteindre le chiffre de 10 milliards. Il faut y ajouter :

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On peut donc évaluer à 40 milliards la valeur des produits textiles divers susceptibles d'employer les matières colorantes artificielles dont la valeur de la production totale ne dépassait pas 400 millions, soit I p. 100; et ces matières colorantes servent encore au papier, etc.

En France, les transactions textiles s'élèvent de 2 à 3 milliards et la consommation de ces couleurs à 25 millions de francs.

Si les projets du gouvernement aboutissent, il y aura surproduction des couleurs, et cette surproduction aura été provoquée par l'Etat. Ce régulateur a, en dehors de tout critérium économique, des engouements et des malveillances pour tel ou tel genre de production, selon les sympathies ou les antipathies des hommes qui le dirigent. Le danger est dans son intervention et non dans la liberté.

M. Landry dit : « Il y aura de grands besoins de capitaux. » C'est exact. Il ajoute :

Il faudra, par quelque moyen que ce soit, que nous trouvions ces capitaux dont l'industrie ne pourrait se passer. Et il faudra que nous ayons, pour les distribuer, des organismes bancaires.

<< Se procurer des capitaux par quelque moyen que ce soit?» C'est une phrase qu'on entend en police correctionnelle et en cour d'assises; mais elle constitue un argument pour le ministère public contre le prévenu ou l'accusé qui a essayé de la mettre en action.

« Il faudra. » Qu'est-ce que représente ce pronom indéterminé «< il»>?

((

M. Landry repète le « il faudra »>.

« Il faudra distribuer ces capitaux obtenus par quelque moyen que ce soit. » Qui les distribuera? « Un organisme bancaire. >>

Pourquoi appliquer ce terme « biologique » à la banque ? Pourquoi ne pas parler tout simplement de « banques »>, d'établissements ou d'institutions de crédit?

Mais en créant une expression, M. Landry croit créer quelque chose.

Ces organismes bancaires nous manquent presque complètement.

Les organismes bancaires, « pour distribuer » des capitaux qu'on doit «< se procurer par quelque moyen que ce soit », n'avaient pas de raison d'être avant qu'ils eussent à distribuer« ces capitaux qu'on doit se procurer ». Ce qui est étonnant, e'est l'épithète « presque » que M. Landry met avant «< complètement ».

Puis M. Landry accumule des affirmations comme cellesci :

Il faut produire davantage... Il faut exporter davantage.

<< Il faut », est-ce l'expression d'un désir? est-ce, de la part de M. Landry, une obligation? « Il faut », c'est bien vite dit.

Mais « pour produire davantage »>, «< il faut des outillages, il faut des matières premières, il faut de la main-d'œuvre ». Et pour « exporter davantage »>«< il faut » des clients dont les Français pourront satisfaire les besoins mieux et à plus bas prix que leurs concurrents et qui auront un pouvoir d'achat suffisant pour payer les objets qu'ils désirent.

M. Landry ne s'occupe ni du prix de revient ni des clients.

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