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répandre des cendres sur le lieu où l'apôtre devoit être décollé, afin de pouvoir recueillir son sang. Cet idolâtre étoit un homme intéressé, qui ne demandoit pas mieux que de gagner quelque argent, et qui s'acquitta parfaitement de sa commision. Mais au moment où il ramassoit la cendre teinte du sang du martyr, il s'opéra dans son cœur un miracle de grâce qui le convertit subitement à la foi. Aussitôt cet infidèle courut à sa maison, pénétré de vénération pour le sacré dépôt qu'il portoit, répandit de cette cendre ensanglantée sur la tête de sa femme et sur celle de ses enfans, et les exhorta, par le discours le plus pathétique, à croire en Jésus-Christ. Ses exhortations ne furent pas sans succès, car à peine fut-il baptisé, qu'il procura la même grâce à toute sa famille. Quelque temps après, ayant appris qu'un missionnaire de la nation avoit été saisi et jeté dans un cachot, à quelques lieues de là, il se rendit incontinent à la porte de la prison, et dit aux gardes qui vouloient l'écarter: Pourquoi voulez-vous m'empécher de voir le père? Je vous déclare que je suis chrétien; et reconnoissant des services sans nombre, que j'ai reçus des missionnaires, je voudrois pouvoir le leur témoigner, en soulageant ceux qui se trouvent dans la misère, et c'est ce que j'ai intention de faire aujourd'hui. Ce trait de franchise et de simplicité toucha tellement les soldats, qu'ils l'introduisirent dans la prison du confesseur, à qui il donna du linge et des habits, dont il savoit qu'il manquoit.

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C'est ici le lieu de vous dire un mot de ce missionnaire ; c'étoit un prêtre chinois, que ses vertus

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et son zèle avoient reudu respectable à toute la chrétienté. Un jour, il étoit allé dans une petite île pour y confesser les chrétiens. Le mandarin ou gouverneur de l'endroit n'en fut pas plutôt averti, qu'il fit investir la maison où il demeuroit, par des soldats, qui menacèrent d'y mettre le feu si on ne leur livroit le missionnaire entre les mains. Les chrétiens du domicile, qui n'avoient rien entendu de distinct ouvrirent la porte pour savoir ce dont il s'agissoit. Aussitôt ils virent fondre sur eux une troupe de soldats en fureur, qui se saisirent de toutes les personnnes de la maison, et pillèrent la chapelle du missionnaire. Comme ce dernier étoit de la nation, ils ne purent le reconnoître d'abord, Les chrétiens interrogés sur ce qu'il étoit devenu, ne, voulurent rien répondre; mais le confesseur, craignant qu'on ne les maltraitât pour les forcer à faire leur déclaration, se déclara lui-même. En conséquence, il fut lié et garrotté comme un scélérat, et emprisonné jusqu'au lendemain. Le jour étant venu, il comparut devant le mandarin, qui lui demanda s'il n'étoit pas chef de la religion chrétienne? combien de personnes il avoit séduites? quel étoit le nombre des chrétiens de l'île, et comment ils s'appelloient? à quoi servoient tous ces ornemens et ces livres européens qu'il avoit avec lui? et enfin, si une bouteille d'huile, qu'on avoit trouvée parmi ses effets, n'étoit point ce dont il se servoit pour la magie? (c'est ainsi qu'il appeloit les fonctions du saint ministère). Le missionnaire répondit à ces différentes questions, avec autant de fermeté que de sagesse et de précision. Je ne

