Images de page
PDF
ePub

Au reste, nous faisons au palais nos ouvrages tran→ quillement. Nous y avons des ouvriers qui travaillent sous notre direction : personne ne nous inquiète. J'y récite sans gêne, devant les mandarins infidèles, mon office et mes autres prières. Vous voyez par là, combien nous y sommes libres pour l'exercice de notre religion, et combien l'empereur est discret à cet égard. On avoit une espèce de vasé d'acier auquel on souhaitoit de faire donner une couleur bleue : on me demanda si je le pouvois. Ne sachant pas quel étoit l'usage de ce vase, je répondis d'abord, que je pouvois du moins l'essayer. Mais sur ces entrefaites, je fus averti que ce vase étoit destiné à des usages superstitieux; les mandarins qui le savoient bien, vouloient m'en faire mystère. Alors, j'allai les trouver, et je leur dis en souriant: Quand vous m'avez proposé de préparer ce vase, vous n'avez pas ajouté que c'étoit tels et tels usages, qui ne s'accordent point avec la sainteté de notre religion; ainsi je ne puis m'en charger. Les mandarins se mirent à rire, et ne me pressèrent pas dayantage, témoignant assez par là, le peu de cas qu'ils faisoient de leurs dieux; ainsi le vase est resté tel qu'il étoit. L'empereur et les grands conviennent que notre religion est bonne s'ils s'opposent à ce qu'on la prêche publiquement, et s'ils ne souffrent pas les missionnaires dans les terres, ce n'est que par des raisons de politique, et dans la crainte que, sous le prétexte de la religion, nous ne cachions quelque autre dessein. Ils savent en gros, les conquêtes que les Européens ont faites dans les Indes: ils craignent à la Chine,

pour

quelque chose de pareil. Si on pouvoit les rassurer sur ce point-là, bientôt on auroit toutes les permissions qu'on désire.

Extrait d'une lettre du révérend père Dolliers“, missionnaire de la compagnie de Jésus.

I

A Pékin, le & octobre 1769.

RIEN ne décèle mieux le génie bizarre des Chinois, que la manière dont les choses se sont passées pendant la persécution. On faisoit venir les chrétiens devant les tribunaux; là, on les interrogeoit sur leur culte, sur leur doctrine, sur leurs usages et leurs cérémonies; et sur leurs réponses, les juges ne pouvoient s'empêcher d'approuver et de louer le culte, la doctrine, les usages et les cérémonies des chrétiens. Cependant ils ont employé la ruse, les promesses, les menaces, les tortures même, pour les obliger à dire au moins quelque chose qui, sans être une abjuration formelle de leur religion, pût donner à croire qu'ils avoient changé, sauf à vous, Leur disoit-on, de faire demain, comme à votre ordinaire; nous ne nous embarrassons ni de vos pensées ni de vas cœurs; croyez ce que vous voudrez; pensez comme il vous plaira, nous le trouvons bon; mais nous voulons entendre un mot de votre bouche: je m'observerai; je prendrai garde. à moi; je vivrai mieux que je n'ai fait, ou telle autre expression semblable.

[ocr errors]
[ocr errors]

Avant que de faire éclater la persécution contre les chrétiens, on avoit fait les recherches les plus rigoureuses de plusieurs bandits idolâtres qui souffloient dans différentes provinces de l'empire, le feu de la discorde et de la sédition; et un grand nombre avoient été mis à mort pour des crimes dont ils avoient été convaincus. Comme on n'avoit alors, aucun sujet de plainte contre les chrétiens, on les accusa d'être les premiers auteurs de cette révolte, et l'on crut pouvoir les intimider, par la vue des tourmens qu'on fit endurer aux vrais coupables. Je vous laisse à chercher dans tout cela, la sagesse et l'équité dont nos philosophes de France font tant d'honneur à la nation chinoise.

Notre sainte religion, qui est aussi simple qué su blime, ne pourra jamais, sans une grâcé particulière du ciel, devenir la religion dominante du pays. La bonne opinion que les Chinois ont d'eux-mêmes, la persuasion où ils sont, que rien n'égale la pénétration de leur esprit, les chimères dont ils sont infatués, l'attachement extraordinaire qu'ils ont pour tout ce qui peut flatter leurs penchans, et enfin l'a dresse surprenante des bonzes à tromper ce pauvre peuple, sont des obstacles trop puissans, pour que nous osions espérer de les surmonter, sans un miracle de la Providence.

[ocr errors]

Extrait d'une lettre du père Cibot, missionnaire, au père D.....

A Pékin, le 3, novembre 1772.

Vous ne sauriez croire, mon révérend père, jusqu'à quel point on nous a noircis dans l'esprit des infidèles. Nous aurions tous été renvoyés, sans la protection spéciale de l'empereur, qui, connoissant mieux que personne, la fausseté des accusations dont on nous charge ici, met toute sa gloire à nous défendre, et à nous conserver dans ses Etats. Dieu qui tient dans ses mains le cœur des rois, l'a tellement disposé en notre faveur, que nous avons beaucoup à nous louer des bontés dont il nous honore. C'est un prince qui voit tout par lui-même; plein de droiture et d'équité, il ne souffre pas qu'on commette la moindre injustice. Doux et accessible, il écoute avec plaisir, l'innocent qui se justifie; mais prompt et sévère, il humilie et punit l'oppresseur. Il ne paroît pas que l'adulation ait beaucoup d'empire sur son esprit; il a des courtisans comme tous les princes de la terre; mais sa modestie et son rare mérite le mettent au-dessus de leurs louanges intéressées.

Vous savez qu'on a commencé par attaquer les missionnaires du tribunal des mathématiques. L'empereur qui les estime et qui les honore de son amitié, n'en a pas plutôt été informé, qu'il a défendu de

,

les inquiéter, sous quelque prétexte que ce fût. Vous me demanderez les raisons qui peuvent engager ce prince à nous protéger si puissamment; les voici. Outre l'affection singulière que l'auguste famille qui occupe le trône, nous a toujours accordée, l'empereur tient à nous, 1o. par l'habitude de l'enfance. Son grand père Cang-Hy, qui l'aimoit éperdument,, vouloit toujours l'avoir avec lui, lorsqu'il daignoit admettre les Européens à sa cour, ou en recevoir des présens. 2°. Son gouverneur étoit plein de respect pour notre sainte religion; et il a si heureusement réussi à lui en inspirer une juste idée que le premier ouvrage que sa majesté a publié, n'est,. pour ainsi dire, qu'un tissu de maximes et de principes qui supposent dans ce monarque, la connoissance la plus vraie et la plus étendue de la religion naturelle. 3o. Comme il avoit un goût particulier pour la peinture, dès qu'il fut sur le trône il s'attacha au frère Castiglione, dont il aimoit à se dire le disciple, et passa peu de jours de son deuil (1) sans l'avoir auprès de lui, plusieurs heures. 4°. Les Européens ont beaucoup plus fait pour lui, et sous son règne, qu'ils n'avoient fait sous Cang-Hy, son grand'père; la raison en est, que ce prince étant jeune encore, on a tant admiré 'ses belles qualités, que chacun s'est efforcé dans la suite, de justifier la haute idée qu'on en avoit conçue. 5o. Ce prince a reconnu

[ocr errors]

(1) Les empereurs portent trois ans le deuil de leurs prédécesseurs. Les enfans en agissent de même à l'égard de leurs pères.

« PrécédentContinuer »