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quand le régime parlementaire fut établi et que le roi ne put légiférer, en fait et en droit, sans le concours des deux chambres. Un projet de loi conçu dans ce sens fut présenté, le 4 octobre 1814, à la Chambre des pairs qui l'adopta le 118; mais les événements du 20 mars 1815 empêchèrent d'y donner suite, et il ne fut pas repris après les Cent jours. Il est vrai qu'un dissentiment étant survenu entre la Cour de cassation et les cours de Paris et de Rouen sur l'interprétation de l'article 115 du Code de commerce, une loi interprétative fut rendue le 19 mars 1817, et que le garde des Sceaux disait en la présentant aux chambres : « Le roi nous a ordonné de « vous présenter un projet tendant à interpréter le sens et à « rectifier la rédaction d'un article du Code de commerce, qui, << depuis plusieurs années, a fait naître des réclamations 10 ». Toutefois, la jurisprudence considéra la loi du 16 septembre 1807 comme encore en vigueur "; des ordonnances interprétatives furent rendues en Conseil d'État 12, et ce dernier décida formellement par un avis des 27 novembre-1°r décembre 1823 que « la loi du 16 septembre 1807 était parfaitement compati« ble avec le régime constitutionnel établi par la Charte, et <«< que le roi pouvait et devait, dans les cas prévus et dans les « formes déterminées, exécuter ses dispositions », sauf que l'interprétation réglementaire devrait se restreindre au cas particulier en vue duquel elle aurait été donnée 13. C'est seulement le 30 juillet 1828 qu'une loi nouvelle introduisit un troisième système, celui de l'interprétation judiciaire: elle portait que la Cour de cassation statuerait sur le second pourvoi toutes chambres réunies, qu'en cas de seconde cassation l'affaire serait portée à une troisième cour d'appel qui statuerait aussi en audience solennelle, et que son arrêt ne pourrait être déféré à la Cour de cassation sur le même point de droit et par les mêmes moyens ". Cette loi qui, contrairement à toute raison et au préjudice de la hiérarchie judiciaire, faisait prévaloir

8 Archives parlementaires, 2° sér., t. XIII, p. 23, 88 et suiv., 122 et suiv.,

133.

9 Voy., sur cet article, suprà, no 12, note 3.

10 Archives parlementaires, 2° sér., t. XVI, p. 723; t. XVIII, p. 213.

11 Nancy, 23 janv. 1828 (Dal., Rép., vo Lois, no 462). Cass. crim. 22 nov. 1828 (Dal., Rep., vo Presse, no 209).

12 O. 14 oct. 1818, 18 sept. 1822; 1er sept. 1827 et 23 janv. 1828 (Duvergier, t. XXII, p. 19; t. XXIV, p. 140; t. XXVII, p. 422; t. XXVIII, p. 32. 13 Duvergier, t. XXIV, p. 390.

14 Art. 1 et suiv.

l'opinion d'une cour d'appel sur celle de la plus haute magistrature, était également destructive de l'unité de la jurisprudence, puisqu'elle préférait la solution d'une cour d'appel, peut-être en désaccord avec les autres, à l'arrêt de la seule juridiction qui pût donner une décision unique et ramener tous les tribunaux à son sentiment 15.

95. Aussi la loi du 1er avril 1837, qui régit aujourd'hui la matière, applique-t-elle le principe de l'interprétation judiciaire d'une manière plus conforme aux règles essentielles de la hiérarchie et au but de l'institution de la Cour de cassation'. Elle dispose (c'est le quatrième système) que la Cour de cassation prononcera en chambres réunies sur le second pourvoi, que, si elle casse le second jugement ou arrêt par les mêmes motifs.que le premier, la cour ou le tribunal de renvoi statuera en audience ordinaire, à moins que la nature de l'affaire n'exige la tenue d'une audience solennelle, et qu'il se conformera, sur le point de droit qui fait question, à la décision de la Cour de cassation. La loi n'ajoute pas (mais cela va de soi) que cette décision ne sera obligatoire que dans l'affaire actuellement pendante, et que la juridiction de renvoi, ou toute autre devant laquelle pareille affaire se présentera à l'avenir, gardera son entière liberté d'appréciation: aucun corps judiciaire, pas même la Cour de cassation, ne peut faire aujourd'hui des arrêts de règlement.

