Images de page
PDF
ePub

L'une a tendu la main pour gage de sa flamme; L'autre, avec des regards éloquens, pleins d'amour, L'a de ses feux, madame, assurée à son tour.

Hélas!

ATALIDE.

ACOMAT.

Ils m'ont alors aperçu l'un et l'autre. Voilà, m'a-t-elle dit, votre prince et le nôtre : Je vais, brave Acomat, le remettre en vos mains. Allez lui préparer les honneurs souverains: Qu'un peuple obéissant l'attende dans le temple; Le sérail va bientôt vous en donner l'exemple. Aux pieds de Bajazet alors je suis tombé: Et soudain à leurs yeux je me suis dérobé: Trop heureux d'avoir pu, par un récit fidèle, De leur paix, en passant, vous conter la nouvelle, Et m'acquitter vers vous de mes respects profonds! Je vais le couronner, madame, et j'en réponds.

SCÈNE III.

ATALIDE, ZAIRE.

ATALIDE.

Allons, retirons-nous, ne troublons point leur joie.

Ah, madame! croyez...

ZAÏRE.

ATALIDE.

Que veux-tu que je croie?

Quoi donc! à ce spectacle irai-je m'exposer?
Tu vois que c'en est fait: ils se vont épouser;
La sultane est contente; il l'assure qu'il l'aime.

Mais je ne m'en plains pas, je l'ai voulu moi-même.
Cependant croyais-tu, quand, jaloux de sa foi,
Il s'allait, plein d'amour, sacrifier pour moi;
Lorsque son cœur, tantôt m'exprimant sa tendresse,
Refusait à Roxane une simple promesse ;

Quand mes larmes en vain tâchaient de l'émouvoir;
Quand je m'applaudissais de leur peu de pouvoir;
Croyais-tu que son cœur, contre toute apparence,
Pour la persuader trouvât tant d'éloquence?
Ah! peut-être, après tout, que, sans trop se forcer,
Tout ce qu'il a pu dire, il a pu le penser:

Peut-être en la voyant, plus sensible pour elle,
Il a vu dans ses yeux quelque grace nouvelle:
Elle aura devant lui fait parler ses douleurs;
Elle l'aime; un empire autorise ses pleurs.
Tant d'amour touche enfin une âme généreuse.
Hélas! que de raisons contre une malheureuse!
ZAÏRE.

Mais ce succès, madame, est encore incertain.
Attendez.

ATALIDE.

Non, vois-tu, je le nierais en vain.
Je ne prends point p'aisir à croître ma misère;
Je sais pour se sauver tout ce qu'il a dû faire.
Quand mes pleurs vers Roxane ont rappelé ses pas,
Je n'ai point prétendu qu'il ne m'obéît pas:
Mais après les adieux que je venais d'entendre,
Après tous les transports d'une douleur si tendre,
Je sais qu'il n'a point dû lui faire remarquer
La joie et les transports qu'on vient de m'expliquer.
Toi-même, juge-nous, et vois si je m'abuse.
Pourquoi de ce conseil moi seule suis-je excluse?
Au sort de Bajazet ai-je si peu de part?

A me chercher lui-même attendrait-il si tard,
N'était que de son cœur le trop juste reproche
Lui fait peut-être, hélas! éviter cette approche?
Mais non, je lui veux bien épargner ce souci:
Il ne me verra plus.

ZAÏRE.

Madame, le voici.

SCÈNE IV.

BAJAZET, ATALIDE, ZAIRE.

BAJAZ ET.

C'en est fait, j'ai parlé, vous êtes obéie.
Vous n'avez plus, madame, à craindre pour ma vie:
Et je serais heureux, si la foi, si l'honneur,
Ne me reprochaient point mon injuste bonheur;
Si mon cœur, dont le trouble en secret me condamine,
Pouvait me pardonner aussi bien que Roxane.
Mais enfin je me vois les armes à la main :

Je suis libre; et je puis contre un frère inhumain,
Non plus par un silence aidé de votre adresse,
Disputer en ces lieux le cœur de sa maîtresse,
Mais par de vrais combats, par de nobles dangers,
Moi-même le cherchant aux climats étrangers,
Lui disputer les cœurs du peuple et de l'armée,
Et pour juge entre nous prendre la renommée.
Que vois-je? Qu'avez-vous ? Vous pleurez!

ATALIDE.

Non, seigneur;

Je ne murmure point contre votre bonheur:
Le ciel, le juste ciel vous devait ce miracle.
Vous savez si jamais j'y formai quelque obstacle:
Tant que j'ai respiré, vos yeux me sont témoins
Que votre seul péril occupait tous mes soins;
Et puisqu'il ne pouvait finir qu'avec ma vie,
C'est sans regret aussi que je la sacrifie.

Il est vrai, si le ciel eût écouté mes vœux,
Qu'il pouvait m'accorder un trépas plus heureux:
Vous n'en auriez pas moins épousé ma rivale,
Vous pouviez l'assurer de la foi conjugale;
Mais vous n'auriez pas joint à ce titre d'époux
Tous ces gages d'amour qu'elle a reçus de vous.
Roxane s'estimait assez récompensće:
Et j'aurais en mourant cette douce pensée,
Que, vous ayant moi-même imposé cette loi,
Je vous ai vers Roxane envoyé plein de moi;
Qu'emportant chez les morts toute votre tendresse,
Ce n'est point un amant en vous que je lui laisse.

BAJAZET.

Que parlez-vous, madame, et d'époux et d'amant?
Oh, ciel! de ce discours quel est le fondement?
Qui peut vous avoir fait ce récit infidèle?
Moi, j'aimerais Roxane, ou je vivrais pour elle,
Madame! Ah! croyez-vous que, loin de le penser,
Ma bouche seulement eût pu le prononcer?

« PrécédentContinuer »