Images de page
PDF
ePub

Les agréments de nos forêts ne le cèdent pas à ceux de nos champs. Si les bois ne renouvellent pas leurs arbres avec les saisons, chaque espèce présente, dans le cours de l'année, les progrès de la prairie. D'abord les buissons donnent leurs fleurs; les chèvrefeuilles déroulent leur tendre verdure; l'aubépine parfumée se couronne de nombreux bouquets; les ronces laissent pendre leurs grappes d'un bleu mourant; les merisiers sauvages embaument les airs et semblent couverts de neige au milieu du printemps; les néfliers entr'ouvrent leurs larges fleurs aux extrémités d'un rameau cotonneux; les ormes donnent leurs fruits; les hêtres développent leur superbe feuillage, et enfin le chêne majestueux se couvre le dernier de ses feuilles épaisses qui doivent résister à l'hiver.

19.

BERNARDIN DE SAINT-PIERRE.

Excellence de la nature de l'homme.

Tout marque dans l'homme, même à l'extérieur1, sa supériorité sur tous les êtres vivants. Il se soutient droit et élevé; son attitude est celle du commandement; sa tête regarde le ciel et présente une face auguste sur laquelle est imprimé le caractère de sa dignité : l'image de l'âme y est peinte par la physionomie; l'excellence de sa nature perce à travers les organes matériels et anime d'un feu divin les traits de son visage; son port majestueux, sa démarche ferme et hardie, annoncent sa noblesse et son rang; il ne touche à la terre que par ses extrémités les plus éloignées, il ne la voit que de loin, et semble la dédaigner; les bras ne lui sont pas donnés pour servir de piliers, d'appui à la masse de son corps; sa main ne doit pas fouler la terre et perdre, par des frottements réitérés, la fines sedu toucher dont elle est le principal organe; le bras et la main sont faits pour servir à des usages plus nobles, pour exécuter les ordres de la volonté, pour saisir les choses éloignées, pour écarter les obstacles, pour prévenir les rencontres et le choc de ce qui pourrait nuire, pour embrasser et retenir ce qui peut plaire, pour le mettre à portée des autres sens.

Lorsque l'âme est tranquille, toutes les parties du visage sont dans un état de repos; leur proportion, leur union, leur ensemble, marquent encore assez la douce harmonie des pensées, et répondent au calme de l'intérieur 1; mais lorsque l'âme est agi

1. Extérieur, intérieur. Remarquer ici le rôle opposé des deux préfixes exter, inter, formés des deux préfixes simples ex, in; la première indiquant la séparation, l'extérieur, la seconde l'inclusion, l'intérieur. Suivre ces deux racines

tée, la face humaine devient un tableau vivant, où les passions sont rendues avec autant de délicatesse que d'énergie, où chaque mouvement de l'âme est exprimé par un trait, chaque action par un caractère dont l'impression vive et prompte devance la volonté, nous décèle et rend au dehors, par des signes pathétiques1, les images de nos secrètes agitations.

C'est surtout dans les yeux qu'elles se peignent, et qu'on peut les reconnaître l'œil appartient à l'âme plus qu'aucun autre organe; il semble y toucher et participer à tous ses mouvements; il en exprime toutes les passions les plus vives et les émotions les plus tumultueuses, comme les mouvements les plus doux et les sentiments les plus délicats; il les rend dans toute leur force, toute leur pureté, tels qu'ils viennent de naître; il les transmet par des traits rapides qui portent dans une autre âme le feu, l'action, l'image de celle dont ils partent; l'œil reçoit et réfléchit en même temps la lumière de la pensée et la chaleur du sentiment : c'est le sens de l'esprit et la langue de l'intelligence.

[blocks in formation]

Immortalité de l'âme.

Je pense. La pensée, éclatante lumière,

BUFFON.

Ne peut sortir du sein de l'épaisse matière.
J'entrevois2 ma grandeur. Ce corps lourd et grossier
N'est donc pas tout mon bien, n'est pas moi tout entier.
Quand je pense, chargé de cet emploi sublime,

Plus noble que mon corps, un autre être m'anime 3.

dans leurs principales transformations: inter-ne, intérieur, intu-ition, introduction, in-struction, intel-ligence, intrin-sèque, im-pression; exter-ne, extérieur, extrémité, extra-vaguer, extra-dition, extrin-sèque, ex-cellence, ex-pression, é-motions.

