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des sceaux. Le Gouvernement est représenté auprès de lui par le procureur général près la Cour de cassation; l'affaire est jugée à huis clos; l'arrêt ne peut être rendu qu'après que le magistrat intéressé a été entendu ou dûment appelé. Les juges ordonnent, pour s'éclairer, toutes les mesures qui leur

L. 30 août 1883, art. 16. Cette loi retire ainsi aux cours et tribunaux le droit, qu'ils avaient auparavant, de mettre eux-mêmes en mouvement l'action disciplinaire (L. 20 avr. 1810, art. 51 et suiv.). M. de Marcère a critiqué cette innovation à la Chambre des députés : « Du moment, disait-il, que le garde des << sceaux est le maître de la poursuite, il peut l'exercer ou la suspendre à son « gré; il peut atteindre tel magistrat ou ne pas atteindre tel autre; tel magis«trat qui dans des circonstances politiques, peut se croire à l'abri des pour« suites disciplinaires, grâce à des patronages considérables, à une situation « spéciale qui lui aura été faite, pourra commettre tous les actes répréhensi«bles sans craindre l'exercice du pouvoir disciplinaire; tel autre se sentira « nécessairement placé sous le coup de poursuites qui pourront l'atteindre » (Séance du 5 juin 1883; Journal officiel du 6, p. 1185). Il était admis avant 1883 que le garde des sceaux est investi, personnellement, de cette fonction, qu'il l'exerce par une action libre et spontanée, comme chef de la justice et non comme membre du Gouvernement; qu'il n'engage, en mettant en mouvement l'action disciplinaire, que sa seule responsabilité et qu'en conséquence, le pouvoir exécutif ne peut se substituer à lui dans l'usage de cette prérogative. Les chambres réunies de la Cour de cassation l'avaient reconnu à l'occasion du décret du 23 septembre 1870, par lequel le Gouvernement de la Défense nationale avait traduit devant elles leur propre premier président : elles avaient jugé que ce décret n'était pas légal et ne les saisissait pas régulièrement, et que ce vice de forme n'avait été couvert ni par le concours du garde des sceaux à ce décret comme membre du conseil des ministres, ni par l'invitation ultérieure de statuer adressée par lui à la cour, attendu qu'il n'avait agi dans ces deux circonstances qu'au nom du Gouvernement et comme signataire d'un acte collectif (Cass. Ch. réun., 21 juill. 1871, D. P. 71. 1. 33 et la note). Il semble qu'il en soit de même encore aujourd'hui.

5 L. 30 août 1883, art. 13.

6 D. 1er mars 1852, art. 4. Cette règle est exceptionnelle, car il est de principe fondamental que la justice se rend publiquement (C. pr. civ., art. 87; voy. t. II, § 550 de la 2o édit.).

7 L. 30 août 1883, art. 16. Il a été dit, au Sénat, au nom de la commission et en réponse à une observation de M. de Gavardie, que le conseil supérieur pourrait donner commission rogatoire pour interroger le magistrat, au lieu de l'entendre devant tout le conseil (D. P. 83. 4. 69, note 2); mais il semble que cette manière de procéder ne puisse être employée qu'à l'égard d'un magistrat qui aurait refusé, ou qui se trouverait dans l'impossibilité de se présenter (Dalloz, Rep. Supp., vo Discipline jud., no 121). Le magistrat inculpé est cité à comparaître dans un délai qui lui est fixé, et à l'expiration duquel il doit se présenter en personne, assisté s'il le veut d'un défenseur, ou se faire représenter, sans préjudice du droit qu'a le conseil d'ordonner, s'il le juge utile, sa comparution personnelle qui est de droit comme en toute matière (C. pr. civ., art. 119; voy. t. II, § 794 de la 2 édit). La Cour de cassation n'admettait autrefois le magistrat inculpé à se faire assister d'un défenseur que s'il lui était impossible de se défendre personnellement (Ch. réun. cass. 30 nov. 1820; D. Rép., vo cit., no 146); elle en donnait pour raison que les faits qui servent de base à une poursuite disciplinaire sont trop personnels au magistrat inculpé pour qu'une autre personne puisse les contester, les expliquer ou les excuser. Elle s'est montrée depuis plus libérale, et le droit de se présenter devant elle, assisté d'un défenseur, ne faisait plus depuis longtemps question en 1883 (Morin, t. I, p. 37). Il n'est pas davantage contesté aujourd'hui.

