Images de page
PDF
ePub

travaillé à la critique odieuse du livre De l'Esprit d'Helvétius. Bergier a fait celle de l'Ami des hommes, et des Annales de l'abbé de Saint-Pierre. Poinsinet a loué sa Briséis. Colardeau a déchiré Marmontel, et toujours sous le nom de Fréron. Berland a fait l'analyse de sa traduction du Prædium rusticum du P. Vannière ; Bruix, celle de ses Pensées et Réflexions. Coste a parlé lui-même de son Voyage d'Espagne 1, et cet extrait a fait mettre Fréron à la Bastille. Ce Coste est un mauvais sujet de Bayonne qui a fait cent lettres de change à Paris, où il n'ose plus paraître. Il couchait avec la femme de Fréron, et faisait mettre de l'argent de ce même Fréron sur des corsaires : c'est le seul ami qu'ait eu Fréron. En voilà assez ; les autres actions de ce polisson sont assez publiques.

2

SUPPLÉMENT3.

Les feuilles de Fréron furent encore suspendues pour avoir injurié grossièrement quelques personnes.

Autre suspension pour avoir fait paraître sa feuille sans qu'elle ait été vue par le censeur, lorsqu'il rendit compte du discours académique de M. d'Alembert. II avait éludé le censeur pour pouvoir plus librement exhaler sa rage contre cet académicien.

Autre suspension à l'occasion des Lettres de son ami Coste, dont j'ai parlé plus haut. Dans l'extrait que Fréron fit de ses Lettres, il parla, avec une indécence digne de Bicêtre, de la nation espagnole; il n'alla qu'à la Bastille.

Vous demandez ce que c'est que son mariage avec sa nièce, et son procès avec sa sœur. Sa nièce est de Quimper-Corentin comme lui; c'est la fille d'un huissier. Elle vint à Paris, il y a treize ou quatorze ans, et fut mise en qualité de servante chez la sœur de Fréron. Je l'ai vue balayer la rue devant la boutique de sa tante. Le mauvais traitement qu'elle recevait chez cette même tante engagea Fréron, qui demeurait avec sa sœur, à en sortir, et à prendre avec lui, dans une chambre garnie, rue de Bussi, la

1. Lettres sur le Voyage d'Espagne, 1756, in-12.

--

2. Il faut savoir si ce La Coste est celui qui a été depuis condamné aux galères. (Ce n'est pas le même.) (Note de Voltaire.) Cette note est dans l'édition de 1769. Ce qui est entre parenthèses fut ajouté dans l'édition de 1770. Coste, connu sous le nom de Coste d'Arnobat, est mort vers 1810. (B.)

3. Je ne sais si ce Supplément, et partie de la Note qui le suit, existent dans les éditions de 1761; mais ils sont dans l'édition de 1769. (B.)

petite fille avec laquelle il était en commerce; quelque temps après, Fréron prit des meubles. Sa nièce devint sa gouvernante; il lui fit deux enfants; pendant la grossesse du second, il se maria par dispense.

L'histoire du procès de Fréron avec sa sœur est très-longue et très-compliquée. Le libraire Lambert m'a fait lire un mémoire manuscrit, très-curieux et très-bien fait, où le procès est plaisamment raconté. Je sais que Lambert conserve très-soigneusement ce manuscrit, et l'abbé Laporte en a parlé dans l'Observateur littėraire (1760, t. Ier, p. 177); il rapporte le sujet de ce procès1. La sœur de Fréron est fripière; son enseigne est Au riche Laboureur; pour faire niche à son frère, qu'elle déteste bien cordialement, elle m'a dit qu'elle allait mettre une enseigne d'habits et de meubles sur sa boutique, avec ces mots : A L'ANNÉE FRIPIÈRE FRÉRON.

Fréron a fait faire il y a douze à quatorze ans deux cents paires de souliers pour envoyer aux îles; l'envoi a été fait effectivement; il en a reçu l'argent, et il le doit encore au cordonnier.

