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Mais quelle solitude!... Aussi dans cette ville,
Je n'avais qu'un valet pour me désennuyer,
Et je m'avise encor de le congédier.

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LE GRONDEUR. Bourreau! me feras-tu toujours frapper deux heures à la porte?...

LE VALET. Monsieur, je travaille au jardin; au premier coup de marteau, j'ai couru si vite que je suis tombé en chemin.

LE GR. Je voudrais que tu te fusses rompu le cou, double chien! Que ne laisses-tu la porte ouverte?

LE VAL. Eh! monsieur, vous me grondâtes hier, à cause qu'elle l'était. Quand elle est ouverte, vous vous fâchez; quand elle est fermée, vous vous fâchez aussi. Je ne sais plus comment faire.

LE GR. Comment faire!

ARISTE. Mon frère, voulez-vous bien...

LE GR. Oh! donnez-vous patience. Comment faire, coquin! AR. Eh! mon frère, laissez là ce valet, et souffrez que je vous parle de...

LE GR. Monsieur mon frère, quand vous grondez vos valets, on vous les laisse gronder en repos.

AR, à part. Il faut lui laisser passer sa fougue.

LE GR. Comment faire, infâme!

LE VAL. Oh çà! monsieur, quand vous serez sorti, voulez-vous que je laisse la porte ouverte?

LE GR. Non.

LE VAL. Voulez-vous que je la tienne fermée?

LE GR. Non.

LE VAL. Si faut-il ', monsieur...

LE GR. Encore! tu raisonneras, ivrogne?

AR. Il me semble, après tout, mon frère, qu'il ne raisonne pas mal; et l'on doit être bien aise d'avoir un valet raisonnable.

LE GR. Et il me semble à moi, monsieur mon frère, que vous raisonnez fort mal. Oui, l'on doit être bien aise d'avoir un valet raisonnable, mais non pas un valet raisonneur.

1. Si faut-il. Et encore faut-il?... Remarquer ce tour.

2. Raisonnable et raisonneur. Ces mots mis ici en contraste font ressortir la

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LE VAL. Monsieur, je me ferais hacher: il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée. Choisissez; comment la voulez-vous?

1

LE GR. Je te l'ai dit mille fois, coquin! Je la veux... je la '............ Mais voyez ce maraud-là. Est-ce à un valet à me venir faire des questions? Si je te prends, traître! jo te montrerai comment je la veux. Vous riez, je penso, monsieur le jurisconsulte?

AR. Moi? Point 2. Je sais que les valets ne font jamais les choses comme on leur dit.

LE GR. Vous m'avez pourtant donné ce coquin-là !
AR. Je croyais bien faire...

LE GR. Oh! je croyais... Sachez, monsieur le rieur, que je croyais n'est pas le langage d'un homme bien sensé.

AR. Eh! laissons cela, mon frère, et permettez que je vous parle d'une affaire plus importante, dont je serais bien aise...

LE GR. Non, je veux auparavant vous faire voir à vous-même comment je suis servi par ce pendard-là, afin que vous ne veniez pas après me dire que je me fâche sans sujet. Vous allez voir, vous allez voir. As-tu balayé l'escalier?

LE VAL. Oui, monsieur, depuis le haut jusqu'en bas.

LE GR. Et la cour?

3

LE VAL. Si vous y trouvez une ordure comme cela 3, je veux perdre mes gages.

LE GR. Tu n'as pas fait boire la mule?

LE VAL. Ah! monsieur, demandez-le aux voisins, qui m'ont vu passer.

LE GR. Lui as-tu donné l'avoine?

LE VAL. Oui, monsieur; Guillaume y était présent.

LE GR. Mais tu n'as point porté ces bouteilles de quinquina où je l'ai dit?

valeur des désinences able et eur. Rapprocher cette ligne du vers de Molière :

Raisonner est l'emploi de toute ma maison,

El le raisonnement en bannit la raison.

1. Je la... Réticence très-plaisante et qui met le grondeur dans la position la plus comique; forcé d'avouer qu'il a tort ou de chercher un autre sujet de querelle.

