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à l'assassin, qui s'était glissé par derrière, l'occasion qu'il épiait depuis le commencement du jour. Profitant de ce que l'évêque, prosterné en prières, ne voyait rien de ce qui se passait à l'entour, il s'approcha de lui insensiblement jusqu'à la portée du bras, et tirant le couteau suspendu à sa ceinture, il l'en frappa sous l'aisselle. Prétextat se sentant blessé poussa un cri; mais soit malveillance, soit lâcheté, aucun des clercs présents n'accourut à son aide, et l'assassin eut le temps de s'esquiver. Ainsi abandonné, le vieillard se releva seul, et appuyant les deux mains contre sa blessure, il se dirigea vers l'autel dont il eut encore la force de monter les degrés. Arrivé là, il étendit ses mains pleines de sang pour atteindre, au-dessus de l'autel, le vase d'or suspendu par des chaînes, où l'on gardait l'Eucharistie réservée pour la communion des mourants. Il prit une parcelle du pain consacré et communia; puis rendant grâce à Dieu de ce qu'il avait eu le temps de se inunir du saint viatique, il tomba en défaillance entre les bras de ses fidèles serviteurs et fut transporté par eux dans son apparte

ment.

Instruite de ce qui venait d'avoir lieu, soit par la rumeur publique, soit par le meurtrier lui-même, Frédégonde voulut se donner l'affreux plaisir de voir son ennemi agonisant. Elle se rendit en hâte à la maison de l'évêque... Prétextat était dans son lit, ayant sur le visage tous les signes d'une mort prochaine, mais conservant encore le sentiment et la connaissance. La reine dissimula ce qu'elle ressentait de joie, et prenant, avec un air de sympathie, un ton de dignité royale, elle dit au mourant : « Il est triste pour nous, ô saint évêque, aussi bien que pour le reste de ton peuple, qu'un pareil mal soit arrivé à ta personne vénérable. Plût à Dieu qu'on nous indiquât celui qui a osé commettre cette horrible action, afin qu'il fût puni d'un supplice proportionné à son crime! »>

Le vieillard, dont tous les soupçons étaient confirmés par cette visite même, se souleva sur son lit de douleur, et, attachant ses yeux sur Frédégonde, il répondit: « Et qui a frappé ce coup, si ce n'est la main qui a tué des rois, qui a si souvent répandu le sang innocent et fait tant de maux dans le royaume 1?» Aucun signe de trouble ne parut sur le visage de la reine, et comme si ces paroles eussent été pour elle vides de sens et le simple effet d'un dérangement fébrile 3, elle reprit du ton le plus calme et le

1. Allusion aux crimes de Frédégonde. Voir l'Histoire de France de MM. HuBAULT et MARGUERIN, page 42

2. Febrile. Causé par la fièvre.

plus affectueux : « Il y a auprès de nous de très-habiles médecins qui sont capables de guérir cette blessure; permets qu'ils viennent te visiter. » La patience de l'évêque ne put tenir contre tant d'effronterie, et, dans un transport d'indignation qui épuisa le reste de ses forces, il dit : « Je sens que Dieu veut me rappeler de ce monde; mais toi, qui t'es rencontrée pour concevoir et diriger l'attentat qui m'ôte la vie, tu seras dans tous les siècles un objet d'exécration, et la justice divine vengera mon sang sur ta tête. » Frédégonde se retira sans dire un mot, et après quelques instants, Prétextat rendit le dernier soupir.

AUGUSTIN THIERRY.

54. Charlemagne visitant les écoles.

Après une longue absence, le victorieux Charles, de retour dans la Gaule, se fit amener les enfants remis aux soins de Clément', et voulut qu'ils lui montrassent leurs lettres et leurs vers. Les élèves sortis des classes moyenne et inférieure présentèrent des ouvrages qui passaient toute espérance, où se faisaient sentir les plus douces saveurs de la science; les nobles, au contraire, n'eurent à produire que de froides et misérables pauvretés. Le très-sage Charles, imitant alors la justice du souverain Juge, leur dit : « Je vous loue beaucoup, mes enfants de votre zèle à remplir mes intentions et à rechercher votre propre bien de tous vos moyens. Maintenant efforcez-vous d'atteindre à la perfection; alors je vous donnerai de riches évêchés, de magnifiques abbayes 2, et vous tiendrai toujours pour gens considérables à mes yeux. » Tournant ensuite un front irrité vers les élèves demeurés à sa gauche, portant la terreur dans leurs consciences par son regard enflammé, tonnant plutôt qu'il ne parlait, il lança sur eux ces paroles pleines de la plus amère ironie: « Quant à vous, nobles, vous fils des principaux de la nation, vous enfants délicats, vous reposant sur votre naissance et votre fortune, vous avez négligé mes ordres et le soin de votre propre gloire dans vos études, et préféré vous abandonner à la moliesse, au jeu, à la paresse ou à de futiles occupations. » Ajoutant à ses premiers mots son ser

2

1. Clément. Un des savants de la cour de Charlemagne qui aidèrent ce prince relever les études et les lettres, que les Mérovingiens avaient laissées complétement tomber.

