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N'allant plus à la cour, nous nous répandons parmi le peuple, autant que nous le pouvons. Toutes les nations se rendent à Siam, Cochinchinois, Laotiens (peuples de Laos, royaume d'Asie, limitrophe de celui de Siam), Chinois, etc. Nous ne manquons point de moisson, il ne nous manque que des ouvriers, mais des ouvriers apostoliques, pleins de zèle, et qui ne craignent point les tourmens et la mort. Nous sommes continuellement à la veille de subir un semblable sort : nous faisons ce qu'il faut pour le mériter; mais le Seigneur a pitié de notre foiblesse. Cette année, nous avons eu la consolation de voir plusieurs adultes recevoir le baptême. Si nous avions été plus d'ouvriers, nous eussions pu procurer la même grâce à bien d'autres adultes Laotiens qui sont morts cette année, dans le pays. Près de quatre-vingt ont reçu le baptême avant de mourir, et j'en ai vu plusieurs qui recevoient avec bien de la joie, la parole du Seigneur au milieu de leur peine et de leur misère. J'avois parmi les Laotiens un grand nombre qui écoutoient avec docilité notre sainte religion, et me prioient de la leur enseigner; mais le démon, a troublé ces commencemens heureux. Tous ces chers catéchumènes sont actuellement dispersés: j'ai de la peine à les rencontrer; mes autres occupations ne me permettent point d'aller et venir à ma volonté. La volonté du Seigneur soit bénie, le tout tournera à sa plus grande gloire, et ces pauvres gens dispersés feront connoître, je l'espère, le nom du vrai Dieu en qui ils croient. Mon confrère travaille auprès des Co

chinchinois, qui sont en grand nombre. Les Síamois nous témoignent de l'estime, et peu à peu rendent justice à la sainteté de notre religion. Leurs tala poins perdent un peu de leur crédit; à quoi cela aboutira-t-il? Le Seigneur le sait. Nous avons bien besoin que l'on prie pour nous. Le nombre des enfans mourans, baptisés cette année, monte à plus de neuf cents; c'est autant de gagné pour le ciel.

Relation de la persécution qu'a soufferte M. Gleyo, prêtre du séminaire des missions étrangères, en $779.

TRAINÉ aux tribunal du Lao-ye, la première ques tion qu'il me fit fut celle-ci Européen! qu'êtesvous venu faire ici? Je suis venu, lui dis-je, prêcher la religion chrétienne, et ce n'est pas, comme vous le pensez, la secte des Pelen-kiao, Notre religion est connue de l'empereur; il y a jusques dans sa cour, des Européens qui l'enseignent tout comme moi ils ont dans Pékin des églises ouvertes, où l'on fait publiquement les exercices de notre sainte religion: l'empereur Kang-Hi a été sur le point de l'embrasser; il y a des chrétiens dans toutes les provinces de l'empire, et ceux qui connoissent leur doctrine, ne l'ont jamais confondue comme vous, seigneur, avec la secte infâme des Pelen-kiao.

Le Lao-ye me demanda pour lors, de quelle utilité pouvoit donc être notre religion; je lui répon

dis, qu'ellé préservoit ceux qui l'embrassoient et la pratiquoient, de la damnation éternelle, et qu'elle les conduisoit au bonheur du ciel. Il me demanda aussi, si nous n'adorions pas des idoles ayant ré pondu à cette question avec indignation et de manière qu'il n'eut pas un mot à me répliquer, il me dit: mais, à t'entendre, tá religion, est bien nécessaire; oui, lui dis-je, indispensablement nécessaire. Quel intérêt, ajouta-t-il, as-tu de venir de si loin pour prêcher ta religion dans cet empire? Point d'autre, lui répondis-je, que l'amour que je dois avoir pour Dieu et pour les hommes, à cause de Dien. As-tu ton père et ta mère? Ma mère seule vit encore. Pourquoi n'es-tu pas resté pour l'assister? Comment regarder comme bonne, une religion qui autorise ceux qui l'embrassent à abandonner leurs parens? Ma mère, lui répondis-je, n'a pas besoin de mon secours; elle a été très-contente que jé vinsse ici, pour faire connoître ma religion. Alors prenant mon crucifix, il me demanda l'explication de cette image. Je la lui donnai le mieux qu'il me fut possible, après quoi, il ordonna qu'on me reconduisit en prison.