2. Moi? Point. Remarquer la vivacité de ce tour elliptique, Ariste pour paiser le grondeur feint ici d'entrer dans ses idées.

3. Comme cela. On comprend que le valet accompagne ces mots d'un ge e qui indique l'objet le plus menu.

LE VAL. Pardonnez-moi, monsieur, et j'ai rapporté les vides.
LE GR. Et mes lettres, les as-tu portées à la poste? Hein?
LE VAL. Peste! monsieur, je n'ai eu garde d'y manquer.

LE GR. Je t'ai défendu cent fois de racler ton maudit violon; cependant j'ai entendu ce matin...

LE VAL. Ce matin? Ne vous souvient-il pas que vous me le mites hier en mille pièces?

LE GR. Je gagerais que ces deux voies de bois sont en

core...

LE VAL. Elles sont logées, monsieur. Vraiment, depuis cela, j'ai aidé Guillaume à mettre dans le grenier une charretée de foin, j'ai arrosé tous les arbres du jardin, j'ai nettoyé les allées, j'ai bêché trois planches, et j'achevais l'autre quand vous avez frappé.

LE GR. Oh!... il faut que je chasse ce coquin-là; jamais valet ne m'a fait enrager comme celui-ci : il me ferait mourir de chagrin... Hors d'ici!

51. Utilité de l'histoire.

BRUEYS.

Ce n'est pas sans raison que l'histoire a toujours été regardée comme la lumière des temps, le dépositaire des événements, le témoin fidèle de la vérité, la source des bons conseils et de la prudence, la règle de la conduite et des mœurs. Sans elle, renfermés dans les bornes du siècle et du pays où nous vivons, resserrés dans le cercle étroit de nos connaissances particulières et de nos propres réflexions, nous demeurons toujours dans une espèce d'enfance, qui nous laisse étrangers à l'égard du reste de l'univers, et dans une profonde ignorance de tout ce qui nous a précédés, et de tout ce qui nous environne. Qu'est-ce que ce petit nombre d'années qui composent la vie la plus longue? Qu'est-ce que l'étendue du pays que nous pouvons occuper ou parcourir sur la terre, sinon un point imperceptible à l'égard de ces vastes régions de l'univers, et de cette longue suite de siècles qui se sont succédé les uns aux autres depuis l'origine du monde? Cependant c'est à ce point imperceptible que se bornent nos connaissances, si nous n'appelons à notre secours l'étude de l'Histoire, qui nous ouvre tous les siècles et tous les pays; qui nous fait entrer en commerce' avec tout ce qu'il y a eu de

1. En commerce. En relations, en communauté d'idées, de sentiments. Remarquer l'acception donnée ici à ce mot.

grands hommes dans l'antiquité; qui nous met sous les yeux toutes leurs actions, toutes leurs entreprises, toutes leurs vertus, tous leurs défauts; et qui, par les sages réflexions qu'elle nous fournit, ou qu'elle nous donne lieu de faire, nous procure en peu de temps une prudence anticipée, fort supérieure aux leçons des plus habiles maîtres.

L'Histoire, quand elle est bien enseignée, devient une école de morale pour tous les hommes. Elle décrie les vices, elle démasque les fausses vertus, elle détrompe des erreurs et des préjugés populaires, elle dissipe le prestige enchanteur des richesses et de tout ce vain éclat qui éblouit les hommes, et démontre par mille exemples plus persuasifs que tous les raisonnements, qu'il n'y a de grand et de louable que l'honneur et la probité. De l'estime et de l'admiration que les plus corrompus ne peuvent refuser aux grandes et belles actions qu'elle leur présente, elle fait conclure que la vertu est donc le véritable bien de l'homme, et qu'elle seule le rend véritablement grand et estimable. Elle apprend à respecter cette vertu, et à en démêler la beauté et l'éclat à travers les voiles de la pauvreté, de l'adversité, de l'obscurité, et même quelquefois du décri et de l'infamie: comme au contraire elle n'inspire que du mépris et de l'horreur pour le crime, fùt-il revêtu de pourpre, tout brillant de lumière, et placé sur le trône.