1. Signes pathétiques. « Signes qui expriment vivement les passions. » Passions. « Ce que l'âme éprouve, sentiments violents, émotions vives. » Remarquer les transformations de ces deux radicaux exprimant la même idée par deux formes empruntées à deux langues différentes, caractérisées par les préfixes propres à chacune d'elles 1o passion, passionné, passif, pâtir, patience, patient; com-passion, com-patible, com-pâtir; im-patient (in négatif, qui n'est pas patient), impassible, qui ne souffre pas, qui n'éprouve rien; 2o pathétique, pathos, a-pathie (a privatif ou négatif), a-pathique, qui ne sent rien, qui est sans passion; sympathie, qui éprouve avec, sympathique, compatissant; anti-pathique, qui inspire des sentiments opposés, contraire.

2. Remarquer la justesse de ce mot composé entrevoir. La pensée est le premier trait de lumière qui révèle à l'homme sa grandeur, en lui faisant entrevoir qu'il a en lui quelque chose qui l'élève au-dessus de la matière.

3. L'homme se compose de deux parties: le corps, formé d'organes matériels; l'âme, pur esprit, souffle ou émanation divine qui anime le corps, qui est le principe de sa vie.

Je trouve donc qu'en moi, par d'admirables nœuds,
Deux êtres opposés sont réunis entre eux :
De la chair et du sang, le corps, vil assemblage,
L'âme1, rayon de Dieu, son souffle, son image.
Ces deux êtres, liés par des nœuds si secrets,
Séparent rarement leurs plus chers intérêts :
Leurs plaisirs sont communs, aussi bien que leurs peines.
L'âme, guide du corps, doit en tenir les rênes;
Mais par des maux cruels quand le corps est troublé,
De l'âme quelquefois l'empire est ébranlé.
Dans un vaisseau brisé, sans voile, sans cordage,
Triste jouet des vents, victime de leur rage,
Le pilote effrayé, moins maître que les flots,
Veut faire entendre en vain sa voix aux matelots,
Et lui-même avec eux s'abandonne à l'orage.
Il périt; mais le nôtre est exempt du naufrage.
Comment périrait-il? le coup fatal au corps
Divise ses liens, dérange ses ressorts;

Un être simple et pur n'a rien qui se divise,
Et sur l'âme la mort ne trouve point de prise.
Que dis-je? tous ces corps dans la terre engloutis,
Disparus à nos yeux, sont-ils anéantis?

D'où nous vient du néant cette crainte bizarre?
Tout en sort, rien n'y rentre2 et la nature avare
Dans tous ses changements ne perd jamais son bien.
Ton art ni tes fourneaux n'anéantiront rien,
Toi qui, riche en fumée, ô sublime alchimiste!
Dans ton laboratoire invoques Trismegiste3.
Tu peux filtrer, dissoudre, évaporer ce sel;
Mais celui qui l'a fait veut qu'il soit immortel.
Prétendras-tu toujours à l'honneur de produire,
Tandis que tu n'as pas le pouvoir de détruire?
Si du sel ou du sable un grain ne peut périr,
L'être qui pense en moi craindra-t-il de mourir?
Qu'est-ce donc que l'instant où l'on cesse de vivre?

1. Ame, animer, animal, inanimé, mots de la même famille. Mais l'Ame, principe de vie, de sensibilité dans l'homme et dans les animaux, est de plus exclusivement dans l'homme le principe de la pensée et de la raison qui l'élèvent au-dessus des animaux et le rapprochent de Dieu.

2. Antithèse admirable de précision et de force.

3. Trismegiste. Mercure Trismégiste, c'est-à-dire trois fois grand, auquel les alchimistes rapportaient l'invention de leur science chimérique.

L'instant où de ses fers une âme se délivre.

Le corps, né de la poudre, à la poudre est rendu ;
L'esprit retourne au ciel, dont il est descendu.

[blocks in formation]

Salut, principe et fin de toi-même et du monde,
Toi qui rends d'un regard l'immensité féconde;
Ame de l'univers, Dieu, père, créateur.

Sous tous ces noms divers, je crois en toi, Seigneur;
Et, sans avoir besoin d'attendre ta parole,

Je lis au front des cieux' mon glorieux symbole.
L'étendue à mes yeux revèle ta grandeur,

La terre, ta bonté, les astres, ta splendeur :
Tu t'es produit toi-même en ton brillant ouvrage;
L'univers tout entier réfléchit ton image,

Et mon âme à son tour réfléchit l'univers 2.
Ma pensée, embrassant tes attributs divers,
Partout autour de toi te découvre et t'adore,
Se contemple soi-même, et t'y découvre encore.
Ainsi l'astre du jour éclate dans les cieux,
Se réfléchit dans l'onde, et se peint à mes yeux...
Oui, j'espère, Seigneur, en ta magnificence :
Partout, à pleines mains, prodiguant l'existence,
Tu n'auras pas borné le nombre de mes jours
A ces jours d'ici-bas, si troublés et si courts.
Je te vois en tous lieux conserver et produire:
Celui qui peut créer dédaigne de détruire.
Témoin de ta puissance, et sûr de ta bonté,
J'attends le jour sans fin de l'immortalité.

