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leur accorda, fut de les détacher quelques heures chaque jour. Une si grande rigueur dura un mois et demi; et pendant ce temps, les prisonniers que le père Abormio avoit convertis et baptisés au nombre de cinq, ne cessèrent de bénir Dieu, et de chanter ses louanges. Ils souhaitoient tous, de mourir au milieu des souffrances, dont ils avoient appris à profiter, pour mériter des récompenses éternelles.

Malgré toutes les précautions qu'on avoit prises pour empêcher les approches de la prison, quelques chrétiens sautèrent les murailles des cours, et jetėrent, par une petite fenêtre, du pain au missionnaire. Ils furent pris et sévèrement châtiés par ordre du mandarin, qui ne pouvoit assez s'étonner d'une affection si extraordinaire pour un étranger. Enfin, il fut décidé par les mandarius supérieurs, que lę missionnaire seroit renvoyé à Macao, sous la garde de deux soldats.

Dans le chemin, il n'a manqué aucun jour de prêcher; et comme il parle bien le chinois, plusieurs mandarins ont voulu l'entendre, et l'ont invité à leur table. Il a passé plus d'une fois, la plus grande partie de la nuit, à disputer contre des lettrés gentils, ou à parler au peuple. Quelques-uns lui ont promis d'examiner la religion chrétienne. Le seul mandarin dont il ait été maltraité sur sa route, est celui de Hyang-chan.

Cet ennemi de notre sainte religion, pour signaler sa haine contre elle dans la personne de ce père comme il l'avoit fait peu auparavant dans celle du père Beuth, lui a fait donner trente-deux soufflets,

et l'a fait appliquer deux fois à la torture. Voici une partie de l'entretien qu'ils eurent pendant l'audience. Le mandarin lui dit : Es-tu Chinois ou Européen ? Le père répondit: Je suis Européen. Cela est faux dit le mandarin, tu es Chinois comme moi, j'ai connu ta mère dans le Hou-kouang, et je l'ai déshonorée. Qu'on donne dix soufflets à ce menteur pour avoir méconnu sa patrie. Après les soufflets, le mandarin reprit la parole: Dis-moi quelle est ta religion? Le père répondit : J'adore le Seigneur du ciel. Le mandarin dit: Est-ce qu'il y a un Seigneur du ciel? il n'y en a point. Tu ne sais ce que tu dis, avec ton Seigneur du ciel. Le père répliqua : Dans une maison, n'y a-t-il pas un chef de famille; dans un empire, un empereur; dans un tribunal, un mandarin qui préside? De même le ciel a son Seigneur, qui est en même temps, le maître de toutes choses. Sur ces réponses, le mandarin fit frapper et mettre deux fois à la question ce généreux confesseur de la foi, qui en a été malade plusieurs semaines.

Le père de Neuvialle, Jésuite français, est aussi venu à Macao. Il est vrai que la persécution n'a pas été la principale raison de sa retraite. Ce zélé missionnaire, après avoir contracté des maladies habituelles, et ruiné sa santé à former la chrétienté du Hou-kouang, qui est aujourd'hui une des plus nombreuses et des plus ferventes, se trouve hors d'état de continuer ses travaux apostoliques; et d'ailleurs, il s'est vu obligé de venir prendre soin des affaires de notre mission, en qualité de supérieur général,

dans ces temps fâcheux où elle est tout ensemble affligée, et des ravages de la persécution, et de la perte qu'elle vient de faire, dans la même année, de plusieurs de ses meilleurs sujets; car, dans un si court espace de temps, la mort lui a enlevé le père Hervieu, supérieur général; le père Chalier son successeur, qui ne lui a survécu que peu de mois; le père Beuth, dont nous avons déjà parlé; et le jeune père de Saint-André qui se disposoit, par les études de théologie, à travailler bientôt, au salut des

ames.

Nous ne savons pas si bien ce qui regarde les missionnaires qui ont jusqu'ici, demeuré cachés dans les provinces, à peu près au même nombre que ceux qui en sont sortis; c'est que n'ayant pas la commodité des couriers, ils ne peuvent écrire que par des exprès, qu'ils envoient à grands frais, dans les cas importans.

