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çon de se vêtir, sont aujourd'hui en Orient comme elles etaient il mille ans.

CHAPITRE V.

y a

Que les mauvais législateurs sont ceux qui ont favorisé les vices du climat, et les bons sont ceux qui s'y sont opposés.

Les Indiens croient que le repos et le néant sont le fondement de toutes choses, et la fin où elles aboutissent. Ils regardent donc l'entière inaction comme l'état le plus parfait et l'objet de leurs désirs. Ils donnent au souverain Être le surnom d'immobile. Les Siamois croient que la félicité 2 suprême consiste à n'ètre point obligé d'animer une machine et de faire agir un corps.

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Dans ces pays où la chaleur excessive énerve et accable, le repos est si délicieux et le mouvement si pénible, que ce système de métaphysi que paraît naturel ; et Foé 3, législateur des Indes, a suivi ce qu'il sentait, lorsqu'il a mis les hommes dans un état extrêmement passif; mais sa doctrine, née de la paresse du climat, la favorisant à sou tour, a causé mille maux.

Les législateurs de la Chine furent plus sensés, lorsque, considérant les hommes, non pas dans l'état paisible où ils seront quelque jour, mais dans l'action propre à leur faire remplir les devoirs de la vie, ils firent leur religion, leur philosophie, et leurs lois, toutes pratiques. Plus les causes physiques portent les hommes au repos, plus les causes morales les en doivent éloigner.

CHAPITRE VI.

De la culture des terres dans les climats chauds.

La culture des terres est le plus grand travail des hommes. Plus le climat les porte à fuir ce travail, plus la religion et les lois doivent y exciter. Ainsi, les lois des Indes, qui donnent les terres aux princes et otent aux particuliers l'esprit de propriété, augmentent les mauvais effets du climat, c'est-à-dire la paresse naturelle.

CHAPITRE VII.

Du monachisme.

Le monachisme y fait les mêmes maux ; il est né dans les pays chauds d'Orient, où l'on est moins porté à l'action qu'à la spéculation.

Panamanack. Voyez Kircher.

2 LA LOUBER, Relation de Siam, pag. 446.

3 Foé veut réduire le cœur au pur vide. «. Nous avons des yeux et des oreilles; mais la perfection est de ne voir ni en

« tendre une bouche, des mains, etc; « la perfection est que ces membres soient « dans l'inaction. » Ceci est tiré du dini gue d'un philosophe chinois, rapporté par le P. Duhalde, tome III.

En Asie, le nombre des derviches ou moines semble augmenter avec la chaleur du climat ; les Indes, où elle est excessive, en sont remplies: on trouve en Europe cette même différence.

Pour vaincre la paresse du climat, il faudrait que les lois cherchassent a ôter tous les moyens de vivre sans travail; mais, dans le midi de l'Europe, elles font tout le contraire; elles donnent à ceux qui veulent être oisifs des places propres à la vie spéculative, et y attachent des richesses immenses. Ces gens, qui vivent dans une abondance qui leur est à charge, donnent avec raison leur superflu au bas peuple : il a perdu la propriété des biens; ils l'en dédommagent par l'oisiveté dont ils le font jouir; et il parvient à aimer sa misère même.

CHAPITRE VIII.

Bonne coutume de la Chine.

Les relations de la Chine nous parlent de la cérémonie d'ouvrir les terres, que l'empereur fait tous les ans 2. On a voulu exciter 3 les peuples au labourage par cet acte public et solennel.

De plus, l'empereur est informé chaque année du laboureur qui s'est le plus distingué dans sa profession; il le fait mandarin du huitième ordre.

Chez les anciens Perses 4, le huitième jour du mois nommé chorremruz, les rois quittaient leur faste pour manger avec les laboureurs. Ces institutions sont admirables pour encourager l'agriculture.

CHAPITRE IX.

Moyens d'encourager l'industrie.

Je ferai voir, au livre XIX, que les nations paresseuses sont ordinairement orgueilleuses. On pourrait tourner l'effet contre la cause, et détruire la paresse par l'orgueil. Dans le midi de l'Europe, où les peuples sont si frappés par le point d'honneur, il serait bon de donner des prix aux laboureurs qui auraient le mieux cultivé leurs champs, ou aux ouvriers qui auraient porté plus loin leur industrie. Cette pratique réussira mème par tous pays. Elle a servi de nos jours en Irlande à l'établissement d'une des plus importantes manufactures de toile qui soit en Europe.

Le P. DUHALDE, Histoire de la Chine, sième dynastie, cultiva la terre de ses tom. II, pag. 27.

2 Plusieurs rois des Indes font de même. (Relation du royaume de Siam par La Loubère, pag. 69.)

Venty, troisième empereur de la troi

propres mains, et fit travailler à la soie dans son palais, l'impératrice et ses femmes. (Histoire de la Chine.)

4 M. HYDE, Religion des Perses.

Cina - CHAPITRE X.

Des lois qui ont rapport à la sobriété des peuples.

Dans les pays chauds, la partie aqueuse du sang se dissipe beaucoup par la transpiration': il y faut donc substituer un liquide pareil. L'eau y est d'un usage admirable; les liqueurs fortes y coaguleraient les globules du sang qui restent après la dissipation de la partie aqueuse.

Dans les pays froids, la partie aqueuse du sang s'exhale peu par la transpiration; elle reste en grande abondance: on y peut donc user de liqueurs spiritueuses, sans que le sang se coagule. On y est plein d'humeurs; les liqueurs fortes, qui donnent du mouvement au sang, y peuvent être convenables.

La loi de Mahomet, qui défend de boire du vin est donc une loi du climat d'Arabie aussi, avant Mahomet, l'eau était-elle la boisson commune des Arabes. La loi3 qui défendait aux Carthaginois de boire du vin était aussi une lçi du climat ; effectivement le climat de ces deux pays est à peu près le même.

Une pareille loi ne serait pas bonne dans les pays froids, où le climat semble forcer à une certaine ivrognerie de nation, bien différente de celle de la personne. L'ivrognerie se trouve établie par toute la terre, dans la proportion de la froideur et de l'humidité du climat. Passez de l'équateur jusqu'à notre pole, vous y verrez l'ivrognerie augmenter avec les degrés de latitude. Passez du même équateur au pôle opposé, vous y trouverez l'ivrognerie aller vers le Midi', comme de ce côté-ci elle avait été vers le Nord.

Il est naturel que là où le vin est contraire au climat, et par conséquent à la santé, l'excès en soit plus sévèrement puni que dans les pays où l'ivrognerie a peu de mauvais effets pour la personne ; où elle en a peu pour la société, où elle ne rend point les hommes furieux, mais seulement stupides. Ainsi les lois 3 qui ont puni un homme ivre, et pour la faute qu'il faisait, et pour l'ivresse, n'étaient applicables qu'à l'ivrognerie de la personne, et non à l'ivrognerie de la nation. Un Allemand boit par coutume, un Espagnol par choix.

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Dans les pays chauds, le relâchement des fibres produit une grande transpiration des liquides; mais les parties solides se dissipent moins. Les fibres, qui n'ont qu'une action très-faible et peu de ressort, ne s'u

1 M. Bernier, faisant un voyage de Lahor à Cachemire, écrivait : « Mon corps « est un crible à peine ai-je avalé une << pinte d'eau, que je la vois sortir comme « une rosée de tous mes membres jusqu'au « bout des doigts. J'en bois dix pintes par « jour, et cela ne me fait point de mal. » Voyage de Bernier.)

2 Il y a dans le sang des globules rouges, des parties fibreuses, des globules blancs, et de l'eau dans laquelle nage tout cela

3 PLATON, liv. II, des Lois; ARISTOTE, du Soin des Affaires domestiques; EusÈBE, Prépar. évang., liv. XII, chap. XVII.

4 Cela se voit chez les Hottentots et les peuples de la pointe du Chili, qui sont plus près du Sud.

5 Comme fit Pittacus, selon Aristote, Politiq., liv. II, ch. III. Il vivait dans un climat où l'ivrognerie n'est pas un vice de nation.

sent guère; il faut peu de suc nourricier pour les réparer on y mange donc très-peu.

Ce sont les différents besoins dans les différents climats qui out formé les différentes manières de vivre', et ces différentes manières de vivre ont formé les diverses sortes de lois. Que, dans une certaine nation, les hommes se communiquent beaucoup, il faut de certaines lois; il en faut d'autres chez un peuple où l'on ne se communique point.

CHAPITRE XI.

Des lois qui ont du rapport aux maladies du climat.

Hérodote 2 nous dit que les lois des Juifs sur la lèpre ont été tirées de la pratique des Égyptiens. En effet, les mêmes maladies demandaient les mêmes remèdes. Ces lois furent inconnues aux Grecs et aux premiers Romains, aussi bien que le mal. Le climat de l'Égypte et de la Palestine les rendit nécessaires, et la facilité qu'a cette maladie à se rendre populaire nous doit bien faire sentir la sagesse et la prévoyance de ces lois.

Nous en avons nous-mêmes éprouvé les effets. Les croisades nous avaient apporté la lèpre les règlements sages que l'on fit l'empêchèrent de gagner la masse du peuple.

On voit, par la loi des Lombards', que cette maladie était répandue en Italie avant les croisades, et mérita l'attention des législateurs. Rotharis ordonna qu'un lépreux, chassé de sa maison, et relégué dans un endroit particulier, ne pourrait disposer de ses biens, parce que, dès le moment qu'il avait été tiré de sa maison, il était censé mort. Pour empêcher toute communication avec les lépreux, on les rendait incapables des effets civils.

Je pense que cette maladie fut apportée en Italie par les conquête; des empereurs grecs, dans les armées desquels il pouvait y avoir des milices de la Palestine ou de l'Égypte. Quoi qu'il en soit, les progrès en furent arrêtés jusqu'au temps des croisades.

On dit que les soldats de Pompée, revenant de Syrie, rapportèrent une maladie à peu près pareille à la lepre. Aucun règlement fait pour lors n'est venu jusqu'à nous, mais il y a apparence qu'il y en eut, puisque ce mal fut suspendu jusqu'au temps des Lombards.

Il y a deux siècles qu'une maladie, inconnue à nos pères, passa du

On a remarqué avec raison que plus l'homme est civilisé, moins il est dépendant des besoins purement physiques, et par conséquent de l'influence du climat. (P.)

2 Liv. ll.

3 Liv. II, tit. I, § 3; et tit. XVIII, § I. Cette honteuse maladie a une origine plus ancienne : on en a remarqué tous les symptômes dans celle de Job; on en voit du moins les avant-coureurs dans le quin.

zième chapitre du Lévitique; mais elle n'a pas toujours été connue sous le même nom : c'était, dans Lucien, la maladie de Lesbos; dans Horace, celle de Campanie; dans Ausone, le luxe de Role; et si nous l'avons appelée le mal de Naples, l'Italie l'a appelée le mal français. Il est probable que les Espagnols l'avaient por. tée en Amérique, d'où ils la rapportèrent. (L'Esprit des Lois quintessencé, lettre XV.) (P.)

nouveau monde dans celui-ci, et vint attaquer la nature humaine jusque dans la source de la vie et des plaisirs. On vit la plupart des plus grandes familles du midi de l'Europe périr par un mal qui devint trop commun pour être honteux, et ne fut plus que funeste. Ce fut la soif de l'or qui perpétua cette maladie : on alla sans cesse en Amérique, et on en rapporta toujours de nouveaux levains.

Des raisons pieuses voulurent demander qu'on laissåt cette punition sur le crime; mais cette calamité était entrée dans le sein du mariage, et avait déjà corrompu l'enfance même.

Comme il est de la sagesse des législateurs de veiller à la santé des citoyens, il eût été très-sensé d'arrêter cette communication par des lois faites sur le plan des lois mosaïques.

La peste est un mal dont les ravages sont encore plus promp's et plus rapides. Son siége principal est en Égypte, d'où elle se répand par tout l'univers. On a fait, dans la plupart des États de l'Europe, de trèsbons règlements pour l'empêcher d'y pénétrer, et on a imaginé de nos jours un moyen admirable de l'arrêter on forme une ligne de troupes ́autour du pays infecté, qui empêche toute communication.

Les Turcs', qui n'ont à cet égard aucune police, voient les chrétiens dans la même ville échapper au danger, et eux seuls périr. Ils achètent les habits des pestiférés, s'en vêtissent, et vont leur train. La doctrine d'un destin rigide qui règle tout fait du magistrat un spectateur tranquille il pense que Dieu a déjà tout fait, et que lui n'a rien à faire.

CHAPITRE XII.

Des lois contre ceux qui se tuent eux-mêmes.

Nous ne voyons point dans les histoires que les Romains se fissent nourir sans sujet; mais les Anglais se tuent sans qu'on puisse imaginer aucune raison qui les y détermine; ils se tuent dans le sein même du bonheur. Cette action, chez les Romains, était l'effet de l'éducation; elle tenait à leur manière de penser et à leurs coutumes: chez les Anglais, elle est l'effet d'une maladie3; elle tient à l'état physique de la machine, et est indépendante de toute autre cause '.

IRICAUT, de l'Empire ottoman, pag. 281. 2 L'action de ceux qui se tuent eux-mêmes est contraire à la loi naturelle et à la religion révélée.

3 Elle pourrait bien être compliquée avec le scorbut, qui, surtout dans quelques pays, rend un homme bizarre et insupportable à lui-même. (Voyage de François Pirard, part. II, chap. xxi.)

Les Anglais, en effet, appellent cette maladie spleen, qu'ils prononcent splin : ce mot signifie la rate. Nos dames autrefois étaient malades de la rate. Molière à fait dire à des bouffons :

Veut-on qu'on rabatte,
Par des moyens doux,
Les vapeurs de rate
Qui nous minent tous;
Qu'on laisse Hippocrate
Et qu'on vienne à nous.

Nos Parisiennes étaient donc tourmentées de la rate; à présent elles sont affli. géos de vapeurs et en aucun cas elles ne se tuaient. Les Anglais ont le splin, ou la splin, et se tuent par humeur. Ils s'en vantent; car quiconque se pend à Lon. dres, ou se noie, ou se tire un coup de pistolet, est mis dans la gazette.

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