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chacune des cours d'assises du ressort, et deux autres conseillers siègent comme assesseurs à la cour d'assises du chef-lieu de la cour d'appel". Une des trois chambres de la Cour de cassation, la chambre criminelle, statue sur les pourvois formés contre les arrêts des cours d'assises, les arrêts rendus en matière criminelle ou correctionnelle par les cours d'appel, et les jugements rendus en dernier ressort par les tribunaux correctionnels ou de simple police 13.

42. Trois conséquences pratiques résultent de l'unité de juridiction. Les conseillers à la Cour de cassation, les conseillers de cour d'appel, et les juges des tribunaux de première instance qui ont plusieurs chambres, peuvent être appelés indifféremment d'une chambre civile à une chambre criminelle ou correctionnelle, et vice versa, soit, régulièrement, par l'effet du roulement', soit, accidentellement, pour vider un partage' ou compléter une chambre qui n'est pas en nombre3. Les chambres des appels de police correctionnelle et les chambres correctionnelles des tribunaux de première instance peuvent connaître d'affaires civiles, soit, régulièrement, pendant les vacances, soit, accidentellement, en cas d'encombrement des chambres civiles, soit, même, concurremment avec elles. Les chambres civiles et criminelles des cours d'appel et de la Cour de cassation prennent part au jugement des affaires qui doivent être également que « dans toutes les affaires, les cours d'appel, tant qu'elles n'au«ront pas décidé s'il y a lieu de prononcer la mise en accusation, pourront, d'office, soit qu'il y ait ou non une instruction commencée par les premiers juges, ⚫ordonner des poursuites, se faire apporter les pièces, informer ou faire informer, « et statuer ensuite ce qu'il appartiendra ». Il est généralement admis que cet article ne désigne pas la cour tout entière, mais seulement la chambre des mises en accusation; entendu autrement, il ferait double emploi avec l'article 11 de la loi du 20 avril 1810 (Voy. Bourguignon, Jurisprudence des codes criminels (Paris, 1825), t. I, p. 509; Faustin, t. I, no 328 et suiv.; Mangin, De l'action publique et de l'action civile, 3° éd. (Paris, 1876), t. I, p. 25.

1 C. instr. crim., art. 252 et 253. On peut citer encore comme des conséquences de l'unité de juridiction : 1o l'article 626 du Code d'instruction criminelle, aux termes duquel la demande en réhabilitation d'un condamné est soumise à la cour d'appel, pour qu'elle donne un avis motivé; 2o l'article 4 du décret du 6 juillet 1810, qui prescrit de porter aux chambres civiles des cours d'appel les affaires correctionnelles dont il sera parlé infrà, no 143; 3°o l'article 20 du même décret, qui porte que les lettres de grâce seront entérinées devant la cour d'appel en audience solennelle (Voy. infrà, no 83).

11 D. 2 brum. an IV, art. 4.

42. Voy. infrà, no 63 et 78.

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Voy. t. III (§ 1066 de la 2o édit.) et le tome VI.

Voy. infrà, no 68 et 81.

Voy., pour plus de détails, infrà, nos 61 et suiv., 98 et suiv.

portées à l'audience solennelle, quelle que soit la nature de ces affaires 5.

43. Malgré l'unité de juridiction, il existe entre les jugements civils et les jugements criminels, une différence capitale1 il n'y a pas de jury en matière civile, sauf de très rares exceptions, au lieu que la cour d'assises se compose de la cour proprement dite, c'est-à-dire de trois magistrats, et d'un jury3. Le jury,prononce sur la culpabilité de l'accusé ; la cour, suivant les cas, applique la peine ou prononce l'absolution, ou bien son président rend une ordonnance d'acquittement'. C'est dans la séance du 30 avril 1790 qu'après de longs débats, et sur les instances de Thouret et de Tronchet, l'Assemblée constituante s'est prononcée contre l'établissement du jury civil demandé par Duport'; les propositions de Cambacérès en l'an III et d'Odilon Barrot en 1848 n'ont pas eu plus de succès et les discussions qui se sont rouvertes il y alvingt-cinq ans sur ce grave sujet n'ont pas tourné à l'avantage des partisans du jury civil".

5 Voy. infrà, nos 82 et 98 et suiv.

43. Une autre différence existait entre eux avant 1883 les arrêts des cours d'appel en matière criminelle ou correctionnelle pouvaient être rendus par cinq conseillers, au lieu qu'il en fallait sept pour rendre au civil un arrêt valable (L. 27 vent. an VIII, art. 27; D. 6 juill. 1810, art. 2; 0. 24 sept. 1828, art. 1). La loi du 30 août 1883, a abrogé cette dernière règle, et fixé uniformément à cinq le nombre de conseillers nécessaire pour juger valablement en toute matière (Art. 1; voy., sur ce point, infrà, no 81 et le tome VI).

2 Les cours d'assises ne connaissent pas seulement des crimes; elles jugent aussi les délits de presse (L. 15 avr. 1871, art. 1 et L. 29 juill. 1881).