paraissent propres à déterminer leur conviction, et peuvent mème commettre l'un d'eux pour procéder à une enquête confidentielle, à la condition de ne relever dans les motifs de leur décision que les faits allégués par la prévention, et dont l'existence leur est officiellement démontrée '.

157. La peine peut être, « suivant la gravité des cas la << censure simple ou avec réprimande, la suspension provi«soire, ou la déchéance »1. Les corps judiciaires traduits devant le conseil supérieur ne doivent, vu le secret de leurs délibérations, être l'objet que d'une peine collective, qui ne peut être que la censure simple ou avec réprimande'. L'arrêt est exécutoire par lui-même, sans avoir besoin d'être revêtu de l'approbation du garde des sceaux. Il peut être reproduit par la presse, s'il ne contient que les motifs et le dispositif qui sont les parties essentielles de toute décision judiciaire; s'il contient, dans l'exposé du point de fait ou dans le procèsverbal qui les précède, le texte des réquisitions du procureur général sur lesquelles il a été rendu, la reproduction en est interdite aux termes des lois de la presse qui s'opposent à la publication des procès jugés à huis clos*. Toutefois, le conseil supérieur peut ordonner la publication du texte entier de son arrêt à titre d'exemple et d'avertissement, de même aussi si le retentissement des poursuites exige que le magistrat reconnu innocent obtienne une éclatante réparation. Cet arrêt n'est susceptible que d'une seule voie de recours, l'opposition du magistrat condamné sans avoir été entendu ou au moins appelé ".

8 Morin, t. II, p. 349 et suiv.

9 Civ. rej. 18 mai 1863 (D. P. 63. 1. 406). Par application du principe que les juges ne peuvent se décider que d'après les résultats officiels de l'instruction (Voy. suprà, no 150).

157. 1 L. 20 avr. 1810, art. 50 et 59. D. 1er mars 1852, art. 4 et 5.

Dalloz, Rép. Supp., vo Dis. jud. no 35.

3 Il en était autrement avant la loi du 30 août 1883 (L. 20 avr. 1810, art. 56). L. 18 juill. 1828, art. 16.

Ch. réun. cass., 21 juill. 1871 (D. P. 71. 1. 32). Ch. réun. cass., 12 mai 1879 (D. P. 79. 1. 233). Ch. rẻun. cass., 1 mars 1880 (Journal officiel du 6, p. 2633).

Morin, t. II, p. 365 et 368. L'opposition est de droit commun pour toute partie condamnée par défaut (Voy. le tome VI).

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158. Les membres des tribunaux de commerce ne sont pas des fonctionnaires publics: leurs fonctions ont toujours été gratuites'. Ils occupent, en outre, par leur caractère électif, par la profession de commerçants qu'ils ne cessent d'exercer, par la durée limitée de leur mandat, par leur juridiction restreinte à un ordre déterminé d'affaires, et par leur incompétence en matière d'exécution de leurs jugements 2, une place à part dans la magistrature. Ils sont cependant des magistrats, puisqu'ils sont établis par la loi pour administrer la justice, et qu'ils rendent des jugements auxquels l'autorité publique est tenue de prêter main-forte.

Ils jouissent, dans l'exercice même de leurs fonctions, et en qualité de magistrats, des prérogatives attribuées au magistrat qui est sur son siège, en même temps qu'ils contractent ses obligations. Ils sont, donc, tenus de juger, de le faire en conscience, de ne se prononcer que d'après les résultats de l'instruction, et de garder le secret des délibérations3. Ils peuvent être pris à partie devant la cour d'appel pour dol, fraude, concussion ou déni de justice, ou s'ils ont prononcé la con.

