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LES CAR' '

A M. LEFRANC DE POMPIGNAN.

Vous ne cessez point de calomnier la nation; car jusque dans l'Éloge de feu monseigneur le duc de Bourgogne 2, lorsqu'il ne s'agit que d'essuyer nos larmes, vous ne parlez à l'héritier du trône, au père affligé, au prince sensible et juste, que de la fausse et aveugle philosophie qui règne en France, de la raison égarée, des cœurs corrompus, des mains suspectes, d'esprits gâtés par des opinions dangereuses; vous dites que dans ce siècle on ne regarde la mort que comme le retour au néant, etc.

Vous avez tort car il est cruel de dire à la maison royale que la France est pleine d'esprits qui ont peu de respect pour la religion catholique, et d'insinuer qu'ils en auront peu pour le trône; il est barbare de peindre comme dangereux des gens de lettres qui sont presque tous sans appui ; il est affreux de faire le métier de délateur quand on s'érige en consolateur, et de vouloir irriter des cœurs dont vous prétendez adoucir les regrets par vos phrases.

On voit assez que vous cherchez à écarter les gens de lettres de l'éducation des Enfants de France: car vous aspirez à en être chargé vous-même, vous et monsieur votre frère; car, pour paraître à la cour en maître, vous priâtes M. Dupré de Saint-Maur, qui vous recevait à l'Académie, de vous comparer à Moïse, dans son beau discours 3, et monsieur votre frère à Aaron : ce qu'il fit, et ce qu'il ne fera plus.

1. Les Car sont du mois d'octobre 1761; voyez dans la Correspondance, la lettre à Damilaville, du 11 octobre.

2. Lefranc de Pompignan fit imprimer un Éloge historique de monseigneur le duc de Bourgogne (mort le 22 mars), 1761, in-8°.

3. Dupré de Saint-Maur, directeur de l'Académie française, répondant, le 10 mars 1760, au récipiendaire Lefranc de Pompignan, lui disait : « Tout nous retrace en vous l'image de ces deux frères qui furent consacrés, l'un comme juge, l'autre comme pontife, pour opérer des miracles dans Israël. » Voyez, tome X, dans les Poésies mêlées, la chanson qui commence ainsi : Moïse, Aaron.

Ah, Moïse de Montauban! vous n'aviez pas pris dans les Tables de la loi votre Prière du déiste1, car elle n'y est pas. Cessez donc d'imputer des sentiments d'impiété à la nation, car vous avez ouvertement professé l'impiété.

Ce n'était pas ce que professait le professeur en droit votre grand'père, professant à Cahors: c'était un homme sage que ce professeur; s'il vivait encore, il vous dirait: Mon fils, soyez modeste; corrigez les vers de votre Didon, qui sont lâches, faibles, durs, secs, hérissés de solécismes.

Récitez les psaumes pénitentiaux, et ne les translatez point en vers plus durs et plus chargés d'épithètes que votre Didon. Ne soyez point hypocrite après avoir été impie, car c'est là le mal. Demandez pardon à l'Académie de l'avoir insultée, et surtout ennuyée, la seule fois que vous avez osé paraître devant elle. Ne donnez point de Mémoires au roi, car il ne les lira pas; et n'imaginez point de les faire imprimer par ordre du roi, car le roi n'en donnera pas l'ordre; ne soyez point délateur, car c'est un vilain métier; ne faites point le grand seigneur, car vous êtes d'une bonne bourgeoisie; ne cabalez plus pour être intrus dans l'éducation de nos princes, car, comme vous dites dans votre Épître à monseigneur le dauphin, elle ne sera pas confiée aux esprits gâtés, aux auteurs de la Prière du déiste, ni aux têtes chaudes qui ont l'esprit froid; n'insultez point les gens de lettres, car ils vous diront des vérités.

Si vous présidez à la cour des aides de Cahors, ou à l'élection, ou au grenier à sel, n'imitez point ce juge de village dont parle Horace, qui portait le laticlave, et faisait parade de sa chaise curule: car on en rit.

Ne dites plus au roi, dans un libelle de supplique, qu'il traite ses sujets comme des esclaves, car alors ce n'est plus une supplique, et il ne reste que le libelle; et lorsqu'on est coupable d'un libelle si insensé, on a beau faire sa cour au P. Desmarets, jésuite3, le P. Desmarets jésuite ne vous fera jamais entrer dans le conseil : car il n'y entrera pas lui-même.

1. Voyez page 112.

2. Voyez la note, pages 112 et 131.

3. Confesseur du roi.

FIN DES CAR.

LES AH! AH'!

A MOÏSE LEFRANC DE POMPIGNAN.

Ah! ah! Moïse Lefranc de Pompignan, vous êtes donc un plagiaire, et vous nous faisiez accroire que vous étiez un génie!

Ah! ah! vous avez donc pillé le P. Villermet 2 dans votre Histoire de monseigneur le duc de Bourgogne, et vous vous portiez pour historiographe des Enfants de France, écrivant de votre chef. Vous avez cru que les biens des jésuites étaient déjà confisqués, vous vous êtes pressé de vous emparer de leur style. Vous êtes traducteur de Villermet après avoir été traducteur de Métastase, et vous n'en disiez mot!

Ah! ah! vous vous donniez pour un favori3 que la famille royale a prié de vouloir bien écrire l'histoire des Enfants de France. Vous nous induisiez en erreur, en disant dans votre Épitre dédicatoire à monseigneur le dauphin et à madame la dauphine: « J'obéis à vos ordres » ; et il se trouve que vous avez seulement usé de la permission qu'ils ont daigné vous donner de leur dédier votre petite translation, permission qu'on accorde à qui la demande.

Il semble, par votre Épître dédicatoire, que le roi et monseigneur le dauphin vous aient dit : « Monsieur Lefranc de Pompignan, ayez la bonté d'apprendre à l'univers que nous ne confierons jamais nos enfants à des mains suspectes, à des cœurs corrompus, à des esprits gâtés. »

Mais, Moïse Lefranc, qui jamais a voulu faire élever ses en

1. Cette pièce est aussi mentionnée dans la lettre à Damilaville, du 11 octobre 1761. 2. Claude-Fr. Willermet, jésuite, est auteur de Serenissimi Burgundiorum ducis Laudatio funebris, prononcée le 29 mai 1761, au collège de Louis le Grand, et traduite en français par le P. de Querbeuf, 1761, in-8°.

3. Voyez, tome X, dans les Poésies mêlées, la chanson qui commence par ce

vers:

Nous avons vu ce beau village.

fants par des esprits gâtés, et des cœurs corrompus, qui ont des mains suspectes? Vos mains ont sans doute un bon cœur; mais ce n'est pas assez pour élever nos princes.

Ah! ah! Moïse Lefranc de Pompignan, vous vouliez donc faire trembler toute la littérature? Il y avait un jour un fanfaron qui donnait des coups de pied dans le cul à un pauvre diable, et celui-ci les recevait par respect; vint un brave qui donna des coups de pied au cul du fanfaron; le pauvre diable se retourne, et dit à son batteur: « Ah! ah! monsieur, vous ne m'aviez pas dit que vous étiez un poltron »; et il rossa le fanfaron à son tour, de quoi le prochain fut merveilleusement content. Ah! ah!

FIN DES AH! AH!

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