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Me SIMON, montrant Cléante.

Monsieur est la personne qui veut vous emprunter les quinze mille livres dont je vous ai parlé.

HARPAGON.

Comment, pendard! c'est toi qui t'abandonnes à res coupables extrémités !

CLÉANTE.

Comment, mon pere! c'est vous qui vous portez à ces honteuses actions!

(Maître Simon s'enfuit, et la Fleche
va se cacher.)

SCENE III.

HARPAGON, CLEANTE.

HARPAGON.

C'est toi qui te veux ruiner par des emprunts si condamnables!

CLEANTE.

C'est vous qui cherchez à vous enrichir par des usures si criminelles !

HARPAGON.

Oses-tu bien, après cela, paroître devant moi?

CLÉANTE.

Osez-vous bien, après cela, vous présenter aux yeux du monde?

HARPAGON.

N'as-tu point de honte, dis-moi, d'en venir à ces débauches-là, de te précipiter dans des dépenses effroyables, et de faire une honteuse dissipation du bien que tes parents t'ont amassé avec tant de sueurs ?

CLÉANTE.

Ne rougissez-vous point de déshonorer votre condition par les commerces que vous faites, de sacrifier aloire et réputation au desir insatiable d'entasser écu

sur écu, et de renchérir, en fait d'intérêt, sur les plus infâmes subtilités qu'aient jamais inventées les plus célebres usuriers ?

HARPAGON.

Ote-toi de mes yeux, coquin, ôte-toi de mes yeux. CLÉANTE.

Qui est plus criminel, à votre avis, ou celui qui achete un argent dont il a besoin, ou bien celui qui vole un argent dont il n'a que faire ?

HARPAGON.

Retire-toi, te dis-je, et ne m'échauffe pas les oreilles. (seul.) Je ne suis pas faché de cette aventure; et ce m'est un avis de tenir l'oeil plus que jamais sur toutes ses actions.

SCENE IV.

FROSINE, HARPAGON.

FROSINE.

Monsieur.

HARPAGON.

Attendez un moment, je vais revenir vous parler. (à part.) Il est à propos que je fasse un petit tour a mon argent.

SCENE V.

LAFLECHE, FROSINE.

LA FLECHE, sans voir Frosine. L'aventure est tout-à-fait drôle. Il faut bien qu'il ait quelque part un ample magasin de hardes; car nous n'avons rien reconnu au mémoire que nous avons.

FROSINE..

Hé! c'est toi, mon pauvre la Fleche! D'où vient cette rencontre ?

LA FLECHE.

Ah! ah! c'est toi, Frosine! Que viens-tu faire ici?

FROSIN E.

Ce que je fais par-tout ailleurs; m'entremettre d'affaires; me rendre serviable aux gens, et profiter, du mieux qu'il m'est possible, des petits talents que je puis avoir. Tu sais que, dans ce monde, il faut vivre d'adresse, et qu'aux personnes comme moi le ciel n'a donné d'autres rentes que l'intrigue et que l'industrie.

LA FLECHE.

As-tu quelque négoce avec le patron du logis?

FROSINE.

Oui; je traite pour lui quelque petite affaire dont j'espere une récompense.

LA FLECHE.

De lui? Ah! ma foi, tu seras bien fine, si tu en tires quelque chose; et je te donne avis que l'argent céans est fort cher.

FROSINE.

Il y a de certains services qui touchent merveilleu

sement.

LA FLECHE.

Je suis votre valet, et tu ne connois pas encore le seigneur Harpagon. Le seigneur Harpagon est de tous les humains l'humain le moins humain, le mortel de tous les mortels le plus dur et le plus serré. Il n'est point de service qui pousse sa reconnoissance jusqu'à lui faire ouvrir les mains. De la louange, de l'estime, de la bienveillance en paroles, et de l'amitié, tant qu'il vous plaira; mais de l'argent, point d'affaires. Il n'est rien de plus sec et de plus aride que ses bonnes graces et ses caresses; et donner est un mot pour qui il a tant d'aversion, qu'il ne dit jamais, Je vous donne, mais, Je vous prête le bon jour.

FROSINE.

Mon dieu! je sais l'art de traire les hommes ; j'ai le secret de m'ouvrir leur tendresse, de chatouiller leurs cœurs, de trouver les endroits par où ils sont sensibles.

LA FLECHE.

Bagatelles ici. Je te défie d'attendrir, du côté de l'argent, l'homme dont il est question. Il est turc làdessus, mais d'une turquerie à désespérer tout le monde; et l'on pourroit crever, qu'il n'en branleroit pas. En un mot, il aime l'argent plus que réputation, qu'honneur et que vertu ; et la vue d'un demandeur lui donne des convulsions: c'est le frapper par son endroit mortel, c'est lui percer le cœur, c'est lui arracher les entrailles ; et si.... Mais il revient, je me retire.

SCENE VI.

HARPAGON, FROSINE.

HARPAGON, bas.

Tout va comme il faut. ( haut.) Hé bien ? qu'est-ce, Frosine?

FROSINE.

Ah! mon dieu ! que vous vous portez bien! et que vous avez là un vrai visage de santé !

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Qui? moi?

HARPAGON.

FROSINE.

Jamais je ne vous vis un teint si frais et si gaillard.

HARPAGON.

Tout de bon?

FROSINE.

Comment! vous n'avez de votre vie été si jeune

que vous êtes, et je vois des gens de vingt-cinq ans qui sont plus vieux que vous.

HARPAGON.

Cependant, Frosine, j'en ai soixante bien comptés.

FROSINE.

Hé bien qu'est-ce que cela? soixante ans! voilà bien de quoi ! C'est la fleur de l'âge, cela; et vous entrez maintenant dans la belle saison de l'homme.

HARPAGON.

Il est vrai; mais vingt années de moins pourtant ne me feroient point de mal, que je crois.

FROSINE.

Vous moquez-vous? Vous n'avez pas besoin de cela, et vous êtes d'une pâte à vivre jusqu'à cent ans.

Tu le crois?

HARPAGON.

FROSINE.

Assurément; vous en avez toutes les marques. Tenez-vous un peu. Oh! que voilà bien, entre vos deux yeux, un signe de longue vie!

HARPAGON

Tu te connois à cela ?

FROSINE.

Sans doute. Montrez-moi votre main. Ah! mon dieu! quelle ligne de vie!

Comment ?

HARPAGON.

FROSINE.

Ne voyez-vous pas jusqu'où va cette ligne-là ?

HARPAGON.

Hé bien? qu'est-ce que cela veut dire?

FROSIN E.

Par ma foi, je disois cent ans; mais vous passerez les six vingt.

Est-il possible?

HARPAGON,

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