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la salle où étoit le cercueil. On y chantoit un Libera, ensuite on retournoit, dans le même ordre, à l'église. Le silence de la nuit et ses ténèbres, l'image de la mort et la lueur des flambeaux contribuoient à rendre cette cérémonie majestueuse. Elle a bien frappé les païens, qui ne jugent de la religion que par l'extérieur. Le lendemain matin, même concours, même ordre. La messe chantée, on se rendoit, comme la veille, au palais épiscopal. Avant le Libera, on récitoit une courte oraison funèbre. La cérémonie finie, le prince invitoit les mandarins que le roi y envoyoit tous ce jour-là, à un grand repas.

L'enterrement se fit le 16 décembre. La religion et le trône se réunirent pour rendre à l'évêque tous les honneurs dus au rang qu'il tenoit dans l'église et dans le royaume. Le roi avoit chargé le prince son fils, de diriger le convoi. On se mit en marche vers deux heures après minuit. Le cercueil, enveloppé d'un damas superbe, et enchâssé dans un cadre à deux degrés, avec chacun vingt-cinq cierges allumés, étoit placé sur un beau brancard d'environ vingt pieds de long, porté par quatre-vingts hommes choisis: un baldaquin brodé en or couvroit le tout. Une grande croix formée avec des fanaux artistement disposés, étoit à la tête du convoi. Elle étoit suivie de six niches bien sculptées, posées sur des tables, et portées chacune par quatre hommes. Dans la première étoient écrites en or quatre lettres qui signifioient au souverain Seigneur du ciel. La seconde renfermoit l'image de saint Paul, la troisième celle de S. Pierre, la quatrième

L'Ange gardien, la cinquième la Ste. Vierge. Ensuite venoit un étendard de damas, d'environ quinze pieds de long, où étoient brodés en caractères d'or les titres qu'avoient donnés à Mgr, le roi de France, et celui de la Cochinchine, avec ceux qui lui appar tiennent en qualité d'évêque. La crosse et la mitre étoient dans la sixième niche. On la portoit aussi sur un brancard avec son baldaquin. Immédiatement devant le cercueil, une nombreuse jeunesse chrétienne, en couronne et des cierges à la main, avec les catéchistes les plus respectables de chaque église, accompagnoient les brancards et les niches. Toute la garde du roi, composée de plus de douze mille hommes, sans compter celle du prince son fils, étoit sous les armes, et rangée sur deux lignes, les canons de campagne à la tête. Cent vingt éléphans avec leurs escortes et leurs cornettes marchoient des deux côtés. Tambours, trompettes, musique cochinchinoise et camboyenne, fusées, feux d'artifice, etc., tout contribuoit à la pompe. Plus de deux cents fanaux de différentes formes, outre un nombre prodigieux de flambeaux et de cierges, éclairoient cette marche. Au moins quarante mille hommes, tant chrétiens que païens, suivoient le convoi. Le roi s'y trouvoit avec tous les mandarins des différens corps; sa mère, sa sœur, la reine , ses concubines, ses enfans, toutes les dames de la cour crurent que, pour un homme si fort au-dessus du commun, il falloit passer par-dessus les loix communes; elles y vinrent toutes, et allèrent jusqu'au tombeau. On ne peut compter le nombre des spectateurs que cette pompe

