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elle l'a particulièrement appliqué à l'ancien système féodal, et il faut convenir qu'une exception à l'égard de l'Alsace formerait une bigarrure qui aurait des inconvénients tant pour l'administration que pour l'intérêt particulier des possesseurs. Cependant cet intérêt a été pris en considération, et il a dicté à l'Assemblée le décret dont la copie est ci-jointe. Ce décret établit 1° qu'il est dû une indemnité aux princes pour les droits abolis sans indemnité dans le reste du royaume; 2° que l'Assemblée nationale, si cela devient nécessaire, est disposée à acquérir la totalité des droits et même des possessions que les princes ont en Alsace, C'est d'après ces deux bases que le roi va entamer des négociations avec eux.

Il ne faut point se le dissimuler, les parties intéressées adopteront avec une grande répugnance les deux bases qui viennent d'être indiquées, et elles chercheront conseil et appui à Berlin. D'après cela, il nous importerait infiniment d'être en mesure d'influer sur le langage et sur la conduite du roi de Prusse; mais il y a entre ce prince et nous une si grande distance que l'on ne saurait entrevoir les moyens de l'aborder. Ce sera au ministre du roi à juger, lorsqu'il aura reconnu les dispositions de la cour de Berlin, si les obstacles que nous voyons peuvent être franchis ou non dans ce dernier cas, il faudra bien se résoudre à abandonner les événements à leur cours naturel; mais dans le premier cas, le sieur de Moustier s'attachera à faire adopter nos principes au ministère prussien, ou au moins à l'engager à ne point soutenir les princes dans la résolution où ils pourraient être de les rejeter.

Mais le sieur de Moustier sentira de lui-même avec quelle circonspection il conviendra de remplir la tâche qui lui est confiée; il sentira qu'il aura à ménager la dignité du roi et de la nation, et qu'il devra éviter soigneusement tout ce qui pourrait autoriser le ministère de Berlin à croire que nous craignons la puissance de la Prusse, et que nous recourrons à son appui comme à un port de salut ce sera à la dextérité et à la sagesse du ministre du roi à éviter ces différents écueils. Au reste, s'il parvient à entrer en discussion avec les ministres prussiens sur l'objet dont il est question, il aura l'attention la plus scrupuleuse de ne pas

s'écarter du texte et de l'esprit du décret de l'Assemblée nationale; et dans le cas où on lui suggérerait quelque idée de conciliation il se contentera de la prendre ad referendum.

Pour ne rien laisser ignorer au ministre du roi de ce qui peut contribuer à son instruction sur l'objet dont il est question, on croit nécessaire de joindre à ce mémoire copie des instructions fournies au sieur de Ternant, ainsi que du rapport fait par cet officier le roi, par une attention particulière, l'avait envoyé auprès des princes possessionnés en Alsace, pour les engager à adopter le principe d'indemnité qu'il s'agit aujourd'hui de mettre à exécution. Tous ces princes ont pris des prétextes pour éluder la question, ils n'ont ni accepté ni refusé; et telle est notre position actuelle à leur égard: c'est cette position qu'il s'agit de changer, en conformité du décret de l'Assemblée nationale.

Il est à présumer que les ministres prussiens éviteront d'entretenir le sieur de Moustier sur les affaires générales de l'Europe, parce que, d'un côté, ils affectent de croire que nos embarras intérieurs nous les rendent forcément étrangères; de l'autre, parce que leur amour-propre leur persuade que le sentiment de la France ne doit rien être pour eux, parce qu'il est, dans leur opinion, sans efficacité à ce double motif se joindra peut-être un peu de honte de leur conduite passée, et la crainte d'avoir l'air de revenir sur leurs pas. Quoi qu'il en soit, le ministre du roi, sans les provoquer directement, cherchera, sans affectation, à les mettre sur la voie, et il s'expliquera avec eux selon la mesure qu'ils jugeront à propos de prendre. S'il trouve l'occasion d'exprimer une opinion sans inconvénient et sans s'exposer à se voir repoussé, il établira, comme principe fondamental de notre politique, que nous désirons le rétablissement et le maintien de la paix générale comme de la paix particulière de toutes les nations de l'Europe; que, par une conséquence de ce principe, nous avons vu avec satisfaction et la pacification du Nord et les bases de celle du Levant établies à Reichenbach, et que nous souhaitons que la cour de Pétersbourg imite l'exemple de Léopold II. Si, contre toute attente, on fait mention des affaires de Hollande, le sieur de Moustier observera que le roi pense qu'elles doivent être ensevelies dans l'oubli, et que la seule chose qui

importe à S. M. est que l'on soit bien convaincu à Berlin que jamais elle n'a eu d'intentions nuisibles au Stadhouder; et que jamais sa politique ne lui fera adopter les idées de rancune et de vengeance qu'elle sait qu'on lui suppose, et que S. M. regarde comme indignes d'elle.

La vigilance journalière du sieur de Moustier se portera essentiellement sur les points suivants : 1o sur le système de la cour de Berlin à l'égard des affaires de Liége et de celles des Pays-Bas ; 2o sur les variations que pourra éprouver l'intimité qui règne actuellement entre cette cour et celle de Londres; 3° sur les dispositions actuelles du cabinet prussien à l'égard de la Pologne; 4° sur l'intention plus ou moins prononcée du roi de Prusse d'imposer sa politique à l'impératrice de Russie, si cette princesse ne fait pas sa paix avec les Turcs dans le cours de cet hiver; 5° sur les dispositions secrètes de Frédéric Guillaume à l'égard de la cour de Vienne; 6° sur l'état actuel des finances prussiennes et sur leur administration; enfin, 7° (et c'est le point le plus important) sur les sentiments secrets de la cour de Berlin à l'égard de la France et sur les moyens d'influer sur ces dispositions.

Le