96. 2o L'unité de jurisprudence complète et assure l'unité de législation: elle empêche que, dans le silence ou l'obscurité de la loi, la même question soit jugée différemment suivant les ressorts, et qu'une solution, exacte dans une circonscription judiciaire, soit fausse dans une autre. La fixité de la jurisprudence supplée à l'insuffisance de la loi, et permet aux citoyens, dans une matière sujette à controverse, de régler leur conduite et leurs intérêts aussi sûrement qu'ils pourraient le faire en présence d'un texte formel. On sait, depuis que la jurispru

15 Boncenne, t. I, p. 536 et suiv. Aj. les conclusions de M. Dupin lors de l'arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 1834 (Sirey, 34. 1. 818).

95. Marcadé la critique vivement (t. II, no 92).

a Voy. supra, no 93.

Voy. suprà, no 90.
Art. 1 el suiv.

• Voy. suprà, no 10.

dence est fixée, que la femme séparée de biens ne peut s'obliger sans l'autorisation de son mari ou de justice que pour les besoins et dans les limites de l'administration de ses biens', et que la femme mariée sous le régime dotal ne peut renoncer à l'hypothèque légale qui garantit la restitution de sa dot mobilière les tiers qui veulent traiter avec elle connaissent donc l'étendue de sa capacité et la valeur des engagements qu'elle prend envers eux. Aussi les revirements de jurisprudence ont-ils une telle gravité que la Cour de cassation aime quelquefois mieux persister dans une solution douteuse que de jeter, en l'abandonnant, la perturbation dans les affaires c'est aux pouvoirs publics à intervenir en pareil cas, et à statuer par une loi qui, à la différence d'un arrêt, ne s'appliquera que dans l'avenir, et ne régira pas les conventions passées antérieurement et sur la foi d'une jurisprudence qu'on croyait définitive3. On a, cependant, vu la Cour juger, jusqu'en 1858, que la femme commune en biens exerce ses reprises sur les biens communs en qualité de propriétaire, et sans entrer en concours avec les créanciers de la communauté; puis adopter en chambres réunies, le 16 janvier 1858, une opinion contraire dont elle ne s'est plus départie, et refuser tout droit de préférence à cette femme à l'encontre des créanciers de la communauté. On a même vu, sur la question desavoir si l'héritier donataire sans clause de préciput, qui renonce à la succession, peut cumuler, c'est-à-dire retenir à la fois sa part de réserve et la quotité disponible, la Cour changer trois fois de jurisprudence: se prononcer contre le cumul de 1818 à 1843, l'admettre de 1843 à 1863, puis revenir à sa première opinion par l'arrêt des chambres réunies du 27 novembre 1863. La fixité de la jurisprudence est due à l'action persistante de la Cour, qui, une fois son parti pris sur une question de droit, casse invariablement les jugements et arrêts qui s'en écartent, et rejette les pourvois dirigés contre ceux qui s'y conforment :

96. Dalloz et Vergé, art. 1449, nos 40 et suiv.

* Dalloz et Vergé, art. 1554, nos 229 et suiv.

« La loi ne statue que pour l'avenir; elle n'a pas d'effet rétroactif » (C. civ., art. 2; aj. supra, no 19). Voy., au contraire, sur le caractère déclaratif et la rétroactivité des jugements, t. III § 1161 de la 2a édit.).

D. P. 58. 1. 5. Voy., sur la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, Dalloz et Vergé, art. 1471, no 2 et suiv.

