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J'ai le regret de constater que ces témoignages de la confiance que nous placions dans les dispositions du Cabinet de Vienne n'ont pas été mieux compris que ne l'a été la pensée qui a présidé à notre déclaration.

Il m'est difficile de me rendre compte de l'assertion de M. le comte de Beust quant à l'accueil plus que froid qu'aurait rencontré de notre part l'initiative qu'il avait bien voulu prendre en 1867 d'une proposition destinée à amener la révision du Traité de Paris.

Je me souviens au contraire que cette initiative avait été très-vivement appréciée chez nous.

Dès le mois de novembre 1866, M. le comte Stackelberg avait reçu l'ordre de dire à M. le comte de Beust, en réponse aux dispositions amicales qu'il nous témoignait dès cette époque, » que nous le félicitions d'inaugurer une ère nouvelle à vues larges et élevées dans la politique de l'Autriche appliquée à l'Orient, et que la pensée dont il s'inspirait était assurée de notre concours.»

Je regretterais si cette impression n'avait pas été exactement transmise à Vienne par ses organes directs.

Quant à la réalisation pratique de ce bon vouloir, les circonstances du moment ont pu ne pas nous paraître favorables. Ce sentiment était amplement justifié par les expériences que nous avions faites précédemment. En 1859, l'initiative de M. le comte de Rechberg n'avait abouti à aucun résultat. Elle avait rencontré les susceptibilités du Gouvernement français, éveillé la méfiance du Cabinet de Londres. Nous avons dû prévoir que celle de M. le comte de Beust aurait le même sort et que, tout en attestant ses vues amicales à notre égard, elle ferait reculer la question au lieu de l'avancer pratiquement.

Mais l'intention n'en a pas moins été appréciée; et ce qui prouve combien j'en avais gardé bon souvenir, c'est précisément l'appel confiant que j'ai fait à ces précédents en transmettant à M. le Chancelier Austro-Hongrois notre communication du 19 octobre.

Je crois encore que ces précédents étaient mieux faits pour améliorer les relations des deux pays que l'argumentation actuelle de M. le comte de Beust.

En tous cas, ils répondent en même temps aux observations de M. le Chancelier quant à la forme de notre communication. Il signale la différence essentielle qui existe entre la combinaison suggérée par lui en 1867, et celle que nous avons choisie. La première avait pour but d'écarter les entraves apportées à la liberté d'action de la Russie dans la mer Noire, d'après les formes mêmes déterminées par le Traité, c'est-à-dire par un examen des Cours signataires, tandis que la décla

ration actuelle du Cabinet Impérial résout la question par un acte unilatéral.

Si M. le comte de Beust veut bien se rappeler les tentatives infructueuses qui ont été faites, à diverses reprises, pour réunir les Puissances Européennes en délibération commune dans le but d'écarter les causes de complications qui menacaient la paix générale, et l'insuccès des initiatives amicales prises, soit par le comte de Rechberg en 1859, soit par lui-même en 1867, au sujet des clauses du Traité de Paris, qui constituaient uu grief permanent pour la Russie, il reconnaîtra que, la voie d'une délibération Européenne étant fermée, aussi bien que celle des interventions particulières, il ne nous restait pas d'autre alternative que d'accepter indéfiniment une position reconnue intolérable ou bien de prendre nous-mêmes l'initiative d'exposer franchement aux Cours signataires du Traité de 1856, l'impossibilité où nous étions de nous lier plus longtemps à la clause de limitation.

M. le comte de Beust me permettra de lui témoigner quelque surprise au sujet de son assertion, que notre démarche pourrait être envisagée comme une preuve que nous jugions le moment actuel favorable pour prendre en mains ce qu'on est convenu d'appeler la question d'Orient.

Je crois qu'il est difficile d'être plus explicite à cet égard que ne l'est notre dépêche du 19 octobre. Elle déclare positivement que notre Auguste Maître ne veut point soulever la question d'Orient, et que Sa Majesté maintient entièrement son adhésion aux principes généraux qui ont fixé la position de la Turquie en Europe. Elle réserve en outre explicitement une entente entre les Cours signataires pour entourer ces principes des garanties qui seraient jugées nécessaires.

