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La perpétuité des fiefs ayant fait établir le droit de rachat, les filles purent succéder à un fief, au défaut des mâles; car le seigneur donnant le fief à la fille, il multipliait les cas de son droit de rachat, parce que le mari devait le payer comme la femme 1. Cette disposition ne pouvait avoir lieu pour la couronne; car comme elle ne relevait de personne, il ne pouvait point y avoir de droit de rachat sur elle.

La fille de Guillaume V, comte de Toulouse, ne succéda pas à la comté. Dans la suite, Aliénor succéda à l'Aquitaine, et Mathilde à la Normandie; et le droit de la succession des filles parut, dans ces tempslà, si bien établi, que Louis le Jeune, après la dissolution de son mariage avec Aliénor, ne fit aucune difficulté de lui rendre la Guienne. Comme ces deux exemples suivirent de très-près le premier, il faut que la loi générale qui appelait les femmes à la succession des fiefs se soit introduite plus tard dans la comté de Toulouse que dans les autres provinces du royaume 2.

La constitution des divers royaumes de l'Europe a suivi l'état actuel où étaient les fiefs dans les temps que ces royaumes ont été fondés. Les femmes ne succédèrent ni à la couronne de France, ni à l'Empire, parce que, dans l'établissement de ces deux monarchies, les femmes ne pouvaient succéder aux fiefs 3; mais elles succédèrent dans les royaumes dont l'établissement suivit celui de la perpétuité des fiefs, tels que ceux qui furent fondés par les conquêtes des Normands, ceux qui furent fondés par les conquêtes faites sur les Maures; d'autres enfin qui, au delà des limites de l'Allemagne, et dans des temps assez modernes, prirent, en quelque façon, une seconde naissance par l'établissement du christianisme.

Quand les fiefs étaient amovibles, on les donnait à des gens qui étaient en état de les servir; et il n'était point question des mineurs. Mais quand ils furent perpétuels, les seigneurs prirent le fief jusqu'à la majorité, soit pour augmenter leurs profits, soit pour faire élever le pupille dans l'exercice des armes. C'est ce que nos coutumes appellent la

C'est pour cela que le seigneur contrai- mandement étaient réservées au sexe qui gnait la veuve de se remarier.

2 La plupart des grandes maisons avaient leurs lois de succession particulières. Voyez ce que M. de la Thaumassière nous dit sur les maisons du Berri.

3 Il me semble que Montesquieu, dont les vues sont ordinairement si élevées, ne remonte pas ici assez haut. Pour trouver l'origine de la loi qui règle en France la succession au trône, il faut la chercher dans les mœurs des nations germaniques. Chez ces nations guerrières, le seul mérite honoré était celui de la bravoure et des armes. De là toutes les distinctions, toutes les prérogatives de puissance et de com

MONTESQUIEU.

manie les armes. Telle est l'origine du droit qui fixe l'ordre de la succession à la couronne de France : droit dérivé des mœurs anciennes, et non de la loi des fiefs, dont Montesquieu s'est plu à étendre les influences. (CREV.)

4 On voit dans le capitulaire de l'année 817, apud Carisiacum, art. 3, édit. de Baluze, tom. II, pag. 269, le moment où les rois firent administrer les fiefs pour les conserver aux mineurs: exemple qui fut suivi par les seigneurs, et donna l'origine à ce que nous appelons la garde

noble.

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garde noble, laquelle est fondée sur d'autres principes que ceux de la tutelle, et en est entièrement distincte.

Quand les fiefs étaient à vie, on se recommandait pour un fief; et la tradition réelle, qui se faisait par le sceptre, constatait le sief, comme fait aujourd'hui l'hommage. Nous ne voyons pas que les comtes, ou même les envoyés du roi, reçussent les hommages dans les provinces ; et cette fonction ne se trouve pas dans les commissions de ces officiers, qui nous ont été conservées dans les capitulaires. Ils faisaient bien quelquefois prêter le serment de fidélité à tous les sujets '; mais ce serment était si peu un hommage de la nature de ceux qu'on établit depuis, que, dans ces derniers, le serment de fidélité était une action jointe à l'hommage, qui tantôt suivait et tantôt précédait l'hommage, qui n'avait point lieu dans tous les hommages, qui fut moins solennelle que l'hommage, et en était entièrement distincte2.

Les comtes et les envoyés du roi faisaient encore, dans les occasions, donner aux vassaux dont la fidélité était suspecte une assurance qu'on appelait firmitas3; mais cette assurance ne pouvait être un hommage, puisque les rois se la donnaient entre eux".

Que si l'abbé Suger parle d'une chaire de Dagobert, où, selon le rapport de l'antiquité, les rois de France avaient coutume de recevoir les hommages des seigneurs, il est clair qu'il emploie ici les idées et le langage de son temps.