Civ. rej., 18 févr. 1818 (Dal., Rép., vo Successions, no 1028). Civ. cass., 17 mai 1843 (Dal., Rép., vo cit., no 1029). Ch. rẻun. cass., 27 nov. 1863 (D. P. 64. 1. 5). Rapport de Faustin Hélie, Concl. conf. de Dupin.

les cours d'appel finissent, de guerre lasse, par se ranger à son avis, à moins qu'elle-même ne cède à leur résistance ou que le législateur n'intervienne dans tous les cas, le but est atteint et l'incertitude cesse. La connaissance que la Cour de cassation acquiert ainsi des lacunes ou des défauts de la loi lui permet de porter sur l'ensemble de la législation le jugement le plus éclairé; aussi a-t-elle, en vertu de textes anciens, mais encore en vigueur, quoique tombés en désuétude, le droit et le devoir d'envoyer chaque année au Gouvernement une députation pour lui signaler les points sur lesquels son expérience lui a révélé l'insuffisance ou l'imperfection de la loi .

97. Attributions extrajudiciaires. — La Cour de cassation connaît en quelque sorte extrajudiciairement, c'est-à-dire, en dehors des pourvois qui lui sont soumis: a) des demandes formées par son procureur général en annulation des actes par lesquels les juges ont excédé leurs pouvoirs ; b) des règlements de juges en matière civile entre deux cours d'appel, deux tribunaux de première instance ou de commerce ou deux juges de paix qui n'appartiennent pas au même ressort, ou entre une cour d'appel et un tribunal inférieur à elle, et de tous les règlements de juges en matière criminelle 2; c) des prises à partie dirigées contre une chambre ou un membre de la Cour de cassation, une cour d'appel ou l'une de ses chambres, ou une cour d'assises ; d) des plaintes formées contre un

D. 27 nov.-1er déc. 1790, tit. I, art. 24. Const. 3 sept. 1791, tit. III, ch. v, art. 22. Const. 5 fruct. an III, art. 257. L. 27 vent. an VIII, art. 86. M. Cazot, garde des sceaux, recevant la Cour de cassation le 5 janvier 1880, a exprimé le désir de la voir revenir à l'observation de ces dispositions : « La Cour de cassation pourrait, a-t-il dit, étendre la sphère de son action en présentant chaque année au Gouvernement un rapport sur les imperfections et les lacunes de la « législation révélées par la pratique, ainsi que le prescrivait la loi du 27 vene tôse an VIII. Je soumets cette considération à votre haute sagesse, comme un témoignage de la confiance du Gouvernement dans les lumières et l'expé■rience de la cour » (Journal officiel du 6, p. 115). Les projets de loi dont il a été parlé suprà, no 85, note 7, ont été soumis à l'examen de la cour; il en a été de même, en 1897, des propositions de lois relatives à la réforme de l'instruction criminelle.

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97. L. 27 vent. an VIII. art. 80. C. instr. crim., art. 441. Voy., sur ces demandes, infrà, no 218.

20. août 1737, tit. II, art. 19 et 20. C. pr. civ., art. 363. C. instr. crim., art. 526. Il y a quelques doutes relativement au conflit qui peut s'élever entre une cour d'appel et un des tribunaux de son ressort la solution indiquée au texte est l'application du principe qu'un tribunal ne peut se régler de juges à luimême, et que le règlement de juges doit être fait par une autorité supérieure aux deux juridictions en conflit (Voy., pour les détails, t. II (§ 740 de la 2o édit.). 3 L. 27 vent. an VIII, art. 60. C. pr. civ., art. 509. Aux termes de ces disposi

membre d'une cour d'appel ou du ministère public près d'une cour d'appel, à raison d'un crime ou d'un délit commis en

