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homme célèbre a été marié, combien il a eu d'enfans, les voyages inutiles qu'il a faits, les noms de ses généreux protecteurs, et quelquefois de ses tyrans ; je suis accablé de petits détails, et je ne sais rien de ce que je voudrais savoir.

Quoique je n'eusse d'abord entrepris cet ouvrage que pour mon utilité particulière, il est devenu cependant un de mes ouvrages de prédilection, et même un de ceux que j'ai travaillés avec le plus de soin. Ce n'est point un livre fait avec des livres; c'est un Cours de littérature qu'il m'eût été facile d'étendre, si je n'avais voulu faire qu'une compilation, mais dans lequel je me suis imposé des bornes pour ne parler d'aucun auteur qui ne me fùt très-connu, et pour ne présenter au public que mes propres idées.

On trouvera, dans cette nouvelle édition, plusieurs articles ajoutés; mais c'est moins par ces nouveaux articles que par ceux que j'ai entièrement refondus, que

j'ose la croire supérieure aux éditions précédentes. Je ne me dissimulais pas que, plus jeune, et sous un régime moins favorable à la liberté, j'avais été forcé de céder quelquefois, soit à des égards qu'on appelait de convenance et qui n'en étaient pas moins rigoureusement exigés, soit même à des séductions de société. Mais au terme de ma carrière, et n'étant plus assujéti à de vains ménagemens de politique ou de complaisance, j'ai supprimé tout ce qui portait l'empreinte de cette servitude, et j'ai osé dire sans passion, mais avec courage, tout ce qui m'a paru la vérité.

J'avoue qu'en donnant à ces Mémoires ce caractère de franchise austère dont rien ne peut dispenser dans un ouvrage destiné à devenir classique, et qui a été cité souvent comme autorité, j'ai balancé plus d'une fois si cette édition paraîtrait ou non pendant ma vie. Plusieurs de mes amis savent même que résolu d'abord à ce qu'elle ne parût qu'après moi, j'en avais composé la préface dans cette in

tention. Parvenu en effet à un âge qui doit me commander le repos, je voulais écarter de mes dernières années les tempêtes de l'amour - propre irrité : mais d'autres considérations ont prévalu. Si je ne suis plus au temps où le feu de la jeunesse et le zèle des bons principes me permettaient de défier ces orages, j'ai acquis du moins le sens froid qui apprend à dédaigner l'injure, et je me suis fermement promis de n'y plus opposer que le silence du mépris. Je me résigne à ma destinée, comme le vieux lion de la fable; les ennemis peuvent accourir, ils ne troubleront pas ma paix.

J'avais pu dans la Dunciade, en m'égayant aux dépens de quelques-uns de nos prétendus beaux-esprits, me donner toute la liberté que la poésie permet à l'imagination; j'ai dû prendre, dans ces Mémoires, un ton plus sévère, motiver mes jugemens, soutenir enfin le caractère d'impartialité qui leur a concilié, depuis plus de trente ans, la faveur publique,

non-seulement en France, mais chez l'étranger. S'il m'est arrivé quelquefois de me servir de l'arme du ridicule, je ne l'ai employée du moins qu'à l'égard de quelques écrivains dont il est impossible de parler sérieusement, et pour me conformer au vou d'Horace, qui en donne à la fois le précepte et l'exemple.

Ceux qui m'ont accusé sans pudeur d'avoir été l'ennemi de la philosophie, quoiqu'à la tête de l'ouvrage qui a servi de prétexte à cette injure, j'eusse dit expressément que la philosophie ne pouvait avoir d'ennemis qu'aux Petites-Maisons, ne manqueront pas de répéter cette vieille sottise: car j'ai eu le temps d'observer que les sottises ne mouraient pas; mais le nom de philosophe, qu'une secte audacieuse et intolérante avait profané en se l'arrogeant exclusivement, n'avait rien de commun avec cette philosophie que j'ai toujours respectée, et qui loin d'avoir contribué aux malheurs de la France, en est, au contraire, la consolation et le remède. Il en était de ces imposteurs de

philosophie comme de ces brigands qui ont usurpé de nos jours le nom de patriotes, et qui traitaient d'ennemis de la liberté et de la patrie, tous ceux qui ne partageaient pas leurs fureurs.

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J'invite seulement les ames honnêtes que cette inculpation de la calomnie pourrait avoir séduites, à consulter dans ces Mémoires les articles Bayle, Buffon, Helvétius, Montaigne, Montesquieu Rousseau de Genève, et Voltaire ; elles se convaincront par leurs yeux de la justice que j'ai constamment rendue à ces hommes supérieurs, même en ne dissimulant pas les faiblesses ou les erreurs qu'on peut reprocher à quelques - uns d'eux, mais qu'ils ont couvertes de l'éclat de leur génie.

D'autres articles, tels que celui de Fréron, par exemple, prouveront tout mon mépris pour ces pieux anti-philosophes, qui ne signalent leur prétendu zèle pour la religion que par la délation et par l'insulte, et qui rendraient, comme

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