attira; les chemins étoient couverts, on voyoit des spectateurs jusque sur les toits. Le prélat avoit choisi pour sa sépulture un jardin champêtre, à .cinq quarts de lieue de la ville. Rendu à ce jardin, on dépose le cercueil sur le bord du tombeau. Le roi fait écarter tout le monde, pour nous donner la facilité d'en faire la bénédiction et de réciter les prières accoutumées. Quand M. Liot vint à jeter un peu de terre dans la fosse, pour donner le signal de la remplir, le roi s'approcha et en jeta aussi. Comme les chrétiens s'avançoient en foule, poussant les hauts cris, les mandarins voulurent leur imposer silence et les éloigner, pour ne pas incommoder ce prince : « Laissez-les faire, leur dit-il, et ne lés en >> empêchez, pas ». Le roi fit, après que les missionnaires se furent retirés, un sacrifice à la manière du pays. On lut d'abord une oraison funèbre; ensuite le roi s'avança d'un pas grave et majestueux, la douleur peinte sur le visage, et lui fit ses derniers adieux. Ses larmes couloient avee tant d'abondance, qu'un grand mandarin en fut pénétré jusqu'au vif, et dit tout haut : «Quand nous >> ne pleurerions pas en voyant le maître, il nous >> faudroit pleurer en voyant le roi ». Actuellement ce prince fait élever un tombeau superbe, monument digne de monseigneur et de lui; il est placé sur une plate-forme de neuf toises carrées sur une demie de haut, qui sera couverte d'un bel édifice; une muraille de briques à hauteur d'appui, avec différentes décorations, en fera le contour. Douze. à quinze hommes, sous l'autorité de

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Barthelenii, que vous avez vu à Paris à la suite du prince, seront chargés de la garde, de ce tombeau.

De Cochinchine et du Tong-king.

La religion fait toujours quelques progrès dans ces deux royaumes, réunis aujourd'hui en un seul. Le roi de Cochinchine, après avoir recouvré tout son royaume et conquis celui du Tong-king, avoit donné un édit en faveur de la religion chrétienne; mais il у avoit laissé quelques expressions équivoques, qui exposoient encore ses sujets chrétiens aux vexations des infidèles. Les évêques, vicaires apostoliques des deux royaumes, lui firent des remontrances pour le supplier d'en donner un nouveau, dont l'énoncé fut plus clair. Il le leur promit, et il leur fit voir un modèle, qu'il leur permit d'examiner pour ce qui concernoit leur religion : ils y trouvèrent encore quelques expressions peu favorables au christianisme. Ils prièrent de nouveau le roi de vouloir bien les changer; mais l'affaire traîna en longueur. En attendant, le roi reçut les ambassadeurs de l'empereur de la Chine, qui lui apportoient les patentes par lesquelles leur maître le reconnoissoit pour roi de la Cochinchine et du Tongking. Les évêques allèrent à cette occasion lui offrir les présens d'usage; il les reçut avec assez de bonté il avoit pourtant l'air un peu embarrassé. La vue des évêques lui rappeloit le souvenir des services essentiels qu'il avoit reçus de l'évêque d'Adran et des chrétiens, auxquels il doit en grande

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partie, et la vie, et le trône. Son nouvel édit en faveur de la religion n'a pas encore paru.

Constitution de N. S. P. le Pape, au sujet des cérémonies chinoises (1).

DEPUIS qué par la providence de Dieu, sans aucun mérite de notre part, nous avons pris le gouvernement de l'Eglise catholique, c'est-à-dire, une charge qui par sa vaste étendue est d'un poids immense, nous n'avons rien eu plus à coeur dans l'application que nous avons donnée à nos devoirs, que de décider avec une sagesse convenable, et par l'exacté sévérité d'un jugement apostolique, les vives contestations qui se sont élevées il y a long-temps dans l'empire de la Chine entre les prédicateurs de l'Evangile, et qui n'ont fait que croître et que s'échauf fer tous les jours de plus en plus, tant à l'égard de quelques termes chinois dont on se servoit pour exprimer le saint et ineffable nom de Dieu, que par rapport à certains cultes ou certaines cérémonies de la nation, que quelques missionnaires rejetoient comme superstitieuses, pendant que d'autres les permettoient comme les croyant purement civiles; afin que toutes les dissentions qui troubloient et qui interrompoient la propagation de la religion chrétienne et de la foi catholique étant ôtées, tous

(1) Voyez le Tableau historique, page XLV, tom. II..

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