Le père Lefevre, Jésuite français, nous a envoyé le père Chin, Jésuite chinois, et compagnon de ses travaux, pour nous apprendre sa situation présente. On a remué ciel et terre pour le découvrir. Les mandarins avoient appris qu'il étoit dans une maison, où il faisoit sa plus ordinaire résidence. Trois mandarius, avec plus de soixante de leurs gardes et soldats, vont à cette maison, l'investissent, entrent dedans; le père n'y étoit plus depuis trois jours. Sans avoir encore aucune nouvelle de la persécution, il étoit parti, pour passer de la province de Keang-si à celle de Kiang-nan. On saisit, on pille tout ce qui se trouve; on confisque la maison, qui

ensuite, a été détruite; on arrête un grand nombre de chrétiens, voisins de cete maison; on les mène en prison, chargés de chaînes ; ils sont frappés à coup de bâton par la main des bourreaux; on leur donne la question; on les charge de toute sorte d'opprobres. Alors, un des chrétiens de ce district, courut après le père Lefevre, l'atteignit au bout des trois journées de chemin, et lui apprit l'édit de l'empereur qui ordonnoit de rechercher les prédicateurs de la religion chrétienne, et les cruautés qu'on venoit d'exercer. Changez de route, lui dit-il, mon père, retournez sur vos pas; vous n'avez rien de mieux à faire que de venir prendre une retraite dans ma maison: on y viendra faire des visites mais où est-ce qu'on n'en fera pas? Je ne crains que pour vous, et je m'expose volontiers à tous les dangers. J'espère même, qu'ayant un emploi dans le tribunal, je pourrai modérer ces visites, jusqu'au point de vous conserver pour le bien de la chrétienté.

Ce généreux chrétien n'a pas trouvé peu d'obstacles dans ses parens, qui refusoient de recevoir le missionnaire ; mais il a vaincu leurs résistances, et a placé le père Lefevre dans un petit réduit, où peu de personnes de la maison le savent. Pour lui donner un peu de jour, il a fallu faire une ouverture au toit, en tirant quelques tuiles qui se remettent dans les temps de pluie. On ne le visite et on ne lui porte à manger que vers les neuf heures du soir. Il écrit lui-même, qu'il a entendu plus d'une fois, des chrétiens, conseiller à cette famille de ne point le recevoir, supposé qu'il vînt demander un asile. On

est venu visiter la maison par ordre du mandarin du lieu; mais comme le chrétien qui le tient caché, a une espèce d'autorité sur les gens du tribunal, et qu'il tient un des premiers rangs parmi eux, la visite s'est faite légèrement.

Cependant le père Lefevre a déjà passé sept ou huit mois dans cette espèce de prison qui n'en est pas moins étroite pour être volontaire, sans savoir quand il en pourra sortir. Il écrit que cela ne l'inquiète nullement, et que c'est l'affaire de la Providence.

Nous avons reçu par la province de Hou-kouang, des nouvelles de la montagne de Mou-pouanchan. Cette montagne est fameuse par une chrétienté des plus florissantes que nous y avons formée depuis plusieurs années, et où les fidèles, dans l'éloignement du commerce des gentils, étoient une véritable image de la primitive Eglise. Le père de Neuvialle a eu soin de ces montagnes pendant six ans, et y a baptisé plus de six mille personnes. Hélas! ces montagnes, précieuses à notre zèle, nous venons de les perdre. L'enfer a exercé toutes ses cruautés pour dissiper les chrétiens; tortures, bastonnades, prisons, tous les mauvais traitemens ont été employés à cet effet. Le père de la Roche, Jésuite français, qui cultivoit cette chrétienté, s'est retiré précipitamment, dans un petit hameau, au milieu des bois, et s'est vu obligé ensuite, d'aller plus loin, chercher une retraite. Il est vrai que les chrétiens de la montagne l'ont depuis fait avertir, qu'on ne les inquiétoit plus; qu'il ne paroissoit aucun soldat dans

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