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voient mieux que ces prétendus politiques, qui se trouvent à tant de distance, des affaires publiques. D'autres diront: Nous ne pouvons pas suffire à nos pauvres, qu'est-il besoin de s'embarrasser d'étrangers? Mais je leur demanderai, à mon tour, si la cause de Dieu peut être étrangère à qui que ce soit ? On dira peut-être encore, que les chrétiens de Chine contribuent à la bonne œuvre, et que c'est leur affaire. Je prierai ceux-ci d'observer qu'ils le font ; qu'il y en a même qui s'y sont appauvris; mais il s'en faut bien que les aumônes soient proportionnées aux besoins. La plupart des chrétiens n'ont ici que le simple nécessaire, et beaucoup en manquent. Nous en recevons peu d'aumônes. Nous avons affaire, pour la plupart du temps, à de nouveaux prosélytes; il est prudent de ménager leur foiblesse : si on les mettoit à contribution, ils soupçonneroient facilement, que nous cherchons leur argent plutôt que leurs ames, et il est important qu'ils soient persuadés du contraire, afin que nous puissions leur dire en toute assurance, et sans qu'ils puissent nous reprocher la moindre apparence de mal en ce genre: Vous savez que c'est vous que nous cherchons, et non pas vos biens. Nous espérons que dans la suite, l'Eglise de -Chine se soutiendra par ses propres fonds; mais pour cela il faut un bien plus grand nombre de chrétiens, et qu'ils soient fortement affermis dans la foi: qu'on nous mette donc en état de contribuer à l'un et l'autre bien.

Il vient de se former, dans la partie occidentale de la province de Sutchuen, une chrétienté assez

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considérable, et qui augmentera avec le temps. Cinquante ou soixante familles chrétiennes ont ache→ té une chaîne de montagnes dans le district de Tientsuen, ville du second ordre. Ce terrain peut avoir une journée de chemin en longueur, et la moitié en largeur (1); il y a déja deux cents chrétiens qui le cultivent. Ce qu'il y a de singulier, c'est qu'on a trouvé , sur ces montagnes, des plaines, dont l'une s'appelle la plaine de saint-Joseph; une autre, la plaine d'Europe; une troisième, la plaine de la sainte-Mère, qui est le nom qu'on a donné ici à la sainte Vierge. Les plus anciens habitans du pays ignorent l'origine de ces noms. Il est certain qu'il y a eu autrefois des chrétiens dans ce district, qui n'appartient aux Chinois que depuis le règne du père de l'empereur actuel. Le nombre des chrétiens qui venoient s'établir dans ces montagnes, a fait beaucoup de sensation à plusieurs lieues aux environs, ce qui a fourni l'occasion d'annoncer la religion, et beaucoup d'infidèles l'ont embrassée.

Le gouverneur de cet endroit est lui-même chrétien, il jouit d'une grande autorité; ce qui n'a pas empêché les païens d'accuser la religion chrétienne au prétoire de Tientsuen; mais le gouverneur n'a point eu d'égard à leurs poursuites, quoique réitérées; il s'est contenté de défendre deux sectes, celle des rebelles et celle des magiciens, sans dire un seul mot contre la religion chrétienne, ajoutant:

(1) Les lettres de l'année précédente ont déjà dit quelque chose de ce nouvel établissement.

que l'intention du gouverneur n'étoit pas de défendre les bonnes choses. Cette déclaration a fait cesser les troubles, et aujourd'hui, tout est tranquille. J'espère que Dieu bénira cet établissement: il s'y est rassemblé un assez grand nombre de chrétiens fervens, et, à proprement parler, il n'y en a pas de mauvais. Comme j'allois les visiter, on m'a dénoucé au gouverneur de la ville, qui a répondu à l'accusateur, qu'il n'ajoutoit aucune foi à ce qu'il lui disoit.

Relation de Mgr de Saint-Martin, évêque de Caradre, coadjuteur du vicaire apostolique du Sutchuen en Chine, sorti de prison, le 10 novembre ́ 1783. Adressée au séminaire des missions étran gères.