Lorsque les fiefs passèrent aux héritiers, la reconnaissance du vassal, qui n'était dans les premiers temps qu'une chose occasionnelle, devint une action réglée : elle fut faite d'une manière plus éclatante, elle fut remplie de plus de formalités, parce qu'elle devait porter la mémoire des devoirs réciproques du seigneur et du vassal dans tous les àges.

Je pourrais croire que les hommages commencèrent à s'établir du temps du roi Pepin, qui est le temps où j'ai dit que plusieurs bénéfices furent donnés à perpétuité, mais je le croirais avec précaution, et dans la supposition seule que les auteurs des anciennes annales des Franes n'aient pas été des ignorants qui, décrivant les cérémonies de l'acte de fidélité que Tassillon, duc de Bavière, fit à Pepin, aient parlé suivant les usages qu'ils voyaient pratiquer de leur temps.

On en trouve la formule dans le capitulaire 11 de l'an 802. Voyez aussi celui de l'an 854, art. 13 et autres.

2 M. du Cange, au mot hominium, page 1163, et au mot fidelitas, pag. 474, cite les chartres des anciens hommages où ces différences se trouvent, et grand nombre d'autorités qu'on peut voir. Dans l'hommage, le vassal mettait sa main dans celle du seigneur, et jurait le serment de fidélité se faisait en jurant sur les Evangiles. L'hommage se faisait à genoux le serment de fidélité, debout. Il n'y avait

que le seigneur qui pût recevoir l'hom mage; mais ses officiers pouvaient prendre le serment de fidélité. Voyez Littleton, sect. xc et xc11. Foi et hommage, c'est fidélité et hommage.

3 Capitulaire de Charles le Chauve,
de l'an 860, post reditum a confluentibus.
art. 3, édit. de Baluze, pag. 145.
4 lbid. art. 1.

5 Lib. de administratione sua.
6 Anno 757, chap. xv11.

7 Tassillio venit in vassatico se commen. dans, per manus sacramenta juravit multa,

CHAPITRE XXXIV.

Continuation du même sujet.

Quand les fiefs étaient amovibles ou à vie, ils n'appartenaient guère qu'aux lois politiques : c'est pour cela que, dans les lois civiles de ces temps-là, il est fait si peu de mention des lois des fiefs. Mais lorsqu'ils devinrent héréditaires, qu'ils purent se donner, se vendre, se léguer, ils appartinrent et aux lois politiques et aux lois civiles. Le fief, considéré comme une obligation au service militaire, tenait au droit politique; considéré comme un genre de bien qui était dans le commerce, il tenait au droit civil. Cela donna naissance aux lois civiles sur les fiefs. Les fiefs étant devenus héréditaires, les lois concernant l'ordre des successions durent être relatives à la perpétuité des fiefs. Ainsi s'établit, malgré la disposition du droit romain et de la loi salique, cette règle du droit français : Propres ne remontent point 2. Il fallait que le fief fut servi; mais un aïeul, un grand-oncle, auraient été de mauvais vassaux à donner au seigneur : aussi cette règle n'eut-elle d'abord lieu que pour les fiefs, comme nous l'apprenons de Boutillier 3.

Les fiefs étant héréditaires, les seigneurs, qui devaient veiller à ce que le fief fût servi, exigèrent que les filles qui devaient succéder au fief 4, et, je crois, quelquefois les måles, ne pussent se marier sans leur consentement de sorte que les contrats de mariage devinrent pour les nobles une disposition féodale et une disposition civile. Dans un acte pareil, fait sous les yeux du seigneur, on fit des dispositions pour la succession future, dans la vue que le fief pût être servi par les héritiers aussi les seuls nobles eurent-ils d'abord la liberté de disposer des successions futures par contrat de mariage, comme l'ont remarqué Boyer 5 et Aufrerius".

Il est inutile de dire que le retrait lignager fondé sur l'ancien droit des parents, qui est un mystère de notre ancienne jurisprudence française, que je n'ai pas le temps de développer, ne put avoir lieu, à l'égard des fiefs, que lorsqu'ils devinrent perpétuels.

Italiam, Italiam 7.... Je finis le traité des fiefs où la plupart des auteurs l'ont commencé.

et innumerabilia, reliquiis sanctorum manus imponens, et fidelitatem promisit Pipino. Il semblerait qu'il y aurait là un hommage et un serment de fidélité. Voyez la note 2 de la page précédente.

I Au titre des aleux.

2 Liv. IV, de feudis, tit. LIX.

3 Somme rurale, liv. I, tit. LXXVI, pag. 447.

4 Suivant une ordonnance de saint Louis de l'an 1246, pour constater les coutumes d'Anjou et du Maine, ceux qui auront le bail d'une fille héritière d'un fief donneront assurance au seigneur qu'elle ne sera mariée que de son consentement. 5 Décision 155, no 8; et 204, no 38. 6 In capel. Thol., décision 453. Eneid. lib. III, v. 523.

FIN DE L'ESPRIT DES LOIS.

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