A notre avis, si cette entente s'établissait sur les bases que nous avons émises, loin d'être un stimulant pour les aspirations de populations orientales, elle deviendrait le meilleur gage qui ait jamais pu être donné à la paix de l'Orient.

Ce qui au contraire pourrait troubler cette paix, ce serait si l'appel loyal fait par la Russie à l'équité des Puissances signataires, rencontrant de leur part un accueil défiant, laissait subsister une divergence absolue entre leurs résolutions et les nôtres qui excluerait la possibilité d'une entente.

En pareil cas, la responsabilité des conséquences ne saurait nous être attribuée.

Veuillez, Monsieur, faire part de ces observations à M. le comte de Beust, en lui donnant lecture et copie de la présente dépêche. J'aime à espérer qu'un examen plus attentif de nos communications le con

vaincra de la parfaite loyauté et en même temps de l'esprit de conciliation qui nous les a dictées.

Nous sommes, je le répète, prêts à nous associer à toute entente qui aurait pour objet des garanties générales destinées à consolider le repos de l'Orient.

Cette entente nous paraît désirable et facile, si les Cours signataires s'inspiraient des mêmes sentiments qui nous animent.

Nous nous plaisons à en trouver un gage dans l'assurance que M. le comte de Beust exprime en terminant, « qu'il conserve la conviction que les Transactions de 1856 ont placé la Russie sur la mer Noire dans une situation peu digne d'une grande Puissance, en amoindrissant le rôle qu'elle est appelée à jouer dans les eaux qui baignent son territoire. >>

M. le Chancelier Austro-Hongrois a l'esprit trop pratique pour ne pas comprendre que la tranquillité de l'Orient ne peut pas reposer sur une pareille base, et il a trop le sentiment de la dignité de son pays pour ne pas apprécier les déterminations que nous suggère la conscience que nous avons de la nôtre.

Signé: GORTSCHAKOFF.

No 40.

LE COMTE DE BEUST AU COMTE APPONYI, A LONDRES.

Vienne, le 23 novembre 1870.

Je profite du courrier anglais pour vous donner quelques indications confidentielles sur le langage que vous devez tenir à Lord Gran ville dans la question soulevée par la circulaire russe du 19-31 octo. bre dernier.

Ce que Votre Excellence doit prendre pour point de départ et règle générale, c'est que nous ne ferons rien pour envenimer l'affaire, que nous nous abstiendrons de toute excitation, mais que nous ne nous attacherons que davantage à montrer de la fermeté et à repousser les tentatives d'intimidation. Nous sommes loin de désirer la guerre, nous l'éviterons avec plaisir et nous ne pousserons donc ni la Turquie, ni l'Angleterre à recourir à des mesures extrêmes. Votre Excellence peut l'affirmer en toute occasion et représenter comme apocryphes les nouvelles que débitent certains journaux sur l'activité que je déploie dans ce sens. Mais je désire que le cabinet anglais sache tout aussi positivement que, s'il veut montrer de l'énergie, il peut entièrement compter sur nous et que notre concours lui est en tout cas assuré.

J'attends l'effet de nos réponses à Saint-Pétersbourg, et je suis en

tièrement d'avis que, pour le moment, il n'y rien d'autre à faire. Tant que le Gouvernement russe se borne à des paroles ou à des déclarations, nous n'avons pas besoin de lui opposer d'autres armes. Ce n'est que si la Russie procédait à appuyer son langage par des actes, qu'il y aurait lieu d'aviser aux mesures à prendre. Des voies de fait de sa part pourraient en provoquer d'autres; dans ce cas, je le répète, une attitude énergique nous paraîtrait fort justifiée et nous serions prêts à suivre l'Angleterre jusqu'où elle voudrait aller.

