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Le lendemain, il vint nous voir; il avoit un air content. Nous nous jetâmes à son col pour l'embrasser ; il s'attendrit, et pleura. Ah! que je crains, nous ditil, de n'avoir pas la force de soutenir les tourmens! Nous le rassurâmes de notre mieux, et nous lui promimes tous le secours de nos prières. Le 9, il communia à notre église, et après avoir demandé instamment notre bénédiction, il se rendit pour la seconde fois au lieu du combat. Le vieux Laurent reçut d'abord cinquante-quatre coups en deux temps. On n'en donna que trois à Jean, puis on s'arrêta. Jean, qui auparavant craignoit de n'avoir pas le courage de souffrir, craignit, dans ce moment, de ne souffrir pas assez. Il reçut encore vingt-sept

coups.

Le 11 janvier, il fut rappelé pour la troisième fois. Ce fut le jour de ses grandes souffrances et de son triomphe. Voici comment il raconte la chose, dans une lettre qu'il nous écrivit le lendemain.

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« Hier, dès que je fus arrivé, le mandarin me >> demanda si je renonçois, ou non. Je répondis à » l'ordinaire je ne renonce point. Aussitôt on » m'ôta mes habits et on me donna vingt-sept >> coups de fouet; après quoi, on me demanda une >> seconde fois renoncez-vous, ou non? Je répon» dis une seconde fois : je ne renonce pas; on me >> donna encore vingt-sept coups. On me fit quatre >> fois la même demande; je fis quatre fois la même » réponse, qui fut toujours suivie de vingt-sept » coups. A toutes les reprises, on changeoit de >> bourreaux ».

Jean, dans sa lettre, ne parle pas de son père. Nous sumes qu'il avoit été battu plusieurs fois, sans avoir donné la moindre marque de foiblesse. Mais il ne tint pas aux traitemens cruels que l'on faisoit à son fils; chaque coup qui le frappoit, perçoit son cœur. Vaincu enfin par une fausse tendresse, il succomba malheureusement, ne prenant pas garde que sa chute alloit être le plus cruel supplice de son fils.

Jean continue ainsi. « Voyant que les coups de >> fouets n'ébranloient pas la constance que le Sei»gueur m'inspiroit, mon mandarin me mit à ge>> noux une demi-heure, sur des fragmens de porce>> laine cassée, et il me dit : Si tu remues, ou si tu » laisses échapper quelque plainte, tu seras censé » avoir apostasié. Je le laissois dire, et je m'unis>> sois à Dieu; les mains jointes, j'invoquois tout >> bas, les saints noms de Jésus et de Marie. On >> vouloit encore m'ôter cette consolation. On sé» paroit mes mains, et on parloit de me cadenacer » la bouche; mais on eut beau faire, ce supplice » n'eut pas l'effet qu'on s'en étoit promis; on en re» vint aux coups. On me frappa encore à quatre >> reprises différentes; alors mes forces s'épuisèrent, >> une sueur froide me prit, et je tombai en foi» blesse. Ceux qui étoient autour de moi profitė>> rent de ce moment; ils saisirent' ma main, et » formèrent mon nom sur un billet apostatique. Je >> m'aperçus bien de la violence qu'on me faisoit ; » mais alors j'étois même hors d'état de pouvoir » m'en plaindre. Dès que j'eus assez de force pour

>> pouvoir parler, je protestai que je n'avois aucune part à cette signature; que je la détestois; que » j'étois chrétien, et que je le serois jusqu'à la mort. >> On me remit une seconde fois sur les fragmens » de porcelaine cassée, mais je n'y restai pas long» temps. Mon officier s'aperçut que je m'affoiblis» sois sérieusement; il donna ordre de me traîner » hors de la cour. Je crus devoir renouveller en ce » moment ma profession de foi. Je dis hautement » que j'étois chrétien, et que je le serois toujours. » Mon père et mon oncle m'emportèrent dans une >> maison voisine , pour y passer le reste de la

>> nuit »>.