A Pékin, le 21 novembre 1785.

Vous avez su la prise des quatre Européens, missionnaires de la congrégation de la Propagande, trahis par un apostat. Plusieurs de leurs conducteurs ayant pris la fuite, on en fit les recherches les plus sévères. Un d'entr'eux, nommé Tchang, qui s'étoit converti à la foi, à Tchin- tou (capitale du Sutchuen), que j'avois baptisé, et qui s'étoit ensuite fixé dans la province du Hou-kouang, sa patrie, emporta quelques billets d'invitation qu'une famille chrétienne lui remit, pour les distribuer aux chrétiens de son pays, et en obtenir des prières pour le

repos de l'ame d'un défunt. Le nom de cette famille le lieu de sa demeure, qui étoit près de la ville capitale de notre province, y étoient clairement exprimés. Les mandarins respectifs eurent ordre de faire une descente dans la maison de ce chrétien, déja dénoncé et fugitif, et ils y trouvèrent le billet d'invitation. Un autre chrétien, interrogé d'où il tenoit des images et un livre de prières, déclara les avoir reçus de M. Sou, ancien prêtre chinois de la Propagande, qui a travaillé long-temps au Sutchuen, sous monseigneur Mullener, et est mort à Canton, depuis douze à quinze ans. Il traduisit ce missionnaire comme demeurant au Sutchuen, dans un endroit qu'il détermina. Aussitôt, le gouverneur du Houkouang écrivit à celui du Sutchuen, pour faire prendre M. Sou, ainsi que le chrétien fugitif, dans la maison duquel on avoit trouvé l'écrit dont je viens de parler. Peu de temps après, parut un édit de l'empereur qui enjoignoit, d'examiner s'il n'y avoit pas de prédicateurs de la religion; il ajoutoit néanmoins, qu'on ne devoit pas confondre cette religion avec les mauvaises, qu'ils appellent Sie-kiao, quoiqu'elle semble avoir affinité avec celle des mahométans. ('Ceux-ci étoient, pour lors, révoltés dans la province de Kansue ou Kansou, limitrophe de celle de Chensi). A la réception de ces ordres, notre maison de Tchintou fut investie. Sur la nouvelle des persécutions excitées dans la province, on avoit déja mis en sûreté nos effets de religion; il n'y avoit, pour garder la maison, qu'un seul catéchiste. Il fut pris avec plusieurs autres chrétiens, que le désir de sa

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voir des nouvelles y avoient amenés. Les satellites se transportèrent dans d'autres maisons de la ville ils enchaînèrent les chrétiens qu'ils purent trouver, prirent leurs livres de religion, et le calendrier nouvellement imprimé : il y eut, en tout, vingt-deux chrétiens conduits au prétoire. Le gouverneur nom-, ma un des premiers mandarins de la province, pour les juger. Celui-ci, qui connoît parfaitement notre sainte religion, et qui l'estime, donna, dès le premier interrogatoire, des preuves de sa bonne volonté. Il renvoya, sans les interroger, quatre jeunes gens de 15 à 20 ans, sous prétexte qu'il falloit du monde pour garder les maisons où ils avoient été pris. C'étoit un coup de providence, car, des gens de cet âge, mis à la question, auroient pu déclarer tout ce qu'on auroit voulu. Les autres chrétiens furent interrogés touchant les prédicateurs de la religion, et les autres objets mentionnés dans l'édit de l'empereur. La plupart déclarèrent, qu'ils tenoient la religion de leurs ancêtres; quelques-uns nommèrent quelques particuliers qui les avoient instruits, et qui se trouvoient pris avec eux. On prouva que M. Sou étoit mort on expliqua le billet d'invitation d'une manière qui ne déplut point. Les livres chinois furent mis sur le compte d'un de nos courriers, parti pour Macao, où il avoit été envoyé extraordinairement, au sujet de la députation de M. Chaumont. L'affaire du calendrier fut plus sérieuse, parce que lors de sa prise, celui des Chinois n'avoit pas encore été rendu public; ce qui fit soupçonner, qu'il y avoit des Européens dans la province, ou

ou

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