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nous avions publié dans deux circulaires insérées au Livre vert, en ajoutant qu'il était bien entendu que le gouvernement autrichien traiterait avec nous comme gouvernement Royal d'Italie. En parlant ainsi, il me vint le soupçon qu'il s'agissait d'établir aussi des rapports diplomatiques, et j'ajoutai aussitôt que, conformément à ma circulaire du 25 novembre dernier, il n'était pas possible d'établir des rapports diplomatiques (avec l'Autriche) sans traiter la question de Venise, et que, par conséquent, on pouvait étudier les moyens de rétablir les rapports commerciaux entre l'Italie et l'Autriche, sans rétablir les rapports diplomatiques; je citai l'exemple de la Sardaigne qui avait vécu, sinon parfaitement d'accord, au moins avec une entente suffisante, surtout en ce qui concernait les intérêts commerciaux de 1853 à 1859.

Mais ce qui, plus que toute autre chose, m'a donné à réfléchir dans cette communication, c'est la manière, je dirais presque la désinvolture, avec laquelle le baron Malaret m'a parlé lui-même de l'impossibilité dans laquelle nous nous trouvions de rétablir des rapports diplomatiques avec l'Autriche.

Pourquoi le ministre de France s'avance-t-il le premier dans ce qui touche nos difficultés ?

Je puis me tromper, et je voudrais que cela fût, mais il m'a semblé découvrir que, pendant que l'Autriche était maintenant disposée à la conciliation, peut-être même à traiter la question de Venise, la France, pour le moment, ne le désirerait pas.

Tel est le fait très-important que je vous soumets afin que vous l'éclaircissiez s'il est vrai, que vous en recherchiez les motifs et que vous en pesiez les conséquences.....

Je ne m'étonnerais pas que la France, peut-être pas l'Empereur, ne désirât pas que la question de Venise soit résolue avant celle de Rome, ou au moins avant que les Français aient quitté Rome.....

Signé: LA MARMORA.

No 17

LE CHEVALIER NIGRA AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

Paris, le 19 janvier 1866.

De la dépêche de M. de Gramont, et de ces divers entretiens, il me semble qu'on peut conclure que l'Autriche se contenterait d'obtenir l'application pure et simple du traité de commerce de 1851, c'est-à

dire le traitement de la nation la plus favorisée, et serait disposée, de son côté, à accorder le même traitement à toutes les provinces réunies sous l'autorité du roi d'Italie. Quant à la forme de cet accord, il est probable que l'Autriche préférerait ne lui en donner aucune. et que son désir serait que, sans aucun acte public ou sans aucune déclaration publique, il fût tacitement entendu que le traité de 1851 serait des deux côtés appliqué aux territoires qui se trouvent de fait sous l'autorité respective des deux gouvernements. Mais si le gouvernement italien exige une reconnaissance formelle, je ne crois pas que, pour le moment, l'Autriche soit disposée à nous l'accorder...

L'Autriche désirerait que les négociations pour la reconnaissance du royaume d'Italie passassent par les mains de la France et avec l'aide des bons offices de cette puissance...

La tendance de la politique autrichienne et de l'opinion publique, à Vienne, se prononce dans le sens d'un rapprochement de l'Autriche avec la France, et par conséquent avec nous...

M. Drouyn de Lhuys a fini par conclure que son avis serait que l'Italie devrait accepter cet accord dans la mesure indiquée par lui (à savoir sans la reconnaissance du royaume d'Italie et sans établir des relations diplomatiques), ajoutant que les traités commerciaux faciliteraient les relations diplomatiques, qui, plus tard, pourraient, à leur tour, rendre plus facile un traité direct également sur la question de Venise elle-même...

Il m'a dit (le Prince de Metternich) que le cabinet autrichien n'admettait point, au moins pour le moment, une pareille éventualité; qu'au contraire, il pourrait donner à la Vénétie de telles concessions et une telle forme de gouvernement qu'elle pourrait s'en contenter; qu'il espérait que cette expérience réussirait. Mais il ajouta ensuite que, s'il survenait en Europe des événements de nature à rendre une modification territoriale nécessaire, on ne pourrait dès maintenant et à priori écarter la possibilité pour l'Autriche de renoncer à la Vénétie, pour d'autres compensations territoriales...