2. De magnifiques albayes. Les religieux de cette époque vivaient en communauté sous la direction d'un chef spirituel nommé abbé. Le couvent et les terres sur lesquelles s'étendait leur juridiction formaient les abbayes dont quelques-unes étaient fort riches et fort puissantes par le nombre des paysans ou vassaux qui en dépendaient.

ment accoutumé, et levant vers le ciel sa tête auguste et son bras invincible, il s'écria d'une voix foudroyante: « Par le roi des cieux, permis à d'autres de vous admirer. Je ne fais, moi, nul cas de votre naissance; sachez et retenez bien que, si vous ne vous hâtez de réparer par une constante application votre négligence passée, vous n'obtiendrez jamais rien de Charles. >>

LE MOINE DE SAINT-GALL (traduction de M. Guizot).

55. Arrivée des Croisés devant Jérusalem 1.

En partant de Ramsa et de Lydda2, les croisés se rapprochèrent des montagnes de la Judée. Ces montagnes, sur lesquelles Jérusalem est assise, n'ont point l'aspect du Taurus ni celui du Liban ; ces cimes bleuâtres, que le ciel paraît avoir privées de sa rosée bienfaisante, sont sans verdure et sans ombrages; ces solitudes arides n'ont d'autres habitants que le sanglier et la gazelle, l'aigle et le vautour. C'est surtout du côté de l'est et du côté du sud que le pays de Jérusalem s'offre au voyageur avec une pâle nudité; le côté de l'ouest, par où arrivaient les guerriers de la croix, a des collines couvertes d'arbustes, et quelques vergers d'oliviers annonçant le voisinage de pauvres bourgades.

L'armée chrétienne s'avança dans une étroite vallée, entre deux montagnes brûlées par les feux du soleil. La route qu'elle suivait avait été creusée par les torrents; la pluie des orages y avait accumulé des roches détachées des monts; des amas de sables, des abîmes ouverts par la rapidité des eaux fermaient quelquefois le chemin. Dans ces passages difficiles, la moindre résistance des musulmans pouvait triompher de la foule des pèlerins, et, s'ils ne rencontrèrent point alors l'ennemi, ils durent penser que Dieu lui-même leur livrait les avenues de la ville sainte.

Après avoir marché depuis l'aurore, les croisés arrivèrent sur le soir au village d'Anathot; ils résolurent d'y passer la nuit, mais personne ne put se livrer au sommeil. Dès le lever du jour, tout le monde se mit en marche. Les croisés laissaient à leur droite le château de Modin, fameux par la sépulture des Machabées; mais cette ruine vénérable attira à peine leurs regards, tant la pensée de Jérusalem les préoccupait. Ils traversèrent, sans

1. Il s'agit ici de la première Croisade qui eut lieu à la fin du xre siècle: (1095-1099).

2, Petites villes de la Palestine.

3. Le Taurus, chaîne de montagnes de l'Asie Mineure; le Liban, chaîne de montagnes de la Palestine.

s'y arrêter, la vallée de Térébinthe, célébrée par les prophètes; ils traversèrent de même le torrent où David ramassa les cinq cailloux avec lesquels il terrassa le géant Goliath; à leur droite et à leur gauche s'élevaient des montagnes où campèrent les armées d'Israël et celles des Philistins: tous les souvenirs historiques étaient perdus pour les guerriers de la croix. Lorsqu'ils eurent gravi la dernière montagne qui les séparait de la ville sainte, tout à coup Jérusalem leur apparut. Les premiers qui l'aperçurent s'écrièrent avec transport: Jérusalem! Jérusalem! Le nom de Jérusalem vole de bouche en bouche, de rang en rang, et retentit dans les vallées où se trouvait encore l'arrière-garde des croisés. Les uns sautent à bas de leurs chevaux, et se mettent à genoux; les autres baisent cette terre, foulée par le Sauveur, en poussant de longs soupirs; plusieurs jettent bas leurs armes et tendent les bras vers la ville de Jésus-Christ; tous répètent ensemble: Dieu le veut! Dieu le veut! et renouvellent le serment qu'ils ont fait tant de fois de délivrer Jérusalem.

