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l'avantage de persuader, est-il juste d'en contester le mérite, quand il est reconnu par des hommes tels que ceux que nous venons de nommer?

Ce serait un effort digne de la nouvelle philosophie, et qu'elle devrait du moins avoir tenté, que de leur opposer enfin une réfutation sérieuse et méthodique. On est étonné de voir ses prosélytes, au lieu de se réunir et d'essayer une attaque régulière contre l'ouvrage d'Abbadie, se disperser, pour ainsi dire, en troupes légères, et se borner à de simples escarmouches. Il est vrai que, pour engager le combat, il faudrait renoncer aux plaisanteries, aux objections vagues, se renfermer dans l'état de la question, embrasser l'ouvrage entier, battre en ruines ses preuves par une suite de raisonnemens qui en fissent sentir l'illusion, et mettre à la place de la morale évangélique, un nouveau code plus salutaire, plus consolant, plus utile au genre humain *. Jusques-là nous ne voyons pas

* L'Auteur de ces Mémoires a manifesté par-tout son respect pour la vraie philosophie, et le mépris que doit tout honnête homme à la superstition et au fanatisme. Il n'ignorait pas que cette rouille s'était malheureusement attachée

que la nouvelle philosophie puisse se prévaloir du moindre avantage, ni que le livre d'Abbadie ait rien perdu de sa réputation.

Ce n'est point assez de dire et de répéter sans preuves, après Voltaire, que cet écrivain soit mort fou, ce qui ne prouverait rien encore; il faut lui répondre, et sur-tout ne pas chercher dans ses derniers ouvrages, un malheureux subterfuge pour éluder la force des premiers. On sait qu'Abbadie, déjà vieux, eut la même faiblesse que Newton, et que sa raison parut faire naufrage dans un commentaire sur l'Apocalypse; mais c'est le sort de tous ceux qui n'ont pas craint de sonder les profondeurs de ce livre impénétrable; et de ce qu'un grand homme, dans un accès de fièvre, aura eu quelques instans de délire, on ne peut rien en conclure contre les preu

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depuis plusieurs siècles à la religion chrétienne, et qu'elle avait fourni des armes très-redoutables aux ennemis de cette religion mais en la purgeant de cet alliage impur, en la ramenant à l'auguste simplicité de son origine, enfin en écartant d'elle ce que les vaines disputes de l'école y ont ajouté, et sur-tout cette orgueilleuse intolérance, si opposée à l'esprit de l'Évangile, il n'y restera qu'un esprit de paix et d'amour, et le plus beau code de morale qui ait jamais été donné aux hommes.

ves d'excellent esprit qu'il a données dans son état naturel.

Abbadie fut un de ces Français qui, à la révocation de l'Édit de Nantes, portèrent loin de leur patrie des talens qu'elle regrette encore, et qui répandirent en Europe cet esprit de lumière dont les progrès ont été si rapides depuis la fin du dernier siècle.

Nous rendons cette justice à ces hommes célèbres, et parce qu'elle leur est due, et pour venger leur mémoire de l'ignorance audacieuse avec laquelle on a parlé de la plupart d'entre eux, dans un livre qui parut, il y a quelques années, sous le titre des Trois Siècles de notre Littérature; ouvrage postérieur aux premières éditions de ces Mémoires, et que l'auteur n'entreprit que dans l'espérance de se mettre en rivalité avec nous.

Les noms des Dumoulin, des Blondel, des Bochard, des Jacquelot, des Basnage, des Beausobre, etc., seront toujours respectables pour quiconque aura été à portée de se familiariser avec leurs ouvrages. Si par la fatalité des circonstances, quelques-uns de ces hommes chers aux sciences et aux lettres ont été entraînés dans les disputes épineuses des

controverses, on peut en gémir sans doute, et regretter un temps qu'ils auraient mieux employé aux progrès de nos connaissances: mais dans ces controverses même, qui ne sont pas sans intérêt pour nous, puisqu'enfin l'on y traite des points fondamentaux de notre religion, ils ont déployé une vigueur de raisonnement à laquelle, malgré la disparité d'opinions, nous ne pouvons refuser l'admiration qu'elle mérite, et dont, à l'égard de quelques-uns d'eux, Bossuet lui-même ne se croyait pas dispensé.

C'est donc avec justice que nous avons été révoltés de la manière indécente dont l'auteur des Trois Siècles a parlé de ces hommes estimables, et de leurs ouvrages qu'il ne connaît pas. C'est avec la même ignorance qu'il a cru caractériser les écrivains les plus célèbres de Port-Royal, M. Duguet entre autres, à qui il reproche de l'âcreté, tandis que personne n'a moins connu l'aigreur que ce pieux solitaire, et n'a écrit dans un genre plus opposé à l'esprit polémique. Mais le comble du ridicule pour ce compilateur, qui se permet de traiter d'obscurs des hommes du plus rare mérite, c'est d'avoir employé la

plus grande partie de son ouvrage à tirer du néant des auteurs inconnus, et dont on trouverait à peine les noms ailleurs que dans son catalogue. On est étonné de les y voir comblés d'éloges en apprenant leur existence, et rien ne fait mieux sentir ce qu'on doit penser de leur panégyriste: mais, pour l'honneur de la nation, on ne peut trop se presser de prévenir les étrangers que cette misérable compilation des Trois Siècles, soutenue un moment par l'esprit de parti qui avait présidé à sa rédaction, est enfin tombée dans un mépris dont elle ne se relèvera jamais.

Cette digression qui n'eût point trouvé sa place ailleurs, parce qu'Abbadie est peutêtre le seul théologien protestant dont nous aurons occasion de parler, nous a paru nécessaire pour faire connaître le peu de cas que nous faisons d'un ouvrage dont l'auteur semble n'avoir eu d'autre but que de travestir ces Mémoires, et pour manifester la disposition où nous sommes d'honorer le mérite sans aucune acception ni de personne ni de parti.

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