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mières feuilles de la plante dans cette partie du germe qui se replie entre les deux lobes.

MALEBRANCHE.

7. Le fourmi-lion et la demoiselle.

Le formica-leo et la demoiselle ne sont point proprement deux animaux de différente espèce : le premier contient le second, ou toutes les parties organiques dont il est composé; mais remarquez qu'il a de plus tout ce qu'il lui faut pour attraper sa proie, pour se nourrir lui-même, et pour préparer à l'autre une nourriture convenable. Or, tâchons maintenant de nous imaginer les ressorts nécessaires aux mouvements que fait ce petit animal. Il ne va qu'à reculons, en ligne spirale 2, et toujours en s'enfonçant dans le sable; de sorte, que jetant en dehors, à chaque petit mouvement qu'il fait, le sable qu'il prend avec ses cornes, il fait un trou qui se termine en pointe, au fond duquel il se cache, toujours les cornes ouvertes, et prêtes à saisir des fourmis et autres animaux qui ne peuvent se tenir sur le penchant de la fosse. Lorsque la proie lui échappe, et fait assez d'efforts pour lui faire craindre de la perdre, il l'accable et l'étourdit, à force de lui jeter du sable, et rend encore par ce moyen le penchant du trou plus roide. Il se saisit donc de sa proie, il la tire sous le sable, il lui suce le sang, et la prenant entre ses cornes, il la jette le plus loin qu'il peut de son trou. Enfin au milieu du sable le plus inenu et le plus mouvant, il se construit un tombeau parfaitement rond; il le tapisse en dedans fort proprement pour y mourir, ou plutôt pour y reposer plus à l'aise, et enfin, après quelques semaines, on le voit tout glorieux, et sous la forme de demoiselle, après avoir laissé plusieurs enveloppes et les dépouilles de formica-leo.

MALEBRANCHE.

1. Parties organiques, c'est-à-dire qui constituent les organes. Tout animal, tout être vivant se compose de différents organes dont chacun a sa fonction déterminée dans l'entretien de la vie. Ainsi les yeux sont l'organe de la vue, le nez celui de l'odorat, les poumons celui de la respiration, l'estomac celui de la digestion, etc. 2. Ligue spirale. Ligne courbe de la forme de celle que représente le fer d'un tire-bouchon.

3. Cette transformation du formica-leo en demoiselle est propre à tous les insectes qui passent également par trois états différents. Ainsi le papillon commence par être chenille La chenille se construit une enveloppe ou un cocon dans lequel elle reste enfermée sous la forme de larve ou de nymphe, forme qu'elle quitte au bout d'un certain temps pour prendre celle de papillon.

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8. - Lettre de Racine à son fills1 séparé de la famille.

Paris, le 23 juin 1698.

Votre mère s'est fort attendrie à la lecture de votre dernière lettre, où vous mandiez qu'une de vos plus grandes consolations était de recevoir de nos nouvelles. Elle est très-contente de ces marques de votre bon naturel; mais je puis vous assurer qu'en cela vous nous rendez bien justice, et que les lettres que nous recevons de vous font toute la joie de la famille, depuis le plus grand jusqu'au plus petit. Ils m'ont tous prié aujourd'hui de vous faire leurs compliments. J'allai, il y a trois jours, dîner à Auteuil, où se trouvèrent M. le marquis de La Salle, M. Félix et M. Boudin. M. de Termes y vint aussi, et amena le nouveau musicien, M. Destouches, qui fait encore un autre opéra pour Fontainebleau 2. Après le dîner, il chanta plusieurs endroits de cet opéra, dont ces messieurs parurent charmés, et surtout M. Despréaux 3, qui prétendait les entendre fort distinctement, et qui raisonna fort, à son ordinaire, sur la musique. Le musicien fut fort étonné que je n'eusse point entendu son dernier opéra. M. Pespréaux lui en voulut dire les raisons qui l'étonnèrent encore davantage, et peutêtre ne le satisfirent pas beaucoup. La plupart de ces messieurs me demandèrent fort obligeamment de vos nouvelles, et je leur dis que vous étiez l'homme du monde le plus content. Ils n'eurent pas de peine à le croire, connaissant M. l'ambassadeur comme ils font, et le regardant tout à la fois comme le plus aimable et le plus habile homme qui soit au monde. M. Despréaux leur dit combien il avait de plaisir à lire les lettres que vous m'écriviez, et les assura que vous seriez un jour très-digne d'être aimé de tous mes amis. Vous savez que les poëtes se piquent d'être prophètes; mais ce n'est que dans l'enthousiasme de leur poésie qu'ils le sont, et M. Despréaux leur parlait en prose. Ses prédictions ne laissèrent pas néanmoins de me faire plaisir, et de flatter un peu la tendresse paternelle. C'est à vous, mon cher fils, а

1. Le fils de Racine, âgé alors de vingt ans, avait été chargé, par M. de Torcy, de porter des dépêches à l'ambassade de France à La Haye.