La mort m'entoure en vain de ses ombres funèbres 3,

1. Belle métaphore qui rappelle le vers non moins beau de La Fontaine :

Il lit au front de ceux qu'un vain luxe environne

Que la fortune vend ce qu'on croit qu'elle donnne.

2. Belle image, pleine de précision et de grandeur. L'univers est comme le miroir où se peignent la puissance, la sagesse et la bonté de Dieu; et l'âme, l'intelligence de l'homme, est un miroir où se peint à son tour l'immensité de l'univers. Réfléchir, au sens propre, recevoir un trait de lumière, une image, et la renvoyer au dehors; » au sens figuré, « recevoir une pensée et la retenir pour l'examiner." Suivre les variations de cette racine fléchir : infléchir, réfléchir, flexible, flexion, circonflexe, inflexible, génuflexion; reflet, refléter.

3. Funèbres. « Qui appartient aux funé-railles. » Faire ressortir le rôle des désinences par la signification diverse des trois adjectifs funèbres, funéraires, funestes, qui ont un radical identique et ne diffèrent que dans leur dernière syllabe.

Ma raison voit le jour à travers ces ténèbres;
C'est le dernier degré qui m'approche de toi,
C'est le voile qui tombe entre ta face et moi.
Hâte pour moi, Seigneur, ce moment que j'imploro;
Ou, si dans tes secrets tu le retiens encore,
Entends du haut du ciel le cri de mes besoins :
L'atôme et l'univers sont l'objet de tes soins;
Des dons de ta bonté soutiens mon indigence;
Nourris mon corps de pain, mon âme d'espérance;
Réchauffe d'un regard de tes yeux tout-puissants
Mon esprit éclipsé par l'ombre de mes sens;
Et, comme le soleil aspire la rosée,

Dans ton sein à jamais absorbe ma pensée1.

LAMARTINE.

22.Merveilleux mécanisme du corps humain.

2

Tout est ménagé dans le corps humain avec un artifice3 merveilleux. Le corps reçoit de tous côtés les impressions des objets, sans être blessé. On lui a donné des organes pour éviter ce qui l'offense ou le détruit; et les corps environnants, qui font sur lui ce mauvais effet, font encore celui de lui causer de l'éloignement. La délicatesse des parties, quoiqu'elle aille à une finesse inconcevable, s'accorde avec la force et avec la solidité. Le jeu des ressorts n'est pas moins aisé que ferme à peine sentons-nous battre notre cœur, nous qui sentons les moindres mouvements du dehors, si peu qu'ils viennent à nous; les artères vont, le sang circule, les esprits coulent, toutes les parties s'incorporent leur

1. Ces deux derniers vers, où l'énergie de l'expression s'allie à la grâce de l'image, terminent dignement cet admirable morceau.

2. Ménagé. « Disposé.» Ménage, ensemble des travaux domestiques, administration de la maison. Ménager, administrer le ménage, et par extension économiser, épargner, ordonner, disposer d'une manière judicieuse. Le mot économie, tiré d'une autre langue, présente une signification analogue. Il veut dire administration de la maison, et par extension, comme plus loin dans ce morceau, bon ordre, disposition judicieuse.

3. Artifice. Sens propre « qui est fait avec art, » d'une manière ingénieuse. Il s'emploie plus ordinairement dans un sens détourné et avec une idée défavorable : Défiez-vous de ses artifices. Composé de art et de faire, dont les formes de racine sont très-variées : fai, fa, fact, fi, faiseur, facile, facteur, difficile, etc.

4. Organes. Instruments pouvant remplir une fonction, parties du corps humain correspondant au service des sens et des fonctions vitales. Par extension, parties d'une machine qui remplissent dans les fonctions de cette machine un rôle analogue à celui que remplit l'organe dans le corps humain. Famille: Organiser, organisme, désorganiser, orgues.

5. Esprits. On désignait alors par le mot esprits ce que l'on appelle aujour

IIe PARTIE.

« PrécédentContinuer »