Non, mille fois non. L'Empereur (et quand je dis l'Empereur, je parle de son gouvernement) ne prendrait aucun ombrage à la suite d'un rapprochement entre Florence et Vienne, de quelque espèce qu'il soit, et même il nous aidera dans cette voie, si nous le désirons, à condition, toutefois, que nous ne lui demandions pas : 1o de faire la guerre ; 2o de s'exposer à un refus de la part de l'Autriche par des demandes qu'il considérerait intempestives; 3° de remettre sur le tapis la question de Rome avant qu'il ait pu achever l'évacuation...

Lord Cowley me disait encore hier: Ne doutez pas du désir de l'Empereur de voir l'Autriche renoncer à la Vénétie Sa Majesté a dit, à dif

férentes reprises au prince de Metternich, qu'il ne pourrait exister de paix et d'entente durables en Europe tant que l'Autriche ne renoncerait pas à la Vénétie...

Léventualité de la guerre est écartée de la France. L'Empereur ne nous empêchera pas de faire la guerre à l'Autriche si nous voulons la faire; mais il ne veut ni ne peut nous promettre de nous aider. Il ne reste que la possibilité d'une rupture entre l'Autriche et la Prusse, cas auquel l'Italie devra naturellement profiter de tout événement pour avoir la Vénétie.

Mais malheureusement, depuis Gastein, je ne vois pas qu'une pareille éventualité soit près de s'accomplir.

Quant à moi, je vous dirai franchement que, dans aucun cas, je ne crois pas que nous devions faire à l'Autriche des concessions plus grandes que celles que nous avons accordées aux autres membres de la Confédération germanique. Mais si l'Autriche veut suivre l'exemple du Wurtemberg, de la Hesse et du Hanovre, acceptez. Je vais plus loin admettez et provoquez le rétablissement des rapports diplomatiques. Il me semble qu'il nous serait utile d'avoir un agent diplomatique à Vienne. Cela ne nous empêcherait pas de poursuivre notre politique nationale, comme la présence d'Apponyi ou de Paar ne nous en a pas empêchés avant 1853. Ce fait pris isolément pourrait causer des difficultés au ministère devant la Chambre, mais il serait de nature à faire partie de tout un système politique, d'un vrai programme de gouvernement qui peut se formuler en peu de mots : Désarmement, renonciation pendant un certain nombre d'années à toute entreprise de guerre, et, par conséquent, à la revendication de Venise par les armes. Politique exclusivement de finances et d'administra

tion intérieure.

Signé: NIGRA.

No 18

LE GÉNÉRAL LA MARMORA AU COMTE DE BARRAL, A BERLIN

Florence, le 9 mars 1866.

Monsieur le Ministre, M. le général Govone, qui vous remettra cette lettre, est chargé de remplir auprès du gouvernement prussien une mission d'une importance spéciale. Il possède l'entière confiance du

Roi et de son gouvernement, et je vous prie, monsieur le Ministre, de le présenter à ce titre à S. Exc. M. le comte de Bismarck, et, selon les circonstances, à S. M. le roi Guillaume.

M. le général Govone connaît les vues du gouvernement du Roi sur la situation respective de la Prusse et de l'Autriche. Vous le savez, monsieur le Ministre, nos résolutions dépendent de celles que la Prusse pourra prendre, des engagements qu'elle est disposée à contracter, de la portée enfin du but qu'elle poursuit. Si la Prusse est prête à entrer avec décision et à fond dans une politique qui assurerait sa grandeur en Allemagne; si, en présence de la persistance de l'Autriche à suivre une politique d'hostilité envers la Prusse et envers l'Italie, la guerre est une éventualité réellement acceptée par le gouvernement prussien; si l'on est disposé enfin à Berlin à prendre avec l'Italie des accords effectifs en vue de buts déterminés, nous croyons le moment venu pour la Prusse de ne pas tarder davantage à s'en ouvrir franchement avec nous, et nous sommes prêts à entrer avec elle dans un échange de communications qui lui donnera lieu d'apprécier combien nos dispositions sont sérieuses.