tions et des textes antérieurs (D. 27 nov.-1 déc. 1790, tit. I, art. 2; const. 3 sept. 1791, tit. III; ch. v, art. 19; const. 7 fruct. an III, art. 254; const. 22 frim. an VIII, art. 65), la prise à partie élevée contre un tribunal tout entier devait toujours être portée à la Cour de cassation. Ces dispositions sont abrogées, en ce qui concerne les tribunaux inférieurs aux cours d'appel, par l'article 509 du Code de procédure, aux termes duquel la prise à partie formée contre un juge de paix, un tribunal de première instance ou de commerce, ou un de leurs membres est portée à la cour d'appel du ressort (Voy. suprà, no 31). Sauf cela, l'article 60 de la loi du 27 ventôse an VIII est encore en vigueur. Il est vrai que le sénatus-consulte du 28 floréal an XII a transporté les attributions de la Cour de cassation en matière de prise à partie à une haute cour composée des princes, des hauts dignitaires et grands officiers de l'empire, du grand-juge, de soixante sénateurs, des présidents de sections au Conseil d'Etat, de quatorze conseillers d'État et de vingt membres de la Cour de cassation (Art. 101-7° et 104), et que l'article 509 du Code de procédure se réfère à ces dispositions; mais la haute cour n'a jamais fonctionné. Le sénatus-consulte annonçait qu'il serait pourvu ultérieurement au surplus des dispositions relatives à son organisation et à son action (Art. 133); or, quand le premier Empire tomba, ce sénatus-consulte était encore à faire, et il fut, en 1811, impossible d'exécuter l'ordre donné par Napoléon de traduire devant cette juridiction le général Dupont qui avait capitulé à Baylen le 22 juillet 1808. L'archichancelier Cambacérès exposa, dans un rapport adressé à l'empereur, que la constitution de la haute cour était incomplète, que l'acte annoncé par le sénatus-consulte du 28 floréal an XII n'était même pas préparé, que la réunion de la haute cour était impraticable dans de pareilles conditions, et qu'en l'ajournant jusqu'à la promulgation d'un nouveau sénatus-consulte on s'exposerait au reproche de juger d'après une loi nouvelle des faits antérieurs à cette loi. Le général fut traduit devant une commission d'enquête composée arbitrairement et qui le condamna tout aussi illégalement à une détention indéfinie (Bibliographie universelle, vo Dupont). Quant à la haute cour de la République de 1848 et du second Empire, elle avait des attributions exclusivement politiques (Const. 4 nov. 1848, art. 91; const. 14 janv. 1852, art. 54), et il en est de même aujourd'hui du Sénat constitué en cour de justice aux termes de la loi du 18 juillet 1875 (Art. 12; voy., sur la procédure à suivre dans cette hypothèse, L. 10 avr. 1889, art. 1 et suiv.). Il suit de là qu'aucun texte postérieur n'a abrogé sur ce point, l'article 60 de la loi du 27 ventôse an VIII, et que la Cour de cassation est demeurée compétente pour connaître des prises à partie dirigées contre une cour d'appel, une chambre de cour d'appel ou une cour d'assises (Merlin, Répertoire, vo Prise à partie, § II; Chauveau, sur Carré, Lois de la procédure, t. IV, no CCCCXVI; Bioche, vis Cassation, no 32, et Prise à partie, no 45; Boitard, Colmet-Daage et Glasson, t. II, no 758; Rodière, t. II, p. 141; Tarbé, p. 310; Godart de Saponay, Manuel de la Cour de cassation (Paris, 1832), p. 75; req. 17 févr. 1825, Dal. Rép., vo Prise à partie, no 46; req. 6 juill. 1858, D. P. 58. 1. 279; req. 8 août 1859, D. P. 59. 1. 460). On a cependant soutenu : 1° que la création de la haute cour avait supprimé, ipso facto, la compétence de la Cour de cassation en matière de prise à partie, et que celle-ci ne pouvait connaître de ces demandes avant qu'une nouvelle loi fût rendue (Pigeau, La procédure des tribunaux de France, 5 éd. (Paris, 1835), t. I, p. 793); 2o que les attributions de la haute cour en cette matière avaient passé, en 1814, à la Chambre des pairs (Poncet, Des jugements (Dijon, 1821), t. II, no 600). Ces deux opinions n'ont pas prévalu: l'une, par la raison qu'il était inadmissible que le cours de la justice fût suspendu; l'autre, par ce motif que la charte du 4 juin 1814 ne contenait au cune disposition sur ce point.

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