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fait que les diverses castes ont horreur les unes des autres. Cet honneur est uniquement fondé sur la religion; ces distinctions de famille ne forment pas des distinctions civiles: il y a tel Indien qui se croirait déshonoré s'il mangeait avec son roi.

Ces sortes de distinctions sont liées à une certaine aversion pour les autres hommes, bien différente des sentiments que doivent faire naitre les différences de rangs, qui parmi nous contiennent l'amour pour les inférieurs.

Les lois de la religion éviteront d'inspirer d'autre mépris que celui du vice, et surtout d'éloigner les hommes de l'amour et de la pitié pour les hommes.

La religion mahométane et la religion indienne ont dans leur sein un nombre infini de peuples: les Indiens haïssent les mahométans, parce qu'ils mangent de la vache ; les mahométans détestent les Indiens, parce qu'ils mangent du cochon.

CHAPITRE XXIII.

Des fètes.

Quand une religion ordonne la cessation du travail, elle doit avoir égard aux besoins des hommes, plus qu'à la grandeur de l'ètre qu'elle honore.

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C'était à Athènes un grand inconvénient que le trop grand nombre de fêtes. Chez ce peuple dominateur, devant qui toutes les villes de le Grèce devaient porter leurs différends, on ne pouvait suffire aux affaires.

Lorsque Constantin établit que l'on chômerait le dimanche, il fit cette ordonnance pour les villes 2, et non pour les peuples de la campagne : il sentait que dans les villes étaient les travaux utiles, et dans les campagnes les travaux nécessaires.

Par la mème raison, dans les pays qui se maintiennent par le commerce, le nombre des fêtes doit élre relatif à ce commerce mème. Les pays protestants et les pays catholiques sont situés de manière que l'on a plus besoin de travail dans les premiers que dans les seconds 3: la suppression des fêtes convenait donc plus aux pays protestants qu'aux pays catholiques 4.

XENOPHON, de la République d'Athènes. 2 Leg. 3, Cod., de Feriis. Cette loi n'était faite sans doute que pour les païens.

3 Les catholiques sont plus vers le midi, et les protestants vers le nord.

Lorsque l'Europe entière suivait la mème religion, le nombre des fetes était égal dans tous les royaumes. Les ouvriers anglais, hollandais, suédois, danois, allemands, suisses, demeuraient oisifs autant de jours dans l'année que les ou

vriers francais; et comme les forces et les richesses ne sont grandes ou petites, fortes ou faibles que par comparaison, toute l'Europe était au pair pour le temps qui s'employait à l'industrie et à la maind'oeuvre, et les bénéfices qui en procèdent étaient par conséquent en égalité de proportion.

Mais, depuis l'établissement de la reli gion protestante, cette égalité se trouve détruite, et la balance affaiblie de plus

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Dampierre remarque que les divertissements des peuples varient beaucoup selon les climats. Comme les climats chauds produisent quantité de fruits délicats, les barbares, qui trouvent d'abord le nécessaire, emploient plus de temps à se divertir. Les Indiens des pays froids n'ont pas tant de loisir ; il faut qu'ils pèchent et chassent continuellement : il y a donc chez eux moins de danses, de musique et de festins ; et une religion qui s'établirait chez ces peuples devrait avoir égard à cela dans l'institution des fètes.

CHAPITRE XXIV.

Des lois de religion locales.

Il y a beaucoup de lois locales dans les diverses religions. Et quand Montézuma s'obstinait tant à dire que la religion des Espagnols était bonne pour leur pays, et celle du Mexique pour le sien, il ne disait pas une absurdité, parce qu'en effet les législateurs n'ont pu s'empêcher d'avoir égard à ce que la nature avait établi avant eux.

L'opinion de la métempsycose est faite pour le climat des Indes. L'excessive chaleur brùle 2 toutes les campagnes; on n'y peut nourrir que très-peu de bétail; on est toujours en danger d'en manquer pour le labourage ; les bœufs ne s'y multiplient 3 que médiocrement; ils sont sujets à beaucoup de maladies : une loi de religion qui les conserve est donc très-convenable à la police du pays.

3

Pendant que les prairies sont brûlées, le riz et les légumes y croissent heureusement par les eaux qu'on y peut employer: une loi de religion qui ne permet que cette nourriture est donc très-utile aux hommes dans ces climats.

d'un septième à notre préjudice, attendu que cette religion permet dans l'année au moins cinquante jours de travail plus que la catholique; et comme la marchandise doit supporter tous les frais de la matiere et de l'industrie, elle supporte la subsistance de l'ouvrier pendant ces jours d'inaction d'où il suit que lorsque nous vendons une marchandise de nos fabriques pour un certain prix, les protestants, toutes choses égales, peuvent la donner à beaucoup meilleur marché, avec profit égal pour l'ouvrier; en sorte qu'un commerçant qui a un avantage si considérable sur son concurrent doit nécessairement l'écraser à la longue.

