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le Conseil d'État; sa jurisprudence a repoussé également le partage par tête établi par la loi du 10 juin 1793, et elle a adopté l'ancien partage par feux (1). C'est aussi ce qu'a fait l'article 105 du Code forestier, lequel cependant ne pose cette règle que pour le cas où il n'existe ni titre ni usage contraire.

Les titres qui peuvent être invoqués en cette matière sont des actes émanés de l'autorité compétente pour régler le mode de partage des fruits. M. Migneret, dans son Traité sur l'affouage, n° 75, pense, comme M. Curasson, qu'une convention entre les habitants et la commune sur cette matière ne pourrait être considérée comme un titre, si elle n'avait été homologuée par l'autorité supérieure. Nous n'admettons cette opinion qu'à partir du moment où les communes ont cessé d'être indépendantes. Quant aux usages, le Code forestier ne parle évidemment que de ceux relatifs au mode de partage, et non de ceux qui s'appliquaient à la qualité des partageants, laquelle est réglée aujourd'hui par la loi. Bien que le Code ne parle que de l'affouage, nous pensons qu'on doit par analogie étendre la disposition de l'article 105 au partage des autres espèces de fruits.

1542. Le mode de jouissance étant ainsi déterminé, soit par d'anciens usages, soit par des décisions de l'autorité compétente, il faut encore faire l'application des règles suivant lesquelles il doit avoir lieu. Cette application est faite par le conseil municipal, qui doit, aux termes de l'article 15 de la loi du 28 pluviôse an viii, régler le partage des affouages, pâtures, récoltes et fruits communs. Le mode de coupe et la délivrance des bois qui doit être faite en nature sont réglés par le Code forestier, 79, 81, 82, 103, 104, 105, 112.

(1) Avis du Conseil d'Etat des 20 juillet 1807 et 26 avril 1808.

TOME III.

Quelle est l'autorité compétente pour statuer sur les réclamations élevées contre la répartition faite par le conseil municipal?

que ceux

Les réclamations formées par les individus exclus de la participation aux fruits, et qui prétendent y avoir droit parce qu'ils sont Français, chefs de famille et domiciliés dans la commune; celles formées pour exclure des individus compris mal à propos au nombre des partageants, sont, comme nous l'avons déjà dit, de la compétence des tribunaux ordinaires, parce qu'elles soulèvent des questions d'état ou de domicile (1). Les réclamations qui s'attaquent à la base même de la répartition, en se fondant surdes droits de propriété exclusive, ou sur des droits aux fruits plus considérables qui ont été attribués aux réclamants, soit en vertu de titres, soit en vertu d'usages, sont aussi de la compé tence des tribunaux ordinaires (2), sauf l'interprétation des actes administratifs. (C. cass., 4 août 1834.) Les réclamations qui portent, non sur la base de la répartition, mais sur la fausse application de cette base, sont de la compétence des conseils de préfecture. (Arrêt du Conseil d'État, 25 sept. 1834.) On le décide ainsi, en vertu de l'art. 2, sect. 5 de la loi du 10 juin 1793, qui renvoyait devant le directoire du département les réclamations qui s'élevaient à l'occasion du mode de partage des biens communaux. La même règle doit s'appliquer au partage des fruits. (Même loi, sect. 3, art. 12 et 37.) Dans tous les cas, il convient d'adresser d'abord la réclamation au maire, qui consulte le conseil municipal. Ce n'est que dans le cas de refus d'y faire droit qu'on se pourvoit devant l'autorité compétente.

(1). cependant deux arrêts contraires, no 1539.

(2) L. du 10 juin 1793, sect. 5, art. 3; lois des 9 vent. an iv, 9 vent. an XII, 7, et arrêts du Conseil des 15 juin 1825, 25 sept. 1831, 11 janv. 1837, 14 juill. 1838.

1543. Le conseil municipal, avons-nous dit, peut changer le mode de jouissance des biens communaux.. Ce changement peut-il aller jusqu'au partage des biens communaux entre les différents habitants d'une commune? Pour résoudre cette question, il faut chercher quelle est la nature du droit qu'ont les habitants sur ces biens d'après la destination qui leur a été donnée dès leur origine. Les jurisconsultes et les historiens ne sont pas d'accord sur cette origine : les uns prétendent que les biens communaux ont été laissés dans l'indivision par les premiers habitants, lorsque, se réunissant en communauté, ils partagèrent le territoire sur lequel · ils s'établissaient; les auteurs féodaux, au contraire, soutiennent qu'ils provenaient de la libéralité des seigneurs. Quoi qu'il en soit, il est un point dont tout le monde convient, c'est que les biens communaux, soit qu'ils aient été laissés en commun par les premiers habitants, soit qu'ils aient été acquis à titre gratuit ou à titre onéreux, ont été consacrés à la jouissance réelle des habitants de la commune.