Le but de la mission de M. le général Govone est de s'assurer des combinaisons militaires que, par suite de la situation politique actuelle, le gouvernement de S. M. le roi de Prusse pourrait vouloir concerter avec nous pour la défense commune. Les membres du cabinet de Berlin, ou les personnages de la cour qui seraient appelés par S. M. le Roi et par S. Exc. le président du conseil à entrer en rapport avec le général Govone, pourront (vous en donnerez l'assurance formelle à qui il appartiendra) s'expliquer avec lui avec toute la clarté et la précision que l'objet de cette mission comporte, et avec la certitude de l'importance particulière que nous attacherons à ce qui nous sera transmis par son intermédiaire.

Vos bons offices et vos indications éclairées, monsieur le Ministre, seront très-utiles à M. le général Govone, et je vous prie de les lui prêter sans réserves. Il n'ignore pas, de son côté, quelle autorité personnelle vous appartient, et combien vos conseils méritent de considération. Les qualités distinguées de M. le général Govone et les missions qu'il a déjà remplies me sont une garantie de plus pour que cette mission atteigne le but qui lui est assigné, et qui consiste, comme je viens de vous le dire, à établir avec netteté la situation respective de l'Italie et de la Prusse, en présence des complications qui s'annoncent pour l'Europe.

Agréez, eto.

ARCH. DIPL. 1873. -IV

Signé LA MARMORA.

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No 19

LE GÉNÉRAL GOVONE AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

Berlin, le 14 mars 1866.

Excellence, en vous annonçant mon arrivée à Berlin, je dois tout de suite ajouter qu'elle avait été ébruitée depuis avant-hier, et que *** en avait lui-même donné avis au ministre de Hanovre, par qui le bruit s'en était répandu dans la ville avec la rapidité de l'éclair. Le comte de Bismarck, à qui le comte de Barral a rapporté cette indiscrétion, s'en est montré extrêmement surpris et fâché, et il a dit qu'il ferait intervenir le Roi pour la punir. Je ne ferai pas de commentaires sur une indiscrétion qui servirait assez bien les intérêts de S. Exc. le président du conseil, s'il était vrai que le cabinet de Berlin tente aujourd'hui de faire plus que nouer de sérieuses intelligences avec l'Italie propres à produire des résultats réciproquement favorables, tente, dis-je, d'intimider l'Autriche à l'avantage exclusif de sa politique particulière.

Le comte de Barral, à qui j'ai présenté ce matin, aussitôt après mon arrivée, la dépêche confidentielle de Votre Excellence, a informé sans retard de mon arrivée le comte de Bismarck, qui en avait déjà manifesté le désir; et le président du conseil a répondu par un billet qu'il me verrait avec plaisir dans la journée, et que, pour éviter la surveillance des agents qui l'épiaient, il se rendrait à trois heures de l'après-midi auprès du comte de Barral au ministère d'État, qui est situé en face de la légation d'Italie.

Le comte de Bismarck est venu, et après quelques paroles sans valeur, il m'a laissé aborder la question qui m'amenait à Berlin. Je lui ai dit que le Roi et Votre Excellence avaient lieu de supposer, d'après les communications verbales réitérées et pleines d'insistance du comte d'Usedom faites en dernier lieu, que la Prusse était décidée à chercher la solution des questions qui en ce moment touchent à ses intérêts en Allemagne, au prix même de la guerre avec l'Autriche; que le Roi et le cabinet de Florence étaient disposés à seconder la Prusse afin de chercher la solution de la question vénitienne, en même temps que la Prusse poursuivrait l'accomplissement de son programme. C'est pourquoi, ai-je ajouté, l'Italie pouvait attendre, et n'avait voulu faire aucun pas décisif sans qu'il fût précédé des engagements formels qui rendissent solidaires les deux programmes, l'italien et prussien; qu'une

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