Le lendemain 31 mai, il alla avec ses satellites dans l'endroit où j'avois été pris, pour faire la recherche de mes effets. Il y trouva toute ma chapelle, à l'exception du calice qu'on avoit eu soin de cacher. Quand il vit les ornemens sacerdotaux, il me crut plus que jamais, de la secte des Pelenkiao (1). La chasuble etoit mon manteau royal; le

(1) C'est une secte de rebelles, ennemis de la dynastie

devant d'autel, l'ornement de mon trône; le fer à hostie, l'instrument pour battre monnoie; mes li livres, des livres de sorcellerie. Le soir, quand il fut de retour, et qu'il eut raconté cela à ses gens, l'un d'eux étant venu à l'ordinaire pour nous renfermer, m'annonça la mort comme prochaine, et tout de suite, on fit ajouter à ma chafue un collier de fer, avec un bâton aussi de fer, long d'un pied et demi, attaché par un bout à mon collier, et de l'autre à mes menottes, pour m'empêcher de faire aucun usage de mes mains, parce que le Lao-ye mẻ croyant sorcier, vouloit m'ôter le pouvoir de faire des maléfices. Le même soir, il me fit appliquer son sceau dans le dedans de ma chemise; ensuite de quoi, il ordonna qu'on me fouillât plus exacte--ment. On m'enleva alors les réliques et la boîte des saintes huiles que j'avois conservées jusqu'à ce moment. Le Lao-ye étoit si entêté à nous faire passer pour des Pelen-kiao, que sans plus ample information il dépêcha un courrier à la ville de Tchong-kin, pour avertir le gouverneur de ce qui se passoit, et demander main-forte contre les Pelen-kiao qui commençoient à se montrer dans son district, ayant un Européen à leur tête.

Le lendemain jeudi, en attendant l'arrivée du gouverneur, il se mit à lire les livres de religion

actuelle, qui fermente sourdement, et éclate dans toutes les occasions qui lui semblent favorables. On les accuse d'horribles sortiléges, et il n'y a point de supplices qu'on n'emploie pour les réprimer.

qu'il avoit trouvés parmi mes effets. Il tomba sur un volume où les commandemens de Dieu étoient expliqués assez en détail, avec quelques saintes histoires, 1 fut fort étonné d'y trouver une aussi belle et si sainte doctrine; il connut alors sa bévue et fut forcé d'avouer que notre religion enseignoit à faire le bien; mais il étoit trop tard. Son accusation devant le mandarin, son supérieur, étoit déjà faite, et voyant que l'affaire alloit tourner contre lui, il chercha le moyen de se justifier à nos dépens. Pour cela, il nous fit venir en sa présence, l'après-midi, pour voir s'il ne se trouveroit pas quelque chose de répréhensible dans nos réponses. Il cita d'abord Oang-thien-kio. Il ne tira de lui que la confession de la doctrine du Décalogue et l'explication de quelques-uns de mes ornemens. Ensuite il fit venir André Yang : ne pouvant le faire convenir que nous avions des livres de sorcellerie, et voulant à toute force nous faire > passer pour sectateurs d'une mauvaise religion, il s'acharna sur cet enfant pour le forcer à avouer des horreurs qui ont fait tomber le feu du ciel sur Sodôme. Pour le punir de sa fermeté à les nier, il le fit frapper à différentes fois de cinquante soufflets. Ce traitement si rude n'ayant point ébranlé sa constance, il lui fit donner en quatre fois, vingt coups de bâton sur la cheville du pied droit. Cet enfant, dont les cris me perçoient le cœur, commença alors à perdre la voix, et bientôt toutes ses forces, en sorte que le Lao-ye fut obligé de s'arrêter, et de le renvoyer. L'ayant fait mettre à l'écart, il m'envoya chercher. Il se

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