J'ai ouï dire à un procureur du Châtelet qu'il n'y avait pas de semaine qu'on n'appelât à l'audience quelque procès de ce Fréron, etc., etc.

NOTE.

Celui qui a daigné faire imprimer cet écrit tombé entre ses mains a voulu seulement faire rougir ceux qui ont protégé un coquin et ceux qui ont fait quelque attention à ses feuilles. Si on parle, dans l'histoire naturelle, des aigles et des rossignols, on y parle aussi des crapauds.

2 Il est nécessaire que ces infamies soient constatées par le témoignage de tous ceux qui sont cités dans cet écrit; ils ne doivent pas le refuser à la vengeance publique.

1. Laporte, sans nommer Fréron, parle d'un écrivain qui « fut prié de tenir l'enfant de sa sœur sur les fonts de baptême. Il fit venir du cabaret, à crédit, le vin du repas qui devait suivre la cérémonie. Il en but trop, selon sa coutume, s'enivra, injuria les convives, et se brouilla avec l'accouchée, prétendant que c'était à elle à payer le vin. Le marchand ne veut connaitre que celui qui l'a fait venir, et en exige le payement. Voilà la matière d'un procès qui dure depuis douze ans ». (B.)

- L'abbé Laporte ne valait pas mieux que Fréron, selon Grimm. C'est lui qui avait fabriqué ces Anecdotes, qu'il avait remises à Thieriot, lequel les avait adressées à Voltaire. (G. A.)

2. Cet alinéa n'existe pas dans l'édition de 1769; il est dans celle de 1770. (B.)

COPIE

DE LA LETTRE DE M. ROYOU, AVOCAT AU PARLEMENT DE RENNES, MARDI MATIN, 6 MARS 17701.

<< Fréron, auteur de l'Année littéraire, est mon cousin, et, malheureusement pour ma sœur, pour moi et pour toute la famille, mon beau-frère depuis trois ans.

« Mon père, subdélégué et sénéchal du Pont-l'Abbé, à trois lieues de Quimper-Corentin, en Basse-Bretagne, quoique dans une situation aisée, n'étant pas riche, ne donna à sa fille que vingt mille livres de dot. Trois jours après les noces, M. Fréron jugea à propos d'aller à Brest, où il dissipa cette somme avec des bateleuses.

« Il revint chez son beau-père pour donner à ma sœur, sa femme, un très-mauvais présent, et demander en grâce de quoi se rendre à Paris. Mon père fut assez bon, ou plutôt assez faible pour donner encore mille écus... Il était alors à Lorient et quoiqu'il reçut cette nouvelle somme par lettre de change, il ne put se rendre qu'à Alençon, et fit le reste de la route jusqu'à Paris comme les capucins, et ne donna pour toute voiture à sa femme qu'une place sur un peu de paille dans le panier de la voiture. publique.

« Arrivé à Paris, il n'en agit pas mieux avec elle. Ma sœur, après deux ans de patience, se plaignit à mon père, qui m'ordonna de me rendre incessamment à Paris pour m'informer si ma sœur était aussi cruellement traitée qu'elle le lui marquait. Alors Fréron chercha et tenta tous les moyens de me perdre. Il sut que, pendant les troubles du parlement de Bretagne, où je militais depuis plusieurs années en qualité d'avocat, j'ai montré un zèle vraiment patriotique et toute la fermeté d'un bon citoyen.

<< Comme il faisait le métier d'espion, il ne négligea rien pour obtenir, par le moyen de..., une lettre de cachet pour me faire renfermer.

