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l'art de mettre une apparente clarté, et le charme de ses vertus comme de ses talents, dans les plus aventureux raffinements de ses mystiques ambitions. Plaignons donc les disgrâces de Fénelon; respectons sa candeur relative, sa constance et l'humilité glorieuse de son obéissance; mais ne reprochons pas à Bossuet d'avoir fait ce qu'il crut son devoir, en combattant un péril dissimulé par tant de séductions qui protègent encore aujourd'hui le vaincu.

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L'homme et l'évèque. Jusque parmi ces orages il conserva cette sérénité que son grand esprit trouvait dans sa hauteur car, s'il est quelque chose de supérieur encore à son génie, c'est son caractère, si éminemment sacerdotal, où la simplicité, la droiture, le bon sens et la mesure s'allièrent toujours aux ardeurs les plus vives des questions alors les plus brùlantes. Ses actes et ses discours se confondent; les uns ajoutent aux autres la force des exemples. Jamais il n'eut souci de l'éloge, ni de l'opinion. Éclairer, diriger les âmes, fut toute sa vie, et c'est de lui que l'on peut répéter ce que Fénelon disait de l'orateur idéal : « Il ne se sert de la parole que pour la pensée, et de la pensée que pour la vérité et la vertu ». Dans cette éloquence si substantielle rayonne donc la beauté morale. L'homme vaut l'écrivain, et tous deux peuvent être, comme tout ce qui est voisin de la perfection, une matière inépuisable de contemplation féconde.

Aussi une brève notice ne peut-elle qu'effleurer un sujet si riche. Terminons en rappelant qu'en 1695 Bossuet fut élu conservateur des privilèges de l'Université dans une assemblée générale réunie sous la présidence de Rollin, alors recteur; et qu'en 1697, Louis XIV le nommait son conseiller d'État, seule dignité que ce grand homme ait paru désirer, et la dernière que lui conféra le souverain. Atteint de la pierre en 1701, il rendit son âme à Dieu le 12 avril 1704. Il avait demandé, dans son testament, à être enterré aux pieds de ses prédécesseurs, dans l'église de Meaux. Ce vœu fut accompli. Le 14 novembre 1854, on a retrouvé sa tombe, et ouvert son cercueil. Après un siècle et demi, on put reconnaitre ses traits. Plus inaltérable encore aux injures du temps et aux révolutions du goût, sa gloire suscitera sans cesse des panégyristes convaincus, et

LA PRÉDICATION AVANT BOSSUET.

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sera toujours une des religions de la France. Elle ne se discute plus; on s'honore soi-même en lui apportant un nouveau tribut.

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Les auditeurs font les orateurs. Réforme de la prédication au XVIIe siècle. Influence de Bossuet. « Ce ne sont pas les prédicateurs qui se font eux-mêmes, disait Bossuet; c'est aux auditeurs à les faire tels qu'ils doivent être. Il faut d'abord qu'ils s'adressent à des oreilles dociles. A ce titre, le XVIe siècle ne pouvait manquer d'être un âge d'élection pour l'éloquence sacrée. Celle-ci en effet, suscitée par cet esprit chrétien dont le réveil se manifeste souvent au lendemain des malheurs publics, fortifiée par la réforme des mœurs et des études ecclésiastiques, assurée de son empire par les sentiments du Prince et la croyance des peuples, servie par la maturité d'une langue qui pouvait enfin suffire à tous les besoins de la pensée, eut seule, sous la monarchie la plus absolue, le privilège d'une liberté que Louis XIV respecta comme le droit ou plutôt comme le devoir de l'Église. La Prédication était d'ailleurs alors la seule carrière où pût se déployer cette faculté oratoire qui est propre à notre race. Aussi est-ce de ce côté que se tournèrent des intelligences qui, dans un autre milieu, eussent illustré la tribune ou le barreau, l'Église permit l'accès des honneurs à des talents de naissance obscure. Il y avait là de quoi stimuler les ambitions et les courages, et la prédication au XVIIe siècle fut vraiment une de ces institutions souveraines qui agissent sur les consciences et gouvernent les âmes. Même avant l'avènement des grands initiateurs, plus d'une chaire avait déjà substitué, par des exceptions heureuses, à une ingrate scolastique la science féconde des Écritures, aux licences d'une fantaisie triviale ou à la pompe d'un luxe fas