2. Pour Fontainebleau. Résidence royale où Louis XIV allait chasser souvent et où il tenait sa cour. L'opéra en question était préparé pour le théâtre de ce palais.

· Opéra. Représentation théâtrale accompagnée de chant et de musique.

3. M. Despréaux. Boileau Despréaux, le poëte satirique, un des grands amis de Racine.

4. Ne le satisfirent pas beaucoup. C'était pour obéir à ses scrupules religieux que Racine s'abstenait d'assister aux représentations de l'opéra.

6. En latin, le même mot signifie poëte et prophète.

ne pas faire passer M. Despréaux pour un faux prophète. Je vous l'ai dit plusieurs fois: vous êtes à la source du bon sens, et de toutes les belles connaissances pour le monde et pour les affaires.

J'aurais une joie sensible de voir la maison de campagne dont vous faites tant de récit', et d'y manger avec vous des groseilles de Hollande. Ces groseilles ont bien fait ouvrir les oreilles à vos petites sœurs et à votre mère elle-même, qui les aime fort comme vous savez. Je ne saurais m'empêcher de vous dire qu'à chaque chose d'un peu bon que l'on nous sert sur la table, il lui échappe toujours de dire: Racine mangerait volontiers d'une telle chose. Je n'ai jamais vu en vérité une si bonne mère, ni si digne que vous fassiez votre possible pour reconnaître son amitié. Au moment que je vous écris ceci, vos deux petites sœurs me viennent apporter un bouquet pour ma fête qui sera demain, et qui sera aussi la vôtre. Trouverez-vous bon que je vous fasse souvenir que ce même saint Jean, qui est votre patron, est aussi invoqué par l'Église comme le patron des gens qui sont en voyage, et qu'elle lui adresse pour eux une prière qui est dans l'itinéraire 2, et que j'ai dite plusieurs fois.

9.

Lettre de Racine à son fils malade.

RACINE.

Au camp devant Namur 10 juin 1692 3.

Vous pouvez juger par toutes les inquiétudes que m'a causées votre maladie, combien j'ai de joie de votre guérison. Vous avez beaucoup de grâces à rendre à Dieu, de ce qu'il a permis qu'il ne vous soit arrivé aucun fâcheux accident, et que la fluxion qui vous était tombée sur les yeux n'ait point eu de suite. Je loue extrêmement la reconnaissance que vous témoignez pour tous les soins que votre mère a pris de vous. J'espère que vous ne les oublierez jamais, et que vous vous acquitterez de toutes les obligations que vous lui avez, par beaucoup de soumission à tout ce qu'elle désirera de vous. Votre lettre m'a fait beaucoup de plaisir; elle est fort sagement écrite, et c'était la meilleure et la plus agréable marque que vous me pussiez donner de votre guérison. Mais ne vous pressez pas encore de retourner à l'étude; je vous conseille de ne lire que des choses qui vous fassent plaisir sans vous donner trop de peine, jusqu'à ce que le médecin qui vous a traité vous donne permission de recommencer votre travail. 1. Tant de récit. Familier, pour dont vous parlez tant.

2. Itinéraire. Formule de prières pour les voyageurs.

3. Racine suivait le roi dans sa campagne de Flandre et se trouvait au siége de la ville de Namur. Son fils était resté avec sa famille à Paris.

Faites bien des amitiés pour moi à M. Chapelier', et faites en sorte qu'il ne se repente point de toutes les peines qu'il a prises pour vous. J'espère que j'aurai bientôt le plaisir de vous revoir, et que la reddition du château de Namur suivra de près celle de la ville. Adieu, mon cher fils. Faites bien mes compliments à vos sœurs je ne sais pourtant si on leur permet de vous rendro visite; je crois que ce ne sera pas si tôt : réservez donc à leur faire mes compliments, quand vous serez en état de les voir.