« Fréron, qui voulait être à la fois ma partie, mon témoin et mon bourreau, vint en personne, escorté d'un commissaire et de neuf à dix manants, m'arrêter dans mon appartement à Paris, rue

1. Cette Lettre ne pouvait, d'après sa date, être dans l'édition de 1769 des Anecdotes sur Fréron. Elle y fut ajoutée dans l'édition de 1770. (B.) Voltaire en a donné un extrait dans le Dictionnaire philosophique; voyez tome XVII, page 215.

des Noyers. Il me fit traiter de la manière la plus barbare, et conduire au petit Châtelet, où je passai, dans le fond d'un cachot, la nuit du dimanche au lundi de la Pentecôte. Le lundi, Fréron se rendit, environ les dix heures du matin, avec ses affiliés, au petit Châtelet. Il me fit charger de chaînes et conduire à ma destination. Il était à côté de moi dans un fiacre, et tenait lui-même les chaînes, etc., etc. »>

On nous a communiqué l'original de cette lettre, signée Royot. Ce n'est pas à nous de discuter si le sieur Royou a été coupable ou non envers le gouvernement; mais quand même il eût été criminel, c'est toujours le procédé du plus lâche et du plus détestable coquin, de faire le métier d'archer pour arrêter et pour garrotter son beau-frère.

C'est pourtant ce misérable qui a contrefait l'homme de lettres, et qui a trouvé des protecteurs quand il a fallu déshonorer la littérature.

On lui a donné des examinateurs, qui tous se sont dégoûtés l'un après l'autre d'être les complices des platitudes d'un homme digne d'ailleurs de toute la sévérité de la justice. Ce fut d'abord le chirurgien Morand qui, après l'avoir guéri d'un mal vénérien, cessa d'avoir commerce avec lui. A Morand succéda le sieur Coquelet de Chaussepière, avocat, qui rougit bientôt de ce vil métier si peu fait pour lui. Il fut remplacé par le sieur Rémond Sainte-Albine, connu vulgairement sous un autre nom. On ne conçoit pas comment le sieur Rémond a pu donner son attache aux grossièretés que Fréron a vomies contre l'Académie dans je ne sais quelle satire contre l'Eloge de Molière, excellent ouvrage de M. de Chamfort. Fréron doit rendre grâce au mépris dont il est couvert s'il n'a pas été puni. L'Académie a ignoré ses impertinences: si la police l'avait su, il aurait pu faire un nouveau voyage à Bicêtre.

1. Couronné, en 1769, par l'Académie française.

FIN DES ANECDOTES SUR FRÉRON.

APPEL

A TOUTES LES NATIONS DE L'EUROPE

DES JUGEMENTS

D'UN ÉCRIVAIN ANGLAIS

OU

MANIFESTE

AU SUJET DES HONNEURS DU PAVILLON ENTRE LES THEATRES DE LONDRES ET DE PARIS.

AVERTISSEMENT DE BEUCHOT.

Dans le Journal encyclopédique, du 15 octobre 1760, on trouve un Parallèle entre Shakespeare et Corneille, traduit de l'anglais. Le même journal (du 4 novembre 1760) contient un Parallèle entre Otwai et Racine, traduit littéralement de l'anglais 1. C'est pour répondre à ces deux articles que Voltaire composa l'Appel à toutes les nations de l'Europe, qui parut en mars 1764. Le duc de La Vallière, à qui on avait communiqué un passage des Sermones festivi d'Urcéus Codrus, prenant ces Discours pour des Sermons, envoya le passage à Voltaire, qui le cita (voyez page 215) comme preuve de l'obscénité des prédicateurs. Par le fait du copiste ou de l'imprimeur, on avait imprimé Codret au lieu de Codrus; c'était une faute de plus. Lorsque l'Appel vit le jour, la critique eut beau jeu. Le duc de La Vallière écrivit, le 9 avril 4764, une lettre dans laquelle il déclare que c'est lui qui a induit Voltaire en erreur. Voltaire remercia le duc de sa générosité par une longue lettre que les éditeurs de Kehl et beaucoup d'autres ont placée dans les Mélanges littéraires, mais que j'ai mise dans la Correspondance, à sa date (avril ou mai 1761).

Ce fut sans doute (je n'en vois pas du moins d'autre cause), ce fut la singulière bévue dont j'ai parlé qui porta Voltaire à changer le titre de son écrit, lorsqu'en 1764 il le reproduisit (en y faisant des changements ou addi

1. Par l'abbé Prévost. (L. M.)

« PrécédentContinuer »