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tueux la modestie et l'efficacité du discours pastoral. Parmi ces précurseurs il faut citer: Du Perron; - saint François de Sales, en dépit de quelques pensées alambiquées; le Père Bourgoing, supérieur de l'Oratoire, qui eut l'enviable fortune d'être loué par Bossuet; le Père Le Jeune, qui prêcha de 1625 à 1660, et transporta dans la chaire les habitudes familières du catéchisme; le Père Sénault, qui fut à l'égard de Bourdaloue ce que Rotrou est pour Corneille (Voltaire); — Claude de Lingendes, né en 1580, homme de sens et de cœur dont la raison fut éloquente; - saint Vincent de Paul surtout, dont nous avons vu que Bossuet fut quelque temps le disciple, à Saint-Lazare;

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Cospéan, l'évêque d'Aire, qui fut un des réformateurs de la chaire, et, comme nous l'avons vu, un des premiers conseillers de Bossuet, bien qu'il amalgamât, dans l'Oraison funèbre d'Henri IV, des citations de Salomon, Ronsard, Platon, Pythagore, Salluste et Plutarque: mais quels modèles et quels émules il avait, pour l'excuser! (En 1602, le plus considérable représentant de la chaire sous Henri IV, Pierre de Besse, prêchant sur la Passion, n'appelait-il pas les sacrements aqueducs de la grâce, les mauvaises pensées allumettes des vices, Jésus-Christ le procureur d'Abraham, la sainte Vierge l'Infante de la Trinité, Lucifer le Concierge des Démons? Et en 1616, le P. Vallaldier, dans son sermon sur la Mort, n'apostrophait-il pas ainsi les riches Vous êtes gras de chair, gras de lard, gras de plaisir : tant mieux pour le diable! Bon pour la marmite du diable! Des compagnies célèbres furent aussi de vaillants foyers d'apostolat, et contribuèrent à la rénovation des mœurs ou des études ecclésiastiques. Signalons surtout l'Oratoire et Port-Royal (voir l'ouvrage de M. Jacquinet sur les Prédicateurs du XVIIe siècle avant Bossuet).

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Mais cette révolution, commencée par l'instinct du bon sens, le génie seul devait l'accomplir définitivement. Lorsque l'élite de la Cour et de la Ville eut admiré un théologien profond, un moraliste clairvoyant, un dialecticien pathétique, un orateur majestueux et simple, familier sans bassesse, hardi sans témérité, riche de tous les accents qui expriment sous une forme incomparable les tendresses ou les sévérités du christianisme, une lumière soudaine éclaira tous les yeux; on s'étonna

INVENTAIRE ET HISTOIRE DE SES SERMONS.

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d'avoir si longtemps souffert la réputation usurpée de décla mateurs insipides; et l'indifférence ou le mépris de tous fit justice d'un art théâtral ou frivole qui déshonorait le ministère évangélique.

Dans cette éducation du goût public, la meilleure part d'influence revient donc à Bossuet; car il justifia vraiment le mot de Voiture disant : « Nul n'a prêché ni si tôt, ni si tard ». Nous entendons par là que sa prédication dura plus d'un demi-siècle, depuis le collège de Navarre, où il se signalait par la précocité de sa parole, jusqu'à sa verte vieillesse qui fut encore un apostolat. Si, de 1670 à 1682, il ne reparut dans la chaire qu'en de rares occasions, c'est que les devoirs de son préceptorat ne lui en laissaient plus le loisir; mais, le lendemain même du jour où il prit possession du siège épiscopal de Meaux, sa voix retentit de nouveau devant les fidèles, et ne cessa plus de répandre la doctrine non seulement dans la cathédrale de son diocèse et dans les synodes annuels du clergé, mais jusque dans les plus humbles couvents de religieuses ou dans de pauvres églises de campagne,

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Inventaire des sermons, Désintéressement de Bossuet, Méprise de ses contemporains, Ce zèle infatigable nous est attesté par des reliques dont l'ensemble comprend cent quarante-sept sermons, treize discours de vêture, vingt-trois panégyriques et dix oraisons funèbres ; voilà les épaves d'un naufrage où ont péri plus de cent autres pièces oratoires dont nous ne connaissons que les sujets ou les titres. Si l'œuvre n'a pas sombré tout entière, on s'en étonne, quand on sait quelles vicissitudes subirent les manuscrits du grand évêque, avant d'être enfin sauvés de l'oubli, soixante-huit ans après sa mort,

D'abord, est-il besoin de dire que Bossuet ne songea point à les faire paraitre? Non, le souci de la gloire humaine n'entra jamais dans son cœur. Si tous ses écrits sont des actes, à plus forte raison les bienfaits de sa parole furent-ils le premier devoir de ce sacerdoce militant auquel il se dévoua sans penser à lui-même. De son vivant, il ne publia personnellement que

1. Voir l'introduction et les notices qui précèdent chaque discours dans les Sermons choisis, par M. Rébelliau, publiés avec introduction et commentaires. Paris, Hachette, 1882, in-16.

six oraisons funèbres, et cela pour satisfaire à des amitiés illustres, ou à des prières qui valaient des ordres. C'est ainsi que les vœux instants de Madame, duchesse d'Orléans, le décidèrent seuls à faire imprimer, en 1669, l'Oraison funèbre d'Henriette de France. Quant à l'unique sermon dont il surveilla l'impression, celui qui traite de l'Unité de l'Église (1682), il obéit à des convenances officielles, en faisant connaître à toute la France cette déclaration religieuse et politique, où l'interprète des libertés gallicanes essayait, non sans quelque gène, de concilier les droits de deux puissances également ombrageuses. Si l'on ajoute à ces textes le discours prononcé pour la Profession de Mme de la Vallière, et l'Oraison funèbre de Nicolas Cornet, qui virent le jour l'un en 1691, l'autre en 1698, mais sans l'aveu du Maître (car il ne voulut pas s'y reconnaître, au témoignage de son secrétaire l'abbé Ledieu), l'éloquence de Bossuet n'était représentée que par neuf monuments, lorsqu'il mourut en 1704, après quatre-vingts années d'existence digne d'un père de l'Église. Outre qu'il fut désintéressé de tout amour-propre, on s'explique pourquoi, dans une carrière si pleine, il ne voulut point recueillir les saillies éparses d'une improvisation qui se prodiguait au jour le jour, sans viser au lointain avenir. Ce fond de doctrine devint pour lui comme un réservoir où le controversiste, le théologien, le philosophe et le moraliste puisèrent incessamment pour suffire aux obligations pressantes d'une activité religieuse qui se déployait sans relâche dans les directions les plus diverses. Ce fut ainsi que bien des idées générales passèrent de la chaire, où elles s'étaient essayées, dans des ouvrages où elles revêtirent une forme définitive, par exemple dans le Traité de la concupiscence, la Politique tirée de l'Écriture sainte, les Élévations sur les Mystères, et les Méditations sur l'Évangile. Dans l'Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre se retrouve une partie du sermon sur la Mort; dans celle d'Anne de Gonzague se sont glissés des fragments du sermon sur la Vérité de la religion. Il reprenait son bien, pour le mieux placer. Quoi qu'il en soit de ces nécessités ou de ces scrupules, l'orateur n'assura pas même la renommée de ses sermons par des dispositions posthumes.

D'ailleurs il faut bien avouer que la réputation du docteur

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