Nous avons su d'ailleurs, que Jean étoit dans un état si pitoyable, que les païens eux-mêmes ne purent s'empêcher, en le voyant, de verser des larmes, et le fils de son mandarin alla lui-même lui chercher un remède qui lui fit du bien. On ne pouvoit plus revenir à la charge sans le tuer. Le froid lui avoit causé une si violente contraction de nerfs, que ses genoux touchoient sa poitrine; ses reins étoient courbés et ses chairs monstrueusement enflées. Il ne vouloit pas que ses parens et ses amis le plaignisil étoit tranquille, gai, content. Les chirurgiens comptoient, que s'il en réchappoit, il en avoit au moins pour trois mois ; mais, grâces à Dieu, en moins d'un mois il guérit assez bien pour venir à notre église, à l'aide de deux personnes qui le soutenoient: il fit ses dévotions. Après son action de grâces, il vint nous voir. Je lui demandai, si dans les tourmens, la pensée ne lui étoit pas venue qu'il

sent;

pourroit bien y rester : il me répondit, qu'il croyoit bien être à sa dernière heure quand il sentit la sueur froide se répandre sur tout son corps; cependant ajouta-t-il avec beaucoup de simplicité, si j'étois mort je n'aurois plus eu le bonheur de communier; et en disant ces paroles, les larmes lui vinrent aux yeux.

On n'entendit plus parler que de chrétiens battus et maltraités de toutes les façons pour la religion. Un jeune soldat, nommé Quang Michel, d'un autre bannière que Jean, eut à souffrir les mêmes combats que lui. Tchon Joseph fut attaché à une colonne, la tête en bas, et la moitié du corps sur la glace. Ly Mathias fut battu sans interruption, jusqu'à ce qu'il perdît connoissance, etc. Ce détail me meneroit trop loin.

Je ne vous dirai pas ce que nous souffrions en voyant le troupeau de Jésus-Christ ainsi livré à la fureur de l'idolâtrie: votre cœur vous le dira assez. Nous essayâmes tous les moyens humains pour faire cesser cette malheureuse persécution; ils furent sans effet : le ciel même parut insensible à nos cris. Nous nous étions arrangés de façon, que pendant tout le jour, il y avoit un missionnaire devant le saint Sacrement. On fit d'autres bonnes œuvres et la persécution ne cessa point. Ce qu'il y eut de plus affligeant pour nous, c'est qu'elle fit des apostats. Il est vrai que très-peu renoncèrent formellement à la religion, mais il y en eut plusieurs qui furent surpris par les idolâtres, et qui donnèrent dans les piéges qu'ils leur tendoient.

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Il arriva une chose qui nous fit frémir. Deux jeunes gens, extrêmement aimables et bons chrétiens, furent cités devant leur mandarin. Ils répondirent modestement, qu'ils respectoient l'ordre de l'empereur; qu'ils mourroient contens s'il l'ordonnoit ; mais que pour renoncer à la foi, ils ne le pouvoient. Le mandarin qui les aimoit, et qui d'ailleurs n'étoit pas d'un caractère violent, les renvoya sans les maltraiter. Ils s'en retournoient, le cœur plein de cette douce joie qu'on goûte ordinairement quand on a conservé sa foi au milieu des plus grands dangers ils rentrent à la maison, ils la trouvent pleine de monde. Leur mère vient à eux, le couteau à la main, et leur dit : Je vois bien, mes enfans, ce que vous avez dans la tête, vous voulez êtres martyrs et aller tout de suite au ciel; et moi, je veux aller en enfer elle approche le couteau de sa gorge, et menace de se la couper à l'instant, s'ils ne signent tous deux un écrit que les idolâtres venoient de dresser: les enfans dans le trouble signèrent. Désolés ensuite, ils pleurèrent leur faute et furent inconsolables, jusqu'à ce que par une pénitence publique, ils méritérent de rentrer dans le sein de l'Eglise.

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