Quelques évêques pensant sainement et informés que l'oisiveté devenait une source de libertinage pendant ces fètes, en ont supprimé quelques-unes dans leurs diocèses; mais ils sont demeurés encore bien loin de ce que l'utilité publique exigerait à cet égard.

Pendant que nos boutiques sont fermées, que les ateliers sont abandonnés, que le

jeu ou le vin consomment le salaire de nos ouvriers, et souvent le nécessaire de leurs nombreuses familles qui périssent de misere; qu'ils se querellent, qu'ils se battent, et que par leurs excès ils se mettent hors d'état de travailler le lendemain, le protestant s'occupe avec assiduité et utilité pour l'Etat et pour lui aux ouvrages de sa profession; en sorte que supposant seulement dans le royaume cinq millions d'artisans, ouvriers, manoeuvres et cultivateurs, de tout âge et de tout sexe, oisifs, et par conséquent inntiles durant cinquante jours, et perdant chacun cinq sous par jour, il en résulte pour l'État une perte journalière de 1,250,000 francs. qui, multipliés par cinquante, forment annuellement un total de 62,500,000 francs, dont les bénéfices de l'industrie se trouvent diminués. (D.)

Nouveau Voyages autour du monde, tom. II.

2 Voyages de Bernier, tom. II, pag. 137. 3 Lettres Édifiantes, douzième recueil, pag. 95.

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La chair des bestiaux n'y a pas de goût, et le lait et le beurre qu'ils en tirent font une partie de leur subsistance: la loi qui défend de manger et de tuer des vaches n'est donc pas déraisonnable aux Indes.

Athènes avait dans son sein une multitude innombrable de peuple; son territoire était stérile: ce fut une maxime religieuse, que ceux qui offraient aux dieux de certains petits présents les honoraient plus que ceux qui immolaient des bœufs.

CHAPITRE XXV.

Inconvénient du transport d'une religion d'un pays à un autre.

Il suit de là qu'il y a très-souvent beaucoup d'inconvénients à transporter une religion d'un pays dans un autre 3.

« Le cochon, dit M. Boulainvilliers 4, doit être très-rare en Arabic, « où il n'y a presque point de bois, et presque rien de propre à la nour«< riture de ces animaux ; d'ailleurs, la salure des eaux et des aliments « rend le peuple très-susceptible des maladies de la peau. » La loi locale qui le défend ne saurait être bonne pour d'autres pays 5, où le co. chon est une nourriture presque universelle, et en quelque façon néces saire.

Je ferai ici une réflexion. Sanctorius a observé que la chair de cochon que l'on mange se transpire peu, et que même cette nourriture empèche beaucoup la transpiration des autres aliments; il a trouvé que la dimi nution allait à un tiers. On sait d'ailleurs que le défaut de transpiration forme ou aigrit les maladies de la peau : la nourriture du cochon doit donc être défendue dans les climats où l'on est sujet à ces maladies, comme celui de la Palestine, de l'Arabie, de l'Égypte et de la Libye.

CHAPITRE XXVI.

Continuation du même sujet.

M. Chardin dit qu'il n'y a point de fleuve navigable en Perse, si ce n'est le fleuve Kur, qui est aux extrémités de l'empire. L'ancienne loi des guèbres, qui défendait de naviguer sur les fleuves, n'avait donc aucun inconvénient dans leur pays; mais elle aurait ruiné le commerce dans un autre.

Les continuelles lotions sont très en usage dans les climats chauds. Cela fait que la loi mahométane et la religion indienne les ordonnent.

Voyage de Bernier, tom. II, pag. 137. 2 EURIPIDE, dans Athénée, liv. II, pag. 40.

3 On ne parle point ici de la religion chrétienne, parce que, comme on a dit au liv. XXIV, chapitre I, à la fin, la re

ligion chrétienne est le premier bien.
4 Vie de Mahomet.
5 Comme à la Chine.
6 Médecine statique, sect. III,
risme 23.

7 Voyage de Perse, tom. II.

a pho

C'est un acte très-méritoire aux Indes de prier Dieu dans l'eau courante; mais comment executer ces choses dans d'autres climats ?

Lorsque la religion fondée sur le climat a trop choqué le climat d'un autre pays, elle n'a pu s'y établir; et quand on l'y a introduite, elle en a été chassée. Il semble, humainement parlant, que ce soit le climat qui a prescrit des bornes à la religion chrétienne et à la religion mahométane. Il suit de là qu'il est presque toujours convenable qu'une religion att des dogmes particuliers et un culte général. Dans les lois qui concernent les pratiques du culte, il faut peu de détails; par exemple, des mortifications, et non pas une certaine mortification. Le christianisme est plein de bon sens : l'abstinence est de droit divin; mais une abstinence particulière est de droit de police, et on peut la changer.