suis point, dit-il, chef de la religion chrétienne, je n'ai ni asssez de vertu ni assez de mérite pour occuper ce haut rang; mais je fais profession de cette sainte religion, et je l'enseigne. Je n'ai jamais séduit personne. Je sais les noms de plusieurs chrétiens de cette ile; j'en sais aussi le nombre; mais je ne vous dirai ni l'un ni l'autre, parce que ce seroit trahir mes frères. Quant à ces ornemens et à ces livres que vous voyez, ils servent dans les sacrifices que j'offre au seul vrai Dieu, qui est le créateur du ciel et de la terre, et que tout l'Univers doit adorer. Pour cette huile, ajouta-t-il, en lui montrant la bouteille où elle étoit renfermée, elle ne sert point à la magie, parce que la magie est une chose dont les chrétiens ont horreur. Le mandarin confondu par les réponses du confesseur, parut quelque temps interdit: ensuite comme s'il eût voulu déguiser sa surprise, il ouvrit un livre qui étoit écrit en sa langue, et qui traitoit des commandemens de Dieu. Il tomba sur celui qui défend l'adultère. Pourquoi, dit-il, les chrétiens abhorrent-ils l'adultère ? Il n'attendit pas la réponse du missionnaire; il fit mettre par écrit l'interrogatoire avec les réponses du prétendu coupable, après quoi, il le fit reconduire en prison. Le lendemain, il l'envoya, escorté de soldats, au mandarin supérieur, qui lui fit donner cent quarante soufflets et quatrevingts coups de bâton. Ces deux supplices ayant été employés en vain, on ent recours à un troisième; on mit le confesseur à la question. On prit deux bois assez gros, attachés ensemble par un bout, et après lui avoir mis entre deux la cheville du pied,

on les serra par l'autre bout avec tant de violence, que le patient s'évanouit; mais bientôt on le fit revenir par le moyen d'une liqueur qu'on lui fit boire à plusieurs reprises : cette question dura plus de trois heures. Enfin, le mandarin, piqué de la constance du généreux confesseur, le renvoya en prison, résolu de le pousser à bout. Le jour suivant, il le fit revenir, et on le mit encore à la question: ce supplice dura depuis le matin jusqu'au coucher du soleil. Mais tout fut inutile, le missionnaire soutint la torture avec un courage qui déconcerta le tyran. Enfin, voyant qu'on ne pouvoit venir à bout de vaincre sa patience par les tourmens, 'on lui proposa le choix de trois choses : la première, étoit de déclarer les noms, le nombre et la demeure des chrétiens de l'île la seconde, d'embrasser l'état de bonze : : la troisième, d'être mis à mort. Vous n'aurez jamais, dit le missionnaire, la déclaration que vous exigez de moi pour étre bonze, la probité, l'honneur méme me le défend. Je ne crains point la mort; ainsi dévouez-moi aux supplices, je serai trop heureux de répandre mon sang pour la cause du Dieu que je préche. Le mandarin, furieux de la fermeté du confesseur, prononça l'arrêt de mort, et le prisonnier fat reconduit au cachot. Quatre jours après, on le mena à Pékin pour faire confirmer et exécuter la sentence. Mais l'empereur qui se pique de clémence et de générosité, crut devoir commuer la peine, et le condamna à l'exil. Heureusement pour lui, il fut exilé dans un coin de province où il y avoit une nombreuse chrétienté; il y est encore actuellement, et

nous espérons que le Seigneur qui lui a conservé les jours dans les tortures, les lui prolongera, pour le bien et l'édification de son nouveau troupeau.

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Lettre du père Lamatthe, missionnaire, au pèra Brassaud.

Ce 20 août 1759.

LES Congrégations du saint Sacrement et des saints Anges, font dans les chrétientés un bien qu'on ne sauroit exprimer. On y instruit les enfans avec soin, et ils viennent tous les mois régulièrement se faire examiner. A l'examen général qui se fait à la fin de l'année, ils étoient, l'an passé, environ trois cent cinquante des deux sexes, et nous n'y laissons venir que ceux qui sont à une lieue de distance, ou à peu près; les autres sont examinés ailleurs. Les persécutions presque continuelles, et la timidité de quelques chrétiens, avoient un peu fait négliger ces examens quelques années; mon collègue s'est donné bien des mouvemens pour les faire rétablir, et il en est venu à bout; et depuis mon arrivée, je n'ai eu autre chose à faire qu'à tenir les choses sur le pied où je les ai trouvées. La, congrégation de la boune mort, fait au moins autant de bien auprès des moribonds. Que je voudrois, si c'est la volonté de Dieu, que vous puissiez en être témoin vous-même! Quelle consolation, de les voir aller, assister le malade, veiller plusieurs nuits de suite, pour l'aideri

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