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Clovis, ayant arrêté le carnage et soumis le peuple, rentra en paix dans son royaume, et raconta à la reine comment il avait obtenu la victoire en invoquant le nom de Jésus-Christ 1. Alors la reine manda en secret saint Remi, évêque de Reims, le priant de faire pénétrer dans le cœur du roi la parole du salut. Le pontife, ayant fait venir Clovis, commença à l'engager secrètement à croire au vrai Dieu, créateur du ciel et de la terre, et à abandonner ses idoles qui n'étaient d'aucun secours ni pour ellesmêmes ni pour les autres. Clovis lui dit : « Très-saint père, je l'écouterai volontiers; mais il reste une chose, c'est que le peuple qui m'obéit ne veut pas abandonner ses dieux; j'irai à eux et je leur parlerai d'après tes paroles. »>

Lorsqu'il eut assemblé ses sujets, avant qu'il eût parlé, et par

1. A la bataille de Tolbiac gagnée par lui contre les nations germaines (496). Comme les Francs commençaient à plier, Clovis invoqua le Dieu de son épouse Clotilde qui était chrétienne, et promit d'embrasser son culte s'il lui donnait la victoire. -. Tolbiac est aujourd'hui Zulpich, ville des États prussiens, province

du Rhin.

l'intervention de la puissance de Dieu, tout le peuple s'écria unanimement : « Pieux roi, nous rejetons les dieux mortels, et nous sommes prêts à obéir au Dieu immortel que prêche saint Rem. »

On apporta cette nouvelle à l'évêque qui, transporté d'une grande joie, ordonna de préparer les fonts sacrés. On couvre de tapisseries peintes les portiques intérieurs de l'église, on les orne de voiles blancs, on dispose les fonts baptismaux, on répand des parfums; les cierges brillent de clarté; tout le temple est embaumé d'une odeur divine, et Dieu fit descendre sur les assistants un si grande grâce qu'ils se croyaient transportés au milieu des parfums du paradis.

Le roi pria le pontife de le baptiser le premier. Le nouveau Constantin' s'avança vers le baptistère, pour s'y faire guérir de la vieille lèpre qui le souillait, et laver dans une eau nouvelle les taches hideuses de sa vie passée. Comme il s'avançait vers le baptême, le saint de Dieu lui dit de sa bouche éloquente: «< Sicambre 2, abaisse humblement ton cou; adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré. »

GRÉGOIRE DE TOURS (traduction de M. Guizot).

53. - Meurtre de l'évêque Prétextat par la reine Frédégonde 3.

Ce jour-là l'évêque de Rouen, dont le meurtrier guettait la sortie depuis le lever du soleil, se rendit de bonne heure à l'église. Il alla s'asseoir à sa place accoutumée, à quelques pas du maîtreautel, sur un siége isolé au-devant duquel se trouvait un prieDieu. Le reste du clergé occupa les stalles qui garnissaient le chœur, et l'évêque entonna, suivant l'usage, le premier verset de l'office du matin. Pendant que la psalmodie, reprise par les chantres, continuait en chœur, Prétextat s'agenouilla en appuyant les mains et en inclinant la tête sur le prie-Dieu placé devant lui. Cette posture, dans laquelle il resta longtemps, fournit

1. Le nouveau Constantin. L'empereur Constantin fut le premier empereur romain qui embrassa le christianisme, après une victoire qu'il remporta aussi par l'intervention du Dieu des chrétiens.

2. Sicambre. Nom d'une tribu des Francs, par lequel on désignait quelquefois la nation entière. Elle habitait sur la rive droite du Rhin, et s'étendait jusqu'au Wéser. 3. Prétextat, évêque de Rouen, avait encouru la haine de Frédégonde en secourant Brunehaut sa rivale. C'est l'an 588 qu'il fut assassiné; l'Église l'a élevé au rang des saints. On le fête le 24 février.

4. Psalmodie. Manière de chanter ou de réciter, à l'église, les psaumes, c'est à-dire les cantiques composés par le roi David. Psalmodier. Réciter les psaumes, Psaulier. Recueil des psaumes.

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