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Et la chaleur de mes tisons.
C'est là, c'est dans cet Élysée 1,
Frais à l'œil, doux à la pensée,
Cher au cœur, que j'aime à venir,
Au sein d'un asile modeste,
Avec un ami qui me reste,
Ou rêver ou m'entretenir,
En admirant un site agreste,
Ou ce beau dôme bleu céleste,
Palais d'un heureux avenir.
Bois pur où rien ne m'inportune,
Où des cours et de la fortune
J'ignore la pompe et les fers 2;
Où je me plais, où je m'égare,
Où d'abord ma muse 3 s'empare
De la liberté des déserts;
Où je vis avec l'innocence,
Le sommeil et la douce aisance,
Et l'oubli de cet univers;
Loin de moi jetant dans les airs
Tous les orgueils de l'importance 1,
Tous les songes de l'espérance,
Et l'ennui de tous les travers;
Où par ma seule indépendance,
Ce que je sens, ce que je pense,
Devient des plaisirs et des vers5.
O le plus charmant bois de France,
Que de douceurs dans tes concerts!
Quel entretien dans ton silence!
Quel secret dans ta confidence!
Que de fraîcheur dans tes couverts!

27. -Les deux tapis.

Ducts.

J'ai acheté, il y a trois ans, un tapis ruineux pour le mettre dans mon cabinet de travail; c'est ainsi que j'appelle une cham

1. Par allusion aux Champs Élysées où la mythologie place le séjour des hommes vertueux après la mort.

2. Ducis avait refusé d'être sénateur sous l'empire, afin de ne pas sortir de ses goûts modestes et tranquilles.

3. Ma muse. Métonymie, pour « mon génie poétique. "

4. Métonymie, pour « l'orgueil qu'inspirent les charges ou les positions qui donnent de l'importance.» Remarquer l'emploi inusité d'orgueil au pluriel.

5, C'est-à-dire devient une source de jouissances et un sujet de vers.

bre assez bien arrangée, où je m'enferme parfois pour ne rien faire et ne pas être interrompu. Ce tapis représente des feuillages d'un vert sombre parsemés de grandes fleurs rouges. Hier, mes yeux sont tombés sur mon tapis, et je me suis aperçu que les couleurs en était fort passées, que le vert en est devenu d'un verdâtre assez laid, que le rouge est fané d'une manière déplorable, et que la laine est râpée et montre la corde sur tout l'espace qui conduit de la porte à la fenêtre, et de la fenêtre à mon fauteuil au coin de ma cheminée. Ce n'est pas tout; en dérangeant une énorme et pesante table de bois sculpté, j'ai fait un accroc au tapis. Tout cela m'a effrayé à un certain point; j'ai fait recoudre la déchirure, mais je n'ai pu rendre la fraîcheur au feuillage ni l'éclat aux fleurs rouges. Mais ce matin en me promenant au jardin, je me suis arrêté devant la pelouse qui en est à peu près le milieu.

<< A la bonne heure! me suis-je dit, voilà un tapis comme je les aime; toujours frais, toujours beau, toujours riche. » En effet, il m'a coûté soixante livres de graines de gazon, à cinq sous la livre, c'est-à-dire quinze francs, et il est à peu près du même âge que celui de mon cabinet, qui m'a coûté cent écus. Celui de cent écus n'a subi que de tristes changements; il est aujourd'hui pauvre, et plus pauvre qu'un autre de toute sa splendeur ternie, râpé, honteux, rapiécé. Celui-ci devient chaque année plus beau, plus vert, plus touffu. Et avec quel luxe il change et se renouvelle! Au printemps, il est d'un vert pâle et semé de petites marguerites blanches et de quelques violettes. Un peu après, le vert devient plus foncé, et les marguerites sont remplacées par des boutons d'or vernissés. Aux boutons d'or succèdent les trèfles rose et blanc. A l'automne, mon tapis prend une teinte un peu jaune, et au lieu du trèfle rose et du trèfle blanc, il est semé de colchiques qui sortent de terre comme de petits lis violets1. L'hiver, il est blanc de neige à éblouir les yeux. Puis, au printemps, comme dans l'automne on a quelquefois marché et dansé dessus, comme il est un peu écrasé, déchiré, il se raccommode de lui-même, de telle façon qu'on ne peut plus retrouver ses blessures ni même leurs cicatrices; pendant que mon autre tapis reste là avec ses éternelles fleurs rouges, qui ne font qu'enlaidir chaque jour, et avec ses déchirures mal recousues.

A. KARR.

1. Ces fleurs sont connues dans beaucoup de pays sous le nom de veilleuses, parce qu'elles annoncent les veillées d'hiver. Elles ne sont accompagnées d'aucune feuille, ont la hampe blanchâtre et délicate, et la corolle d'un violet bleu. Les feuilles poussent seules au printemps et sont vénéneuses ainsi que les fleurs.