158.1 C. comm., art. 628. Voy. Constant, Les magistrats consulaires, leur recrutement, leurs devoirs (dans la France judiciaire, t. XVII, 1893, ITM part., p. 90).

2 Voy., sur ces divers points, suprà, nos 150 et 151.

3 Ces obligations (Voy. suprà, no 54) sont inhérentes au droit de juger, et incombent à toute personne que la loi investit de ce droit.

On pourrait concevoir, par exemple, qu'un membre d'un tribunal de commerce, juge-commissaire dans une faillite, fermât les yeux sur les malversations des syndics, ou visât l'admission d'un créancier à la faillite pour une somme supérieure au montant réel de sa créance (C. comm., art. 489 et 497), et

trainte par corps en violation de la loi du 22 juillet 1867 qui l'a supprimée en matière commerciale. Par contre, ils ne peuvent être rendus civilement responsables des actes commis dans l'exercice de leurs fonctions que dans les cas et suivant les formes de la prise à partie, et poursuivis criminellement pour un crime ou pour un délit commis dans les mêmes circonstances, que devant la juridiction et suivant la procédure déterminées par les articles 483 et suivants du Code d'instruction criminelle. Les juges consulaires peuvent être récusés comme ceux des tribunaux civils, et pour les mêmes causes'. Hors de leurs fonctions, les juges consulaires n'ont plus le caractère indélébile qui appartient aux membres de l'ordre judiciaire proprement dit. Ils sont pleinement éligibles, et peuvent cumuler avec leurs fonctions tous les mandats électifs de l'ordre politique ou administratifs; ils ne sont pas dispensés de la tutelle et des charges publiques analogues. Cependant l'incompatibilité entre les fonctions judiciaires et celles de juré s'applique aux membres des tribunaux de commerce 10. Ils ne jouissent d'aucun privilège de juridiction à raison des crimes et délits étrangers à leurs fonctions ; ils ne peuvent à l'expi

qu'il se fit payer le prix de ces complaisances; mais il faut dire que ces hypothèses sont imaginaires.

C. pr. civ., art. 505-1o, 3o et 40 cbn. 509 (Voy., sur cette suppression, le tome IV). Ce sont les seuls cas où les juges consulaires puissent être pris à partie : les autres cas où la loi déclare les magistrats responsables à peine de dommagesintérêts (C. pr. civ., art. 505-3°) sont particuliers aux cours d'appel, aux juges de paix et aux tribunaux criminels, et les cas où la loi prononce expressément la prise à partie n'existent qu'en matière criminelle.

6 Ces articles sont formels : « Lorsqu'un juge de paix ou de police, ou un juge faisant partie d'un tribunal de commerce... » (Art. 483); « lorsque des fonctionnaires de la qualité exprimée en l'article précédent... » (Art. 484); lorsque le crime commis dans l'exercice des fonctions sera imputé soit à un • tribunal entier de commerce... >> (Art. 485).

7 Camberlin, p. 84.

Aucune des lois citées supra, nos 124 et 144 ne vise les membres des tribunaux de commerce.

L'article 427 du Code civil ne dispense de la tutelle que « les citoyens qui • exercent une fonction publique » (Comp. suprà, no 142).

10 L. 21 nov. 1872, art. 3; comp., sur les motifs de cette disposition, suprà, n° 125. Aj., sur le costume des magistrats consulaires, D. 6 oct. 1809, art. 8; sur les préséances et honneurs publics auxquels ils ont droit, D. 21 mess. an XII, tit. I, art. 1 et 8; sur la forme des récusations et réquisitions qui les concernent, C. pr. civ., art. 384 et 507; et sur le titre de premier juge qui équivaut à celui de doyen, la lettre du garde des sceaux au président du tribunal de commerce de Langres, 3 févr. 1877 (Bulletin officiel du ministère de la justice, 1877, le part. p. 30).

