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tienne avait trouvé d'intrépides confesseurs dans les diverses classes de la société, tous les fidèles n'avaient pas manifesté le même courage. Il y en avait un grand nombre qui, pour échapper à la persécution, avaient obtenu, à prix d'argent, des magistrats la faveur de n'être pas recherchés; d'autres, plus coupables, sacrifièrent aux idoles pour sauver leur vie. Au milieu de leur défection, la voix de Cyprien n'avait pas laissé de retentir au fond de leur conscience. La plupart gémissaient de la faute qu'ils avaient commise, et, quand le feu de la persécution se fut amorti, demandaient avec instance de rentrer au sein de l'Église. Mais ses lois, alors dans toute leur vigueur, ne permettaient pas que cette grâce leur fût accordée avant d'être méritée par une longue et sévère pénitence. Pour s'en affranchir, plusieurs eurent recours aux confesseurs, et, soit par prières et par importunités, soit par surprise, ils en obtinrent des billets de réconciliation. C'était un désordre réel qui ne pouvait manquer d'exciter le zèle du sacerdoce chrétien. Cyprien, entre autres, signala son respect pour la discipline et la sagesse de son administration par un admirable tempérament de douceur et de fermeté, qui a fourni à tous les siècles chrétiens la règle la plus sûre de la conduite à tenir en semblables circonstances 1.

'Durant la persécution qui tint si longtemps notre clergé français exilé loin du sol de la patrie, parmi les excellents écrits auxquels elle donna lieu pour le maintien de la vérité catholique et pour l'édification des fidèles, on a remarqué particulièrement un recueil choisi de lettres de saint Cyprien, publié à Londres, en 1794, sous le titre : Sanctus Cyprianus ad martyres et confessores, ad usum confessorum Ecclesiæ gallicanæ. (1 vol. in-12.)

La persécution cessée, un de nos plus vénérables ecclésiastiques, M. Emery, supérieur général de Saint-Sulpice, crut qu'il était à propos de diriger le zèle des pasteurs à l'égard de ceux qui avaient donné dans le schisme, et publia l'écrit intitulé:

Quant à l'autre question, celle du baptême des hérétiques, où les esprits se trouvèrent encore plus violemment divisés, il est aujourd'hui indubitable que l'opinion de saint Cyprien n'était pas la vraie, puisque l'Église l'a repoussée, mais alors elle était douteuse, et que n'étant pas clairement décidée par la tradition apostolique, chaque évêque avait le droit de la soutenir ou de la combattre, en renvoyant sa solution au jugement de Dieu, pourvu qu'il conservât dans ses procédés et dans son langage l'esprit de modération et de charité'. Or, tel est l'éloge que saint Augustin donne ici à la conduite de saint Cyprien. « Ce grand homme, dit-il, épris » d'amour pour la beauté de la maison de Dieu, nous donne, » dans cette occasion, sujet de considérer plusieurs choses: » la première, de ce qu'il n'a point dissimulé son sentiment, » puis de ce qu'il l'a déclaré avec tant de douceur et de cha>> rité, sans hauteur, sans emportement, ne contraignant per>> sonne à obéir à son sentiment, s'en référant à la décision >> des conciles, et méritant par sa fidélité inviolable à con>> server le lien de la paix et de l'unité, l'honneur du mar» tyre, qui allait bientôt expier son erreur 2.»

Le vœu le plus ardent du saint évêque était de s'associer aux dangers de ses frères. Quoique la persécution, suspendue plutôt qu'apaisée par la mort de Dèce et de ses suc

De la conduite de l'Eglise dans la réception des ministres de la religion qui reviennent de l'hérésie et du schisme (1 vol. in-12, Paris, 1800); et c'est particulièrement le saint évêque de Carthage qui lui fournit ses autorités.

Il termine par ces paroles remarquables sa réponse à Jubaian qui l'avait consulté sur cette question : « Je vous ai fait >> conuaître ce qui a été décidé en deux synodes : ce qui reste » à faire, c'est que chacun déclare son sentiment sans con>> damner personne, sous le prétexte qu'il serait d'un autre >> avis. >>

2 Pacis atque unitatis vinculo custoditus ad martyrium provehitur. (Sanct. Aug., de Baptismo, lib. 2, c. 1.)

cesseurs Gallus et Émilien, continuât à sévir dans l'Italie, et menaçât toujours l'Afrique, Cyprien résolut de quitter le lieu de sa retraite, et de revenir au sein de son Église.

Carthage commencait à peine à jouir de la présence de son évêque, une épidémie des plus meurtrières vint tout à coup désoler cette ville, et se répandit dans toutes les provinces de l'Empire. Saint Cyprien nous en a laissé une éloquente description dans son Traité de la mortalité; et un autre contemporain trace ainsi la peinture des ravages qu'elle exerça: «Survint, dit Pontius, dans la Vie de saint Cyprien, une peste furieuse, qui, >> chaque jour, emportait une multitude de victimes. La con» sternation était générale; on s'enfuyait de tous côtés, on abandonnait impitoyablement ses proches; l'on ne rencon>>>trait partout que des cadavres jetés hors des maisons, amon>> celés les uns sur les autres, et des mourants implorant en »> vain la compassion de ceux qui pouvaient encore les en>> tendre, et qui n'en avaient pas le courage.» Certes il en fallait, selon l'expression de saint Cyprien, pour demeurer debout au milieu des ruines du genre humain.