Rappelons-nous maintenant ce que c'est qu'une commune: nous avons dit que c'est une personne morale composée d'une collection d'individus, mais distincte cependant de tous les membres qui la composent, de telle sorte que ces membres peuvent quitter l'association sans que pour cela l'association soit détruite ; qu'ils peuvent mourir sans que la personne morale meure, parce qu'à l'exception du cas tout à fait hypothétique où tous les habitants d'une commune disparaîtraient, ceux qui s'en vont ou qui meurent sont remplacés par d'autres. Les biens affectés à la jouissance commune des membres de l'association ne sont donc attribués aux individus qui la composent à

pas

une époque donnée, mais à tous ceux qui la composent aujourd'hui, ou qui la composeront un jour. Ainsi la commune, en tant que personne morale qui ne doit pas périr, est propriétaire; les habitants, qui se succédent et se renouvellent dans le cours des siècles, sont usufruitiers.

Cette distinction étant admise, la question se résout facilement. Il est de principe que l'usufruitier d'un fonds n'a le droit d'en prendre les fruits qu'à la charge d'en conserver la substance (C. civ., 578); que par conséquent il abuserait de son droit s'il le changeait en un droit de propriété qui lui donnerait le jus utendi et abutendi. Voyons, en effet, quelles seraient les conséquences d'un partage qui attribuerait à tous les habitants d'une commune une part en toute propriété dans les biens communaux. Ces habitants pourraient ou vendre leurs biens à des individus étrangers à la commune, ou quitter la commune pour faire place à d'autres. Après une ou deux générations, il est fort probable que la grande majorité des membres de la commune ne posséderait pas une seule parcelle des biens qui étaient cependant destinés à leur usage. Et quand on considère que les communaux profitent surtout aux pauvres, auxquels ils donnent la facilité de nourrir à peu de frais des bestiaux qui fertilisent leurs champs, et répandent un peu d'aisance dans leurs chaumières; que, sans les droits d'usage dans les forêts, ils seraient privés pendant l'hiver des moyens de cuire leurs aliments et de se défendre des rigueurs du froid; que le partage aurait pour résultat certain de faire passer ces biens dans les mains des riches, sans autre bénéfice pour les autres qu'un secours momentané qui serait souvent dissipé dans la débauche, on ne peut

trop s'élever contre un système qui parait aussi contraire aux règles du droit qu'aux sentiments de l'humanité.

Concluons donc que les habitants n'ont droit qu'à la jouissance des biens communaux ; que ces biens sont frappés d'une véritable substitution au profit des habitants à venir; que les partager entre eux, c'est violer le titre au nom duquel ils jouissent, c'est commettre une véritable usurpation, et déshériter l'avenir au profit du présent.

On dit, pour soutenir la thèse contraire, que l'existence de vastes terres incultes, consacrées seulement au pâturage, est nuisible à l'agriculture; que ces terres, si elles étaient défrichées, scraient beaucoup plus productives; que leur inalienabilité nuit au trésor, qui percevrait à leur occasion des droits d'enregistrement, si elles étaient livrées au commerce; qu'ainsi il y aurait avantage pour les particuliers et pour l'Etat à ce qu'elles fussent l'objet d'une propriété privée. Enfin, on s'appuie sur les lois du 14 août 1792 et du 10 juin 1793, qui ont ordonné le partage des biens communaux.

Ces raisons ne nous paraissent point déterminantes : quant aux deux premières, puisées dans des considérations d'économie politique, nous répondrons que l'existence des pâturages, sans lesquels on ne peut avoir ni bestiaux ni engrais, est en agriculture une chose essentielle; qu'en supposant que les pâturages communaux excèdent les besoins de la commune, rien n'empêche de les mettre en culture et d'en distribuer les produits aux habitants, déduction faite des dépenses, ou de les transformer en biens patrimoniaux, et de les louer au profit de la commune, ou même de les vendre aux enchères, et d'en placer le prix au profit de la caisse municipale. Sur la raison fiscale, nous

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