LIVRE VINGT-CINQUIÈME.

DES LOIS, DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT AVEC L'ÉTABLISSEMENT DE LA RELIGION DE CHAQUE PAYS ET SA POLICE EXTERIEURE.

CHAPITRE PREMIER.

Du sentiment pour la religion.

L'homme pieux et l'athée parlent toujours de religion : l'un parle de ce qu'il aime, et l'autre de ce qu'il craint.

CHAPITRE II.

Du motif d'attachement pour les diverses religions.

Les diverses religions du monde ne donnent pas à ceux qui les professent des motifs égaux d'attachement pour elles : cela dépend beaucoup de la manière dont elles se concilient avec la façon de penser et de sentir des hommes.

Nous sommes extrêmement portés à l'idolatrie, et cependant nous ne sommes pas fort attachés aux religions idolâtres; nous ne sommes guère portés aux idées spirituelles, et cependant nous sommes très-attachés aux religions qui nous font adorer un être spirituel. C'est un sentiment heureux qui vient en partie de la satisfaction que nous trouvons en nous-mêmes d'avoir été assez intelligents pour avoir choisi une religion qui tire la Divinité de l'humiliation où les autres l'avaient mise. Nous regardons l'idolâtrie comme la religion des peuples grossiers, et 1 Voyage de Bernier, tom. II.

la religion qui a pour objet un être spirituel, comme celle des peuples éclairés.

Quand, avec l'idée d'un être spirituel suprême qui forme le dogme, nous pouvons joindre encore des idées sensibles qui entrent dans le culte, cela nous donne un grand attachement pour la religion, parce que les motifs dont nous venons de parler se trouvent joints à notre penchant naturel pour les choses sensibles. Aussi les catholiques, qui ont plus de cette sorte de culte que les protestants, sont-ils plus invinciblement attachés à leur religion que les protestants ne le sont à la leur, et plus zélés pour sa propagation.

Lorsque le peuple d'Éphèse eut appris que les Pères du concile avaient décidé qu'on pouvait appeler la Vierge mère de Dieu, il fut transporté de joie, il baisait les mains des évêques, il embrassait leurs genoux; tout retentissait d'acclamations'.

Quand une religion intellectuelle nous donne encore l'idée d'un choix fait par la divinité, et d'une distinction de ceux qui la professent d'avec ceux qui ne la professent pas, cela nous attache beaucoup à cette religion. Les mahométans ne seraient pas si bons musulmans, si d'un côté il n'y avait pas de peuples idolâtres qui leur font penser qu'ils sont les vengeurs de l'unité de Dieu, et de l'autre des chrétiens pour leur faire croire qu'ils sont l'objet de ses préférences.

Une religion chargée de beaucoup de pratiques 2 attache plus à elle qu'une autre qui l'est moins; on tient beaucoup aux choses dont on est continuellement occupé témoin l'obstination tenace des mahométans et des Juifs, et la facilité qu'ont de changer de religion les peuples barbares et sauvages qui, uniquement occupés de la chasse ou de la guerre, ne se chargent guère de pratiques religieuses 3.

Les hommes sont extrêmement portés à espérer et à craindre, et une religion qui n'aurait ni enfer, ni paradis, ne saurait guère leur plaire. Cela se prouve par la facilité qu'ont eue les religions étrangères à s'établir au Japon, et le zèle et l'amour avec lesquels on les y a reçues 4.

Pour qu'une religion attache, il faut qu'elle ait une morale pure. Les hommes, fripons en détail, sont en gros de très-honnêtes gens; ils aiment la morale ; et si je ne traitais pas un sujet si grave, je dirais que cela se voit admirablement bien sur les théâtres: on est sûr de plaire au peuple par les sentiments que la morale avoue, et on est sûr de le choquer par ceux qu'elle réprouve.

Lettre de saint Cyrille.

2 Ceci n'est point contradictoire avec ce que j'ai dit au chapitre pénultième du livre précédent : ici je parle des motifs d'attachement pour une religion; et là, des moyens de la rendre plus générale.

3 Cela se remarque par toute la terre. Voyez, sur les Turcs, les missions du Levant; le Recueil des Voyages qui ont servi

à l'établissement de la Compagnie des Indes, tom III, part. I, pag. 201, sur les Maures de Batavia; et le P. Labat, sur les negre: mahométans, etc.

La religion chrétienne et les religions des Indes celles-ci ont un enfer et uz paradis, au lieu que la religion des Sinto n'en a point.

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