14 L'article 479 du Code d'instruction criminelle est formel sur ce point, surtout quand on le rapproche des articles 483 et suivants du même Code : « Lors

ration de leur mandat, prétendre à l'honorariat 12. Toutefois, le caractère du magistrat ne s'efface pas complètement en eux, et ils demeurent soumis dans leur vie privée à tous les devoirs auxquels un juge ne saurait manquer sans que ces fonctions en souffrent ou que sa dignité soit compromise. Il est bien évident que ces fonctions ne sont pas inconciliables avec la profession commerciale. Ainsi, un juge consulaire peut être agent d'affaires salarié, il peut signer un billet à ordre. Mais il est astreint à la résidence"; il est tenu d'observer, en toutes choses, la réserve et les habitudes régulières qui conviennent à un magistrat15; il ne peut se rendre cessionnaire de droits litigieux ni acquéreur de biens pendant ou mis en vente devant le tribunal dont il est membre 16, ni donner aucun avis, mémoire ou consultation 17.

Il n'est pas justiciable du conseil supérieur de la magistrature, puisque l'action disciplinaire de ce conseil s'exerce, seulement, sur les membres de la Cour de cassation, des cours

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qu'un juge de paix, un membre de tribunal correctionnel ou de première <«< instance... » (Legraverend, t. I, p. 499; Bourguignon, t. II, p. 412; Carnot, De l'instruction criminelle, t. III, p. 362; Le Sellyer, t. VI, no 833).

12 Lettre du garde des sceaux au procureur général de Montpellier, 11 janv. 1877 (Bulletin officiel du ministère de la Justice, 1877, I part., p. 30). Camberlin, p. 8. Cependant une ordonnance du 5 février 1817 a conféré à M. Vignon, président du tribunal de commerce de Paris, non seulement le titre de président honoraire, mais encore l'honorariat spécial, avec droit d'assister aux audiences et voix consultative, dont il a été parlé suprà, no 52; une autre ordonnance, du 29 mai 1830, a donné à M. Hacquart le titre de président honoraire du même tribunal. Le tribunal a protesté par une délibération du 19 juin 1830, «< attendu qu'il y a atteinte à l'indépendance des tribunaux de com«merce, si les présidents honoraires, sans mission de leurs pairs, sans autorité judiciaire, ont le droit ou la faculté d'exercer une influence permanente sur « des juges qui se succèdent ». Le procureur général près la cour de Paris, sur l'ordre du garde des sceaux, a répondu avec quelque raison, le 18 juillet suivant, que les observations du tribunal s'appliqueraient justement à la concession de l'honorariat spécial, mais que l'honorariat simple ne pouvait donner prise à aucune objection. Toutefois, ce fait ne s'est plus reproduit (Camberlin, p. 86 et suiv.).

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13 Il est impossible à un commerçant de ne pas signer des billets à ordre, et, quant aux agents d'affaires salariés, la loi ne les déclare pas inéligibles aux fonctions de magistrats consulaires (Voy. infrà, no 160).

14 Les mêmes règles s'appliquent, sur ces deux points, aux tribunaux de première instance et aux tribunaux de commerce (Camberlin, p. 93). Par exception, les membres de ces derniers tribunaux peuvent sortir du territoire sans l'autorisation du garde des sceaux (Déc. minist., 5 sept. 1879, Bulletin officiel du ministre de la justice, 1879, 1r part., p. 150; comp. suprà, § 147). 15 Camberlin, p. 96.

16 Bioche, vo Tribunal de commerce, no 29. Camberlin, p. 82.

17 Camberlin, p. 82. En conséquence, les membres du tribunal de commerce de Paris s'interdisent, conformément à un très ancien usage, de donner aucun certificat, parère ou apostille (Camberlin, op. et loc. cit.).

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