Cette cruelle épreuve lui fournit une occasion nouvelle de faire éclater sa charité pastorale. Son premier soin fut d'assembler les fidèles, pour les exhorter, dans les termes les plus touchants, à remplir à l'égard les uns des autres les devoirs de l'humanité et de religion, sans distinction de chrétien et d'infidèle, d'ami et d'ennemi; à vaincre le mal par le bien, à l'imitation du Dieu qui fait luire son soleil sur les méchants comme sur les bons; à profiter de ce fléau, soit pour la réforme, soit pour le perfectionnement des mœurs. « Telle fut, » poursuit son historien, la chaleur de ses exhortations, qu'il >> anima en quelque sorte de son esprit tous les membres de » son troupeau. Ils se partagèrent le soulagement des pestiférés. Ceux qui ne pouvaient les assister de leur argent, ils les » parce qu'ils étaient pauvres, faisaient plus encore;

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>> assistaient de leurs personnes. Ces soins embrassaient éga»lement les païens. Mais comment, sous un maître tel que

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Cyprien, ne se serait-on pas empressé de participer à de > telles œuvres, pour se rendre agréable à Dieu notre Père, » à Jésus notre charitable Sauveur, et pour imiter l'exemple d'un si excellent évêque1? »

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Saint Cyprien sut mettre à profit les apparences de paix que donnèrent les premières années du règne d'Aurélien. Le schisme et l'hérésie qui en est la compagne ordinaire désolaient l'Italie; leurs ravages se portaient jusque dans les Gaules et les Espagnes, et troublaient l'Église d'Afrique elle-même. Un évêque tel que saint Cyprien ne pouvait être spectateur indifférent d'un aussi grand mal. Par la vigueur de ses mesures et l'autorité de sa doctrine, il confond l'erreur et ses partisans, affronte les haines et les calomnies, dissipe les préventions, raffermit les consciences ébranlées, assure l'élection canonique du pape saint Corneille, en déjouant les criminelles intrigues de l'ambition et de la malveillance, fait ressortir avec éclat le dogme de l'unité catholique. Ame des conciles, oracle des évêques, Cyprien est au 11° siècle ce que saint Augustin devait être dans le sien.

La paix ne fut pas de longue durée. Averti par de secrètes relations de la nouvelle tempête qui allait s'élever, saint Cyprien aurait pu fuir encore. Ses amis lui en donnaient le conseil. Personne n'ignorait dans Carthage sur quelle tête porteraient les premiers coups de l'orage. Le saint évêque s'abandonna à la Providence.

Les lettres de l'empereur commandaient la plus rigoureuse enquête contre les chrétiens. Cyprien fut arrêté. Conduit

'Pontius, Vit. sancti Cypr., pag. 5, édit. d'Oxfort. Lombert, Præf., pag. 60, 61. Gonthier, pag. 132. Tillemont, Mém. ecclés., tom. 4, pag. 120.

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devant le proconsul d'Afrique, qui se nommait Paternus': J'ai ordre, lui dit celui-ci, de faire observer la religion de l'État dans toute l'étendue de mon gouvernement. Qui êtesvous? CYPRIEN. Je suis chrétien et évêque.Je ne connais et n'adore d'autre Dieu que celui qui a créé le ciel, la terre et toute la nature. C'est ce Dieu seul véritable que les chrétiens adorent, et qu'ils ne cessent d'invoquer tant pour euxmêmes que pour le salut des empereurs et la sûreté de l'État. LE PROCONSUL. Vous persistez donc à vous refuser aux ordres que je dois faire exécuter? - CYPRIEN. Ce n'est pas lorsqu'on a eu le bonheur de connaître notre Dieu qu'il devient possible de renoncer à lui. - LE GOUVERNEUR. Il dé

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pend de moi de vous envoyer en exil.

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CYPRIEN. Je suis prêt à m'y rendre. LE PROCONSUL. Mes instructions veulent aussi que je sache de vous quels sont les prêtres chrétiens demeurant à Carthage. CYPRIEN. Vos propres lois condamnent les délateurs, et notre religion nous défend de nous dénoncer nous-mêmes. » Le proconsul prononça la sentence qui l'exilait à Curube, petite ville située sur les bords de la mer, à douze lieues de Carthage.

Sa proximité de la capitale fournissait aisément au saint évêque les moyens de correspondre avec les fidèles. On ne l'y laissa pas longtemps. Paternus fut rappelé et remplacé par Galère-Maxime. Le nouveau proconsul, exécuteur plus docile encore que le précédent des volontés du maître, s'empressa de mander à Cyprien qu'il eût à se rendre à Carthage pour y attendre ce qui serait décidé sur son sort. Maxime se proposait d'aller à Utique, et d'y faire traduire son prisonnier, pour donner au peuple de cette ville le spec

Les actes de cet interrogatoire nous ont été transmis par Pontius, diacre du saint évéque, et par d'autres contemporains. Ruynart, Act. martyr. Lombert, Préface des OEuvres de saint Cyprien, p. 30. Gonthier, Petite Biblioth, etc., tom. 1, p. 135

T. I.

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