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Suis-je seul? je me plais encore au coin du feu :
De nourrir mon brasier mes mains se font un jeu;
J'agace' mes tisons: mon adroit artifice
Reconstruit de mon feu le savant édifice;
J'éloigne, je rapproche, et du hêtre brûlant
Je corrige le feu trop rapide ou trop lent.
Chaque fois que j'ai pris mes pincettes fidèles,
Passent, en pétillant, des milliers d'étincelles;
J'aime à voir s'envoler leurs légers bataillons.
Que m'importe du Nord les fougueux tourbillons?
La neige, les frimas, qu'un froid piquant resserre,
En vain sifflent dans l'air, en vain battent la terre:
Quel plaisir, entouré d'un double paravent,
D'écouter la tempête et d'insulter au vent 2!
Qu'il est doux, à l'abri du toit qui me protége,
De voir à gros flocons s'amonceler la neige!
Leur vue à mon foyer prête un nouvel appas :
L'homme se plaît à voir les maux qu'il ne sent paз.
Mon cœur devient-il triste et ma tête pesante,
Eh bien! pour ranimer ma gaîté languissante,
La fève de Moka 3, la feuille de Canton,
Vont verser leur nectar dans l'émail du Japon.
Dans l'airain échauffé déjà l'onde frissonne;
Bientôt le thé doré jaunit l'eau qui bouillonne,
Ou des grains du Levant je goûte le parfum.
Point d'ennuyeux causeur, de témoin importun:
Lui seul de ma maison exacte sentinelle,
Mon chien, ami constant et compagnon fidèle,
Prend, à mes pieds, sa part de la douce chaleur.
Et toi, charme divin de l'esprit et du cœur,

1. J'agace. Métaphore pleine de vérité et de grâce, et qui exprime d'une manière charmante l'espèce de sentiment qui fait manier et remanier les tisons comme on agace un chien en le caressant.

2. Remarquer, dans ce beau vers, le sens détourné du verbe insulter au vent. Expression qui rend d'une manière heureuse le sentiment de celui qui, parfaitement garanti du vent, se moque de ses sifflements, et les entend sans les redouter. Voir sur le verbe insulter la note page 22.

3. Le meilleur café se recueille aux environs de Moka en Arabie; le thé nous vient de Canton en Chine, et la porcelaine la plus recherchée, du Japon.

4. Cette seconde métonymie pour désigner le café, déjà appelé fève de moka, n'est pas d'un bon effet.

IIе PARTIE.

Imagination! de tes douces chimères
Fais passer devant moi les figures légères :
A tes songes brillants que j'aime à me livrer!
Dans ce brasier ardent qui va le dévorer,
Par toi ce chêne en feu nourrit ma rêverie :
Quelles mains l'ont planté? quel sol fut sa patrie?
Sur les monts escarpés bravait-il l'aquilon?
Bordait-il le ruisseau? parait-il le vallon?
Peut-être il embellit la colline que j'aime;
Peut-être sous son ombre ai-je rêvé moi-même...
Tout à coup je l'anime : à son front verdoyant
Je rends de ses rameaux le panache ondoyant,
Ses guirlandes de fleurs, ses touffes de feuillage,
Et les doux entretiens que voila son ombrage.

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Le voilà donc déraciné

Delille.

Ce chêne au front immense, au tronc vaste et robuste, Ce chêne dont le temps, à détruire obstiné, Respectait la vieillesse auguste!

Le sol a gémi sous son poids :

Il a de sa ruine étonné les campagnes;
Et le bruit de sa chute, en traversant les bois,
A frappé l'écho des montagnes.

Dans ses rameaux l'aigle arrêté
N'asseoira plus son nid sur sa cime hautaine;
De loin, au voyageur, le vieux pâtre attristé
Ne montrera plus le grand chêne.

Souvent de sa fraîche épaisseur

Il couvrit le troupeau rassemblé sous ses ombres;
Souvent il protégea la halte du chasseur,
Abrité par ses rameaux sombres.

Majestueux sur le vallon,

Il déployait au loin son opulent ombrage;
Des autans, de la foudre et du noir aquilon,
Trois cents ans il brava l'outrage

La cognée eût craint de toucher

A ses pompeux rameaux, à ses fortes racines;

Le fer du bûcheron, n'osant en approcher,
S'éloignait du roi des collines.

Mais l'ouragan s'est élancé :

Vaincu par les assauts' de l'horrible tempête,
Le chêne sur la terre à grand bruit renversé

A vu tomber sa noble tête 2.

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Je ne conçois qu'une manière de voyager plus agréable que d'aller à cheval c'est d'aller pied. On part à son moment, on s'arrête à sa volonté, on fait tant et si peu d'exercice qu'on veut. On observe tout le pays et on se détourne à droite, à gauche; on examine tout ce qui nous flatte; on s'arrête à tous les points de vue. Aperçois-je une rivière, je la côtoie; un bois touffu, je vais sous son ombre; une grotte, je la visite; une carrière, j'examine les minéraux. Partout ou je me plais, j'y reste. A l'instant que je m'ennuie, je m'en vais. Je ne dépends ni des chevaux ni du postillon. Je n'ai pas besoin de choisir des chemins tout faits, des routes commodes, je passe partout où un homme peut passer; je vois tout ce qu'un homme peut voir, et, ne dépendant que de moi-même, je jouis de toute la liberté dont un homme peut jouir.

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Je me souviens d'avoir passé une nuit délicieuse hors de la ville, dans un chemin qui côtoyait le Rhône ou la Saône, car je ne me rappelle pas lequel des deux 3. Des jardins élevés en terrasse bordaient le chemin du côté opposé. Il avait fait très-chaud ce jour-là, la soirée était charmante, la rosée humectait l'herbe flétrie; point de vent, une nuit tranquille; l'air était frais sans être froid; le soleil, après son coucher, avait laissé dans le ciel des vapeurs rouges dont la réflexion rendait l'eau couleur de rose; les arbres des terrasses étaient chargés de rossignols, qui se répondaient l'un à l'autre. Je me promenais dans une sorte

1. Assauts. « Attaques, "de assaillir. Formes de la racine saut, sauter, sautiller; sail, saillir, tressaillir, assaillir; sult, insulter.

2. Rapprocher ce morceau de la belle fable d'Arnault intitulée: Le chêne et les buissons, page 56.

3. La tradition locale désigne le chemin des Étroits, sur le bord de la Saône. Le site répond assez bien à la description de Rousseau.

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