3 C. instr. crim., art. 347, 318, 358 et 364. L'absolution suppose que le fait dont l'accusé est déclaré coupable n'est pas défendu par une loi pénale (C. instr. crim., art. 364); l'acquittement suppose que le jury a déclaré l'accusé non coupable (C. instr. crim., art. 358).

4 Voy. les séances des 29, 30 et 31 mars, 5, 6, 8, 28, 29 et 30 avril (Moniteur du 31 mars, p. 369; 1er avril, p. 373; 5 avril, p. 393; 7 avril, p. 397; 10 avril, p. 406; 29 avril, p. 486; 30 avril, p. 489; 1er mai, p. 489 bis). Sieyes avait proposé un autre système, dans lequel les jurés auraient décidé sur le droit et sur le fait, sous la présidence d'un magistrat qui n'aurait eu qu'à prononcer le jugement (Séance du 8 avril 1790; Moniteur du 10, p. 406); Thouret l'a réfuté dans la séance du 28 avril (Moniteur du 29, p. 485), et je ne sache pas que personne l'ait jamais reproduit.

5 Aubriet, Vie de Cambacérès (Paris, 1824), p. 29 et suiv. Assemblée nationale de 1848, séance du 14 octobre (Moniteur du 15, p. 2853).

6 Voy. la discussion qui a eu lieu sur l'organisation judiciaire à l'Académie des Sciences morales et politiques, les 24 février, 2, 9, 23 mars, et 3 avril 1872 (Comptes rendus, t. XCVIII, p. 5 et suiv., 166 et suiv., 503 et suiv.), et celle qui s'est engagée sur le jury civil à la Société de législation comparée le 14 juilet 1869 (Bulletin, 1869-1870, p. 153 et suiv.). M. Eymard-Duvernay proposait

Trois raisons décisives condamnent le jury civil. Il sembleévident, tout d'abord, que des magistrats de profession, formés par l'étude des lois et des principes du droit, versés dans la pratique des affaires, et doués du tact et de la clairvoyance que donne l'habitude de juger, rendront toujours meilleure justice en matière civile que des citoyens, intelligents et consciencieux sans. doute, mais pris au hasard, sans préparation et sans expérience. En second lieu, la distinction du droit et du fait, qui est la base du jugement par jurés, est presque toujours impossible dans une législation où la preuve testimoniale n'est admise que par exception': le point de savoir s'il existe une obligation n'est pas une pure question de fait, et se complique d'une question de droit, du moment que les parties sont jugées sur leurs conventions écrites, et qu'il faut rechercher si l'acte est valable en la forme, si le débiteur était capable de s'obliger, quel est le sens précis des termes dont il s'est servi, et comment on doit interpréter sa volonté. Enfin, troisième et dernière raison, dans une société où les citoyens vivent, presque tous, de leur travail, l'organisation du jury civil présenterait. une extrême difficulté ou bien, les gens de loisir y seraient seuls appelés, et notre esprit d'égalité ne le souffrirait pas; ou bien, les mêmes listes serviraient pour le jury civil et pour le jury criminel', et, si l'on prend garde au nombre des affaires civiles qui se jugent annuellement', il y aurait peu de jurés qui ne trouvassent la charge insupportable.

aussi l'établissement du jury civil dans le projet de réorganisation judiciaire auquel j'ai fait allusion suprà, no 8, note 1.

La preuve testimoniale d'un fait juridique dont l'objet dépasse 150 francs n'est pas admise, à moins ou qu'il n'existe un commencement de preuve par écrit; ou qu'il n'ait été impossible de se procurer une preuve écrite; ou qu'il ne s'agisse de matières commerciales. La preuve par témoins contre et outre le contenu à l'acte est également interdite, sauf les mêmes exceptions, quoique le fait juridique constaté par cet acte ait un objet inférieur à 150 francs (C. civ., art. 1341, 1347 et 1348; C. comm., art. 109). Voy., pour plus de détails, sur tous ces points et sur la procédure d'enquête, t. Il (§§ 819 et suiv. de la 2o édit.).

La liste annuelle du jury criminel comprend 3.000 jurés pour le département de la Seine, et pour les autres départements un juré par 500 habitants, sans toutefois que le nombre des jurés puisse être inférieur à 400 et supérieur à 600 (L. 21 nov. 1872, art. 6).

'La dernière statistique judiciaire accuse pour l'année 1905 (colonies comprises) 758 pourvois en cassation et 1.003 restant de l'année précédente : 25.873 affaires étaient pendantes devant les cours d'appel, dont 15.094 introduites dans l'année et 10.733 restant à juger au 31 décembre. 134.947 affaires ont été introduites devant les tribunaux de première instance, qui, avec les affaires en retard ou en cours d'instance, en avaient 188.859 à juger et en ont terminé 142.407. Les tribunaux de commerce ont reçu 181.402 procès; ils en avaient en tout à juger