Maintenant il ne s'agit guère de part et d'autre que de produire un effet moral, et il peut nous suffire de contrebalancer l'effet de la démarche de la Russie en refusant d'admettre comme fondées les prétentions qu'elle élève. Si l'accord des autres Puissances se manifeste sur ce point d'une manière éclatante, nous pouvons nous contenter de ce résultat.

Veuillez vous pénétrer des idées que je viens d'exposer, afin de les faire valoir dans les entretiens que vous aurez avec Lord Granville, et recevez, etc.

Signé : BEUST.

No 44.

-

LE COMTE DE BEUST AUX AGENTS DIPLOMATIQUES
DE L'AUTRICHE A BUCHAREST ET A BELGRADE.

(Extrait.)

Vienne, le 23 novembre 1870.

L'événement russe, comme je le démontre dans ma dépêche n° 2, adressée à Saint-Pétersbourg, n'est que trop propre à répandre une agitation funeste dans les pays appartenant directement ou indirectement à l'empire ottoman et d'y faire naître l'idée insensée que l'état de choses établi par les Traités a cessé maintenant d'exister. Il nous est certes impossible de croire que le Gouvernement des Principautés qui a donné jusqu'ici des preuves nombreuses de circonspection et de force, pourrait se laisser entraîner par l'opinion égarée à des mesures propres à 'attirer des maux incalculables sur son pays. En tous cas, il pourrait être très-urgent que Votre Excellence fortifiât les détenteurs du pouvoir de ce pays dans la seule véritable compréhension de l'état des choses et ne leur laissât aucun doute sur ceci que nous sommes fermement décidés quelque position que nous jugions à propos de prendre, après entente préalable, dans les questions spéciales soulevées par la Russie à ne laisser porter aucune atteinte aux principes établis par les Conventions européennes de 1856 et 1858, ainsi que par les décisions des Conférences ultérieures relatives à l'existence politique des Principautés du bas Dannbe, et de mettre

en jeu pour assurer leur maintien, le cas échéant, toutes les forces de la monarchie.

C'est par cette résolution, nous en avons la plus intime conviction, que les intérêts les plus nationaux et les plus vitaux de ces pays pourraient être le mieux sauvegardés et conduits dans la voie du progrès. Les hommes politiques clairvoyants de Bucharest-Belgrade ont depuis longtemps reconnu la valeur de ces principes, qui ne pourraient être remplacés par aucune autre forme, et qui en assurant à leur pays la possibilité d'un développement intérieur sans entrave, le garantiraient par une sécurité complète contre tout danger extérieur.

Les hommes auxquels sont confiées les destinées des Principautés peuvent se représenter les progrès importants que la protection du droit existant leur a déjà rendus possibles, et ils peuvent être persuadés que le Gouvernement austro-hongrois, comme il l'a fait jusqu'ici, ne négligera non plus à l'avenir aucune occasion pour appuyer de son autorité leurs aspirations légitimes. Si, dans la situation créée par la démarche de la Russie qui fait essentiellement dépendre la conservation de la paix en Orient de l'attitude des Gouvernements du bas Danube, ils se fient aux sentiments de sincère bienveillance qui nous animent pour leur pays, ils le serviront indubitablement mieux qu'en voulant sacrifier son développement paisible et protégé par le droit des gens, à la fantasmagorie d'une grandeur nationale illusoire. En recommandant à Votre... de conformer votre langage aux observations précédemment énoncées, je ne doute pas que, dans le cours de la crise qui s'est produite si inopinément, vous tâcherez avec un redoublement de zèle de faire part au Cabinet Impérial et Royal de toutes les informations dont vos attributions vous mettront à même de constater la véracité.

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LE COMTE DE BEUST AU COMTE APPONYI, A LONDRES.
Vienne, le 23 novembre 1870.

Télégramme.

Au moment de mon départ pour Bude, le général de Schweinitz me communique très-confidentiellement une suggestion de son Gouvernement qui proposerait la réunion à Saint-Pétersbourg d'une Conférence au sujet de l'incident soulevé par la Russie.

J'ai accueilli cette communication avec grande réserve. L'endroit désigné me semble impossible.

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