MICHAUD.

56. La réception d'un chevalier au moyen âge1.

Le jeune homme, l'écuyer2 qui aspirait au titre de chevalier, était d'abord dépouillé de ses vêtements et mis au bain, symbole de purification. Au sortir du bain, on le revêtait d'une tunique blanche, symbole de pureté, d'une robe rouge, symbole du sang qu'il était tenu de répandre pour le service de la foi; d'une saie ou justaucorps noir, symbole de la mort qui l'attendait, ainsi que tous les hommes.

Ainsi purifié et vêtu, le récipiendaire observait pendant vingtquatre heures un jeûne rigoureux. Le soir venu, il entrait dans l'église et y passait la nuit en prière, quelquefois seul, quelquefois avec un prêtre et des parrains qui priaient avec lui.

Le lendemain, son premier acte était la confession; après la

1. Chevalier. C'était, dans le récit qui suit, un agrégé à la chevalerie régulière, où l'on faisait profession de porter les armes contre les infidèles, de protéger les pèlerins allant en terre sainte, et de servir dans les hôpitaux où ils devaient être reçus. Moyen âge. Nom par lequel les historiens désignent les siècles compris entre le partage de l'empire romain, à la mort de Théodose (395), et la prise de Constantinople par les Turcs ottomans (1453).

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2. Ecuyer. Titre des jeunes gens de noble famille, qui faisaient le service militaire à la suite des chevaliers. Il fallait qu'un écuyer eût 21 ans pour être fait chevalier.

3. Justaucorps. Espèce de vêtement à manches, descendant jusqu'aux genoux et serrant le corps.

confession, le prêtre lui donnait la communion; il assistait à une messe du Saint-Esprit, et ordinairement à un sermon sur les devoirs des chevaliers, et de la vie nouvelle où il allait entrer. Le sermon fini, le récipiendaire s'avançait vers l'autel, l'épée de chevalier suspendue à son cou; le prêtre la détachait, la bénissait, et la lui remettait au cou. Le récipiendaire allait alors s'agenouiller devant le seigneur qui devait l'armer chevalier: « A quel dessein, lui demandait le seigneur, désirez-vous entrer dans l'ordre? Si c'est pour être riche, pour vous reposer et être honoré sans faire honneur à la chevalerie, vous en êtes indigne. Et, sur la réponse du jeune homme, qui promettait de se bien acquitter des devoirs de chevalier, le seigneur lui accordait sa demande.

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Alors s'approchaient des chevaliers, et quelquefois des dames, pour revêtir le récipiendaire de tout son nouvel équipement; on lui mettait: 1° les éperons; 2° le haubert ou la cotte de mailles'; 3o la cuirasse; 4o les brassarts et les gantelets3; 5o enfin on lui ceignait l'épée.

Il était alors ce qu'on appelait adoubé, c'est-à-dire adopté. Le seigneur se levait, allait à lui, et lui donnait l'accolade, trois coups du plat de son épée sur l'épaule ou sur la nuque, et quelquefois un coup de la paume de la main sur la joue, en disant : «< Au nom de saint Georges, je te fais chevalier. » Et il ajoutait quelquefois : « Sois preux, hardi et loya!. »

Le jeune homme ainsi armé chevalier, on lui apportait son casque, on lui amenait un cheval; il sautait dessus sans le secours des étriers, et caracolait en brandissant sa lance et faisant flamboyer son épée. Il sortait enfin de l'église, et allait caracoler sur la place, au pied du château, devant le peuple avide de prendre sa part du spectacle.

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La nouvelle de la ruine des saints lieux avait produit un effet terrible sur l'âme de Louis IX. Il tomba très-gravement malade vers le 10 décembre 1244, et bientôt l'on craignit pour sa vie.

1, Elle était à manches et à gorgerin.

2. Brassarts. Bandes de fer articulées, qui couvraient les bras.

3. Gantelets. Gants de lames de fer articulées.

4. Preux. Brave, vaillant.

5. Cinq croisades avaient eu lieu depuis celle du xie siècle, sans établir solidement le royaume chrétien de Terre-Sainte. Jérusalem même venait en 1244 d'être pillée et profanée par les Tartares, tribus barbares de la haute Asio.

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