A l'encontre de ces raisons péremptoires, les considérations que l'on fait valoir, soit en faveur d'un jury unique semblable au jury criminel et qui connaîtrait de toutes les affaires, soit en faveur de jurys spéciaux composés, suivant la nature des affaires, d'artistes, d'agriculteurs, d'industriels ou d'ouvriers sont de bien peu de poids. Il est plus spécieux que probant de dire que si le jury civil présente tant d'inconvénients et si peu de garanties, le jury criminel est par là même condamné. Car, il n'y a rien de commun entre un débat en cour d'assises et un procès civil. On demande seulement au jury criminel si l'accusé est coupable, et s'il existe en sa faveur des circonstances atténuantes: douze hommes de bon sens et de bonne volonté peuvent répondre à une question ainsi posée; ces mêmes hommes seraient très embarrassés pour se prononcer, au civil, sur un point de fait presque toujours compliqué d'une difficulté de droit et obscurci par l'esprit de chicane, et pour déjouer toutes les ruses que le désir de gagner un mauvais procès suggère trop souvent aux parties ou à leurs conseils. De plus, les intérêts à sauvegarder sont si différents que les défauts du jury civil deviennent presque des qualités dans un jury criminel : la justice civile ne protège personne, et les deux parties sont égales devant elle; la justice criminelle multiplie les garanties en faveur de l'accusé présumé non coupable tant qu'il n'est pas condamné, et la meilleure qu'on puisse lui donner est de substituer le verdict de ses pairs, qui le jugeront sans prévention, sous la seule inspiration de leur raison et de leur conscience, à la décision de magistrats de profession, aussi intègres, mais beaucoup plus sévères et trop disposés à voir dans tout accusé un coupable. Mieux vaut, quel que soit le danger de l'impunité, laisser échapper dix criminels, que condamner un innocent, mais que dirait-on si la justice civile se trompait neuf fois sur dix.

207.107 et en ont terminé 185.423; 330.997 ont été déférés à la justice de paix qui n'avait à en juger en tout que 338.684 et n'en a laissé en retard que 9.130. En Algérie et en Tunisie, les juges de paix ont eu à statuer sur 40.665 affaires, et n'en ont pas laissé en retard plus de 30/0; aux prud hommes, 42.226 ont été portées devant le bureau particulier qui en avait 133 en retard et en avait 172 à terminer au 31 déc. 1905; 140 restaient à la même date à juger par le bureau général devant lequel 11.661 avaient été introduites, 103 s'ajoutant de l'année précédente. Le rapport de M. Briand garde des Sceaux du 11 mars 1908 sur le compte général de l'Administration de la justice civile pendant l'année 1905 constate et regrette l'augmentation constante des affaires laissées en souffrance. Le retard qui était en 1896 pour les cours d'appel de 4.851 affaires et pour les tribunaux civils de 19.225 s'est élevé respectivement en 1905 à 6.812 et 27.789.

On ajoute en vain que, malgré l'usage restreint de la preuve testimoniale, beaucoup de procès exigent des vérifications matérielles entièrement distinctes du point de droit et auxquelles des hommes de bon sens, pourvus de connaissances techniques et exempts de prévention, seraient très propres. La distinction du fait et du droit serait, dit-on, possible, puisque la Cour de cassation ne cesse de la faire d'après la loi même de son institution. Il est bien rare, quoi qu'on en dise, qu'une question de fait se présente, au civil, absolument dégagée de tout élément de droit: même dans les actions possessoires, et dans les demandes de dommages-intérêts, où la séparation paraît le plus facile, ils'agira souvent de se prononcer sur l'existence et le caractère d'un trouble juridique, et de dire si l'auteur d'un dommage n'a pas fait un usage légitime de son droit. La distinction du droit et du fait est très délicate même pour la Cour de cassation, devant laquelle les procès n'arrivent qu'après que le terrain du débat a été circonscrit et, en quelque sorte, déblayé devant les premiers juges; que sera-ce, en première instance, et croira-t-on avoir simplifié la procédure en instituant un débat préliminaire sur le point de savoir si le procès est de nature à être jugé par un jury?

On prétend, encore, que l'expérience du jury civil a été faite et qu'elle se poursuit tous les jours. N'est-ce pas un jury que le tribunal de commerce ou le conseil de prud'hommes, composé de commerçants ou d'ouvriers à qui l'on ne demande ni études juridiques, ni diplômes, mais seulement l'honorabilité de la vie et le suffrage de leurs pairs? La loi du 3 mai 1841 ne confiet-elle pas au jury le règlement des indemnités en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique, et, lorsqu'il s'est agi, après les événements de 1870-1871, de liquider la situation respective des propriétaires et des locataires dans le département de la Seine, n'est-ce pas à un jury spécial que s'est adressée la loi du 21 avril 1871 ?

Cette expérience est plus apparente que réelle. Le jury des loyers n'a été qu'un accident; celui d'expropriation a été créé pour mieux garantir l'inviolabilite de la propriété privée, et, l'on ne peut pas dire qu'il soit toujours animé du meilleur esprit. Tout au plus, ces essais prouveraient-ils que le jury civil peut être appliqué à des affaires spéciales, choisies avec prudence, dont la solution a plutôt le caractère d'un arbitrage que celui d'un jugement: on n'en peut rien conclure, du moment qu'il s'agit de généraliser cette institution, et de l'étendre au G. ET C.-B. I.

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