40. L'anniversaire.

Hélas! après dix ans je revois la journée

RACINE.

Où l'âme de mon père aux cieux est retournée!
L'heure sonne; j'écoute... O regrets! ô douleurs!
Quand cette heure eut sonné, je n'avais plus de père:
On retenait mes pas loin du lit funéraire;

On me disait : « Il dort; » et je versais des pleurs.
Mais du temple voisin quand la cloche sacrée
Annonça qu'un mortel avait quitté le jour,
Chaque son retentit dans mon âme navrée,
Et je crus mourir à mon tour.

Tout ce qui m'entourait me racontait ma perte.
Quand la nuit dans les airs jeta son crêpe noir",
Mon père à ses côtés ne me fit plus asseoir,
Et j'attendis en vain à sa place déserte
Une tendre caresse et le baiser du soir.

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Je pleurais tous les jours, même auprès de ma mère
Ce long regret, dix ans ne l'ont point adouci ";
Je ne puis voir un fils dans les bras de son père,

Sans dire en soupirant : « J'avais un père aussi! »

1. M. Chapelier. C'était un ecclésiastique qui servait de précepteur au jeune Racinc. 2. Le château se rendit le 30 juin, vingt-cinq jours après la ville.

8. Réservez, etc. Pour « attendez, pour leur faire mes compliments, que vous soyez, etc. "

4. Son crêpe noir. Pour «son ombre noire comme un crêpe.» Étoffe noire qu'on porte en signe de deuil. Mots de la famille : crêper, crépu.

5. L'ombre auguste.

vénérée.

L'ombre, l'image, la ressemblance; auguste, vénérable,

6. Remarquer ces tours qui, en s'éloignant de la construction grammaticale, donnent plus de force et de vivacité à la pensée : Inconsolable en mes ennuis, je pleurais, etc.; Ce long regret, etc.

Son image est toujours présente à ma tendresse.
Ah! quand le pâle automne aura jauni les bois,
O mon père! je veux promener ma tristesse '
Aux lieux où je te vis pour la dernière fois.
Sur ces bords que la Somme arrose,
J'irai chercher l'asile où ta cendre repose;
J'irai d'une modeste fleur
Orner ta tombe respectée;

Et sur la pierre, encor de larmes humectée,
Redire ce chant de douleur.

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Dès que je fus éloigné d'elle, je me laissai tomber dans l'affliction la plus profonde, et tous les souvenirs qui me suivirent dans mon voyage s'accordèrent pour m'accabler. « Dans peu, je ne l'aurai donc plus cette mère qui depuis ma naissance n'avait respiré que pour moi, cette mère adorée à qui je craignais de déplaire comme à Dieu, et, si je l'osais dire, encore plus qu'à Dieu même ; » car je pensais à elle bien plus souvent qu'à Dieu; et lorsqu'il me venait quelque tentation à vaincre, quelque passion à réprimer, c'était toujours ma mère que je me figurais présente. «Que dirait-elle, si elle savait ce qui se passe en moi! Quelle en serait sa honte, ou quelle en serait sa douleur! >> Telles étaient les réflexions que je m'opposais à moi-même, et dès lors ma raison reprenait son empire. Ceux qui, comme moi, l'ont connu, cet amour filial si tendre, n'ont pas besoin que je leur dise quels étaient ma tristesse et l'abattement de mon âme.

12.- La pauvre falle.

J'ai fui ce pénible sommeil

MARMONTEL

Qu'aucun songe heureux n'accompagne,

1. Comme on dit porter sa tristesse, on dit aussi promener sa tristesse, scs ennuis.

2. La Somme. Rivière qui se jette dans la Manche après avoir arrosé le département auquel elle donne son nom.

3. Quelque légitimes que soient nos sentiments d'amour pour une mère, quelque louable et naturelle que soit la crainte de lui déplaire, ces sentiments ne doivent jamais faire oublier à un enfant ses devoirs envers Dieu. L'auteur a donc raison d'éprouver une espèce de honte d'avoir craint de déplaire à sa mère plus qu'à Dieu. 4. J'ai fui ce pénible. Le sommeil troublé par des songes tristes est un tourment piutôt qu'un repos. La pauvre fille cherche donc à l'abréger et à s'y dérober; de là l'expression j'ai fui.

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