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c'est de ne pas juger, par la lecture d'un moment, d'un travail de vingt années; d'approuver ou de condamner le livre entier, & nom pas quelques phrases. Si l'on veut chercher le deffein de l'Auteur on ne le peut bien découvrir que dans le deffein de l'ouvrage.

J'ai d'abord examiné les hommes; & j'ai cru que, dans cette infinie diverfité de lois & de mœurs, ils n'étoient pas uniquement conduits par leurs fantaisies.

J'ai pofé les principes; & j'ai vu les cas particuliers s'y plier comme d'eux-mêmes, les hiftoires de toutes les nations n'en être que les fuites, & chaque loi particuliere liée avec une autre loi, ou dépen dre d'une autre plus générale.

Quand j'ai été rappelé à l'antiquité, j'ai cherché à en prendre l'efprit, pour ne pas regarder comme femblables des cas réellement différens, & ne pas manquer les différences de ceux qui paroiffent femblables.

Je n'ai point tiré mes principes de mes préjugés, mais de la nature des choses.

Ici, bien des vérités ne fe feront fentir qu'après qu'on aura vu la chaîne qui les lie à d'autres. Plus on réfléchira fur les détails, plus on fentira la certitude des principes. Ces détails même, je ne les ai pas tous donnés; car, qui pourroit dire tout fans un mortel ennui?

On ne trouvera point ici ces traits faillans qui femblent carac

tériser les ouvrages d'aujourd'hui. Pour peu qu'on voie les chofes avec une certaine étendue, les faillies s'évanouiffent; elles ne naif fent d'ordinaire, que parce que l'efprit fe jette tout d'un côté, & abandonne tous les autres.

Je n'écris point pour cenfurer ce qui est établi dans quelque pays que ce foit. Chaque nation trouvera ici les raifons de fes maximes; & on en tirera naturellement cette conféquence, qu'il n'appartient de propofer des changemens qu'à ceux qui font affez heureufement nés pour pénétrer d'un coup de génie toute la conftitution d'un état. Il n'eft indifférent que le

pas

peuple foit éclairé. Les préjugés

des magiftrats ont commencé par

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être les préjugés de la nation. Dans un temps d'ignorance, on n'a aucun doute, même lorsqu'on fait les plus grands maux ; dans un temps de lumiere, on tremble encore lorfqu'on fait les plus grands biens. On fent les abus anciens, on en voit la correction; mais on voit encore les abus de la correction même. On laisse le mal, fi l'on craint le pire; on laiffe le bien, fi on eft en doute du mieux. On ne regarde les parties, que pour juger du tout ensemble on examine toutes les causes, pour voir tous les résultats.

Si je pouvois faire en forte que tout le monde eût de nouvelles raifons pour aimer fes devoirs, son prince, sa patrie, ses lois; qu'on pût mieux fentir fon bon

heur dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque pofte où l'on fe trouve; je me croirois le plus heureux des mortels.

Si je pouvois faire en forte que ceux qui commandent augmentaffent leurs connoiffances fur ce qu'ils doivent prefcrire, & que ceux qui obéiffent trouvaffent un nouveau plaifir à obéir ; je me croirois le plus heureux des mortels.

Je me croirois le plus heureux des mortels, fi je pouvois faire que les hommes puffent fe guérir de leurs préjugés. J'appelle ici préjugés, non pas ce qui fait que l'on ignore de certaines choses, mais ce qui fait qu'on s'ignore foi-même. C'eft en cherchant à inftruire les hommes, que l'on peut pra

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