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« l'enfance ; ils étaient une partie de la famille; ils en devenaient une de la république.

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Les aigles, disait le roi des Ostrogoths, cessent de donner la « nourriture à leurs petits sitôt que leurs plumes et leurs ongles sont formés; ceux-ci n'ont plus besoin du secours d'autrui quand ils « vont eux-mêmes chercher une proie. Il serait indigne que nos jeunes gens qui sont dans nos armées fussent censés ètre dans un àge trop <«< faible pour régir leur bien, et pour régler la conduite de leur vie. « C'est la vertu qui fait la majorité chez les Goths. »

Childebert II avait quinze3 ans lorsque Gontran, son oncle, le déclara majeur, et capable de gouverner par lui-même. On voit, dans la loi des Ripuaires, cet åge de quinze ans, la capacité de porter les armes, et la majorité, marcher ensemble. « Si un Ripuaire est mort, ou a été tué, y est-il dit ', et qu'il ait laissé un fils, il ne pourra poursuivre, ni ètre poursuivi en jugement, qu'il n'ait quinze ans complets; pour lors il répondra lui-même, ou choisira un champion. » Il fallait que l'esprit füt assez formé pour se défendre dans le jugement, et que le corps le füt assez pour se défendre dans le combat. Chez les Bourguignons', qui avaient aussi l'usage du combat dans les actions judiciaires, la majorité était encore à quinze ans.

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Agathias nous dit que les armes des Francs étaient légères; ils pouvaient donc étre majeurs à quinze ans. Dans la suite, les armes devinrent pesantes et elles l'étaient déjà beaucoup du temps de Charlemagne, comme il parait par nos capitulaires et par nos romans. Ceux qui avaient des ficfs, et qui par conséquent devaient faire le service militaire. ne furent plus majeurs qu'à vingt et un ans 7.

CHAPITRE XXVII.

Continuation du même sujet.

On a vu que chez les Germains on n'allait point à l'assemblée avant la majorité: on était partie de la famille, et non pas de la république. Cela fit que les enfants de Clodomir, roi d'Orléans et conquérant de la Bourgogne, ne furent point déclarés rois, parce que, dans l'âge tendre où ils étaient, ils ne pouvaient pas être présentés à l'assemblée. Ils n'étaient pas rois encore, mais ils devaient l'être lorsqu'ils seraient capa

Hæc apud illos toga, hic primus juventæ honos ante hoc domus pars videntur, mox reipublicæ. (Ibid.)

2 Théodoric, dans Cassiodore, liv. I, lettre xxxvIII,

3 Il avait à peine cinq ans, dit Grégoire de Tours, liv. V, chap. 1, lorsqu'il succéda à son père, en l'an 375; c'est-àdire qu'il avait cinq ans. Gontran le dé

clara majeur en l'an 585: il avait done quinze ans.

4 Tit. LXXXI.

5 Tit. LXXXVII.

611 n'y eut point de changement pour les roturiers.

7 Saint Louis ne fut majeur qu'à cet âge. Cela changea par un édit de Charles V, de l'an 1374.

bles de porter les armes ; et cependant Clotilde, leur aïeule, gouvernait l'Etat. Leurs oncles Clotaire et Childebert les égorgèrent, et partagèrent leur royaume. Cet exemple fut cause que, dans la suite, les princes pupilles furent déclarés rois, d'abord après la mort de leurs pères. Ainsi le duc Gondovalde sauva Childebert II de la cruauté de Chilperic, et le fit déclarer roi à l'àge de cinq ans.

Mais, dans ce changement mème, on suivit le premier esprit de la nation, de sorte que les actes ne se passaient pas même au nom des rois pupilles. Aussi y eut-il chez les Francs une double administration, l'une qui regardait la personne du roi pupille, et l'autre qui regardait le royaume; et, dans les fiefs, il y eut une différence entre la tutelle et la baillie.

CHAPITRE XXVIII.

De l'adoption chez les Germains.

Comme chez les Germains on devenait majeur en recevant les armes, on était adopté par le même signe. Ainsi Gontran voulant déclarer majeur son neveu Childebert, et de plus l'adopter, il lui dit : « J'ai mis 3 ce « javelot dans tes mains, comme un signe que je t'ai donné mon royaume.» Et se tournant vers l'assemblée : « Vous voyez que mon fils Childebert « est devenu un homme ; obéissez-lui. » Théodoric, roi des Ostrogoths, voulant adopter le roi des Hérules, lui écrivit': « C'est une belle chose, parmi nous, de pouvoir être adopté par les armes; car les hommes « courageux sont les seuls qui méritent de devenir nos enfants. Il y a « une telle force dans cet acte, que celui qui en est l'objet aimera tou

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jours mieux mourir que de souffrir quelque chose de honteux. Ainsi, par la coutume des nations, el parce que vous êtes un homme, nous « vous adoptons par ces boucliers, ces épées, ces chevaux, que nous a vous envoyons. »

CHAPITRE XXIX.

Esprit sanguinaire des rois francs.

Clovis n'avait pas été le seul des princes, chez les Francs, qui eût entrepris des expéditions dans les Gaules plusieurs de ses parents y avaient mené des tribus particulières; et comme il y eut de plus grands succès, et qu'il put donner des établissements considérables à ceux qui l'avaient suivi, les Francs accoururent à lui de toutes les tribus, et les autres chefs se trouvèrent trop faibles pour lui résister. Il forma le dessein

'Il paraît, par Grégoire de Tours, liv. III, qu'elle choisit deux hommes de Bourgogne, qui était une conquête de Clodo. mir, pour les élever au siége de Tours, qui était aussi du royaume de Clodomir.

2 GRÉGOIRE DE TOURS, liv. V, chap. 1,

Vix lustro ætatis uno jam peracto, qui die dominicæ natalis regnare cœpit.

3

Voyez Grégoire de Tours, liv. VII, chap. xxIII.

4 Dans Cassiodore, liv. IV, lett. 1.

d'exterminer toute sa maison, et il y réussit. Il craignait, dit Grégoire de Tours', que les Francs ne prissent un autre chef. Ses enfants et ses successeurs suivirent cette pratique autant qu'ils purent: on vit sans cesse le frère, l'oncle, le neveu, que dis-je ? le fils, le père, conspirer contre toute sa famille. La loi séparait sans cesse la monarchie; la crainte, l'ambition et la cruauté voulaient la réunir.

CHAPITRE XXX.

Des assemblées de la nation chez les Francs.

On a dit ci-dessus que les peuples qui ne cultivent point les terres jouissaient d'une grande liberté. Les Germains furent dans ce cas. Tacite dit qu'ils ne donnaient à leurs rois ou chefs qu'un pouvoir très-modéré3; et César', qu'ils n'avaient pas de magistrat commun pendant la paix, mais que, dans chaque village, les princes rendaient la justice entre les leurs. Aussi les Francs, dans la Germanie, n'avaient-ils point de roi, comme Grégoire de Tours' le prouve très-bien.

« Les princes, dit Tacite, délibèrent sur les petites choses, toute « la nation sur les grandes de sorte pourtant que les affaires dont le peuple prend connaissance sont portées de même devant les princes. Cet usage se conserva après la conquête, comme on le voit dans tous les monuments.

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Tacite dit que les crimes capitaux pouvaient être portés devant l'assemblée. Il en fut de même après la conquête, et les grands vassaux y furent jugés.

CHAPITRE XXXI.

De l'autorité du clergé dans la première race.

Chez les peuples barbares, les prêtres ont ordinairement du pouvoir, parce qu'ils ont, et l'autorité qu'ils doivent tenir de la religion, et la puissance que chez des peuples pareils donne la superstition. Aussi voyons-nous dans Tacite que les prêtres étaient fort accrédités chez les Germains, qu'ils mettaient la police 9 dans l'assemblée du peuple. Il n'était permis" qu'à eux de châtier, de lier, de frapper : ce qu'ils fai

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penes plebem arbitrium est, apud princi. pes quoque pertractentur. (De Morib. Germ.)

7 Lex consensu populi fit et constitutione regis. (Capitulaires de Charles le Chauve, an 864, art. 6.)

8 Licet apud concilium accusare, et discrimen capitis intendere. (De Moribus Germanorum.)

9 Silentium per sacerdotes, quibus et coercendi jus est, imperatur. (De Morib. Germ.)

10 Nec regibus libera aut infinita potestas.

saient, non pas par un ordre du prince, ni pour infliger une peine, mais comme par une inspiration de la divinité, toujours présente à ceux qui font la guerre.

Il ne faut pas être étonné si, dès le commencement de la première race, on voit les évèques arbitres ' des jugements, si on les voit paraitre dans les assemblées de la nation, s'ils influent si fort dans les résolutions des rois, et si on leur donne tant de biens 2.

LIVRE DIX-NEUVIÈME.

DES LOIS DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT AVEC LES PRINCIPES QUI FORMENT L'ESPRIT GENERAL, LES MOEURS ET LES MANIÈRES D'UNE NATION.

CHAPITRE PREMIER..

Du sujet de ce livre.

Cette matière est d'une grande étendue. Dans cette foule d'idées qui se présentent à mon esprit, je serai plus attentif à l'ordre des choses qu'aux choses mêmes. Il faut que j'écarte à droite et à gauche, que je perce, et que je me fasse jour 3.--

Cæterum neque animadvertere, neque vincire, neque verberare, nisi sacerdotibus est permissum; non quasi in pœnam, nec du cis jussu, sed velut deo imperante, quem adesse bellatoribus credunt. (Ibid.)

I Voyez la Constitution de Clotaire, de l'an 560, art. 6.

2 Les dix derniers chapitres de ce livre, réunis aux livres XXVHI, XXX, et XXXI, forment un traité complet sur l'origine et les premiers siècles de notre monarchie; et c'est ainsi qu'il faut les lire pour les bien comprendre. (P.)

Montesquieu, qui méditait pendant vingt ans les sujets de ses ouvrages, avait pourtant une extrême promptitude d'esprit, des saillies de réflexion, suivant l'expression de Vauvenargues, et ses pensées les plus profondes le saisissaient quelque fois comme une impression rapide. C'est alors qu'il s'écrie : « Je découvre ce que j'ai longtemps inutilement cherché.... Je vois la raison de ceci.... Je vois beaucoup de choses à la fois il faut me laisser le temps de les dire. » Le génie de Montesquieu n'était pas de la trempe de ceux qui se laissent gouverner, qu'on prend, pour ainsi dire, et qu'on laisse à volonté; il en était souvent abandonné dans les forêts de

la Brède, et obsédé dans les sociétés de Paris. Montesquieu était surtout extrêmement distrait; il n'était jamais sûr ni d'écrire ni d'avoir écrit ce qu'il avait trouvé de plus beau dans la méditation: de là ces formules si fréquentes : « J'allais oublier de dire... j'ai oublié de dire... ai-je dit?... » Et ces choses qu'il va oublier, qu'il a oubliées, qu'il n'est pas sûr d'avoir dites, sont très-souvent des pensées, des vues sublimes. Avec la douceur et la facilité d'un enfant dans le caractère, il en avait souvent l'im patience, et, le législateur des nations laisse percer quelquefois cette humeur impatiente: « Je suis embarrassé de tout ce que mon su jet me présente dans ce livre;... j'écarte à droite et à gauche; je perce et je me fais jour, etc. Ces formes, ces manières qu'on a été étonné de trouver dans un livre tel que l'Esprit des Lois, peuvent plaire beaucoup, parce qu'elles sont l'expression fidèle et ingénue de ce que l'auteur éprouvait en écrivant, parce qu'elles nous font connaître son caractère en même temps que son génie. Vous vous attendiez à ne voir qu'un auteur, et vous ne trouvez qu'un homme. (Mercure de France, du 6 avril 1784.)

29.1 ibu ibui JCHAPITRE II.

Combien, pour les meilleures lois, il est nécessaire que les esprits

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soient préparés.

Rien ne parut plus insupportable aux Germains que le tribunal de Varus. Celui que Justinien érigea 2 chez les Laziens pour faire le procès au meurtrier de leur roi leur parut une chose horrible et barbare. Mithridate 3, haranguant contre les Romains, leur reproche surtout les formalités de leur justice. Les Parthes ne purent supporter ce roi qui, ayant été élevé à Rome, se rendit affable et accessible à tout le monde. La liberté même a paru insupportable à des peuples qui n'étaient pas accoutumés à en jouir. C'est ainsi qu'un áir pur est quelquefois nuisible à ceux qui ont vécu dans des pay's marécageux.

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Un Vénitien, nommé Balbi, étant au Pégu, fut introduit chez le roi. Quand celui-ci apprit qu'il n'y avait point de roi à Venise, il fit un si grand éclat de rire qu'une toux le prit, et qu'il eut beaucoup de peine à parler à ses courtisans. Quel est le législateur qui pourrait proposer le gouvernement populaire à des peuples pareils?

CHAPITRE II.

De la tyrannie

Il y a deux sortes de tyrannie: une réelle, qui consiste dans la violence du gouvernement; et une d'opinion, qui se fait sentir lorsque ceux qui gouvernent établissent des choses qui choquent la manière de penser d'une nation.

Dion dit qu'Auguste voulut se faire appeler Romulus; mais qu'ayant appris que le peuple craignait qu'il ne voulût se faire roi, il changea de dessein. Les premiers Romains ne voulaient point de roi, parce qu'ils n'en pouvaient souffrir la puissance; les Romains d'alors ne voulaient point de roi, pour n'en point souffrir les manières. Car, quoique César, les triumvirs, Auguste, fussent de véritables rois, ils avaient gardé tout l'extérieur de l'égalité, et leur vie privée contenait une espèce d'opposition avec le faste des rois d'alors; et, quand ils ne voulaient point de roi, cela signifiait qu'ils voulaient garder leurs manières, et ne pas prendre celles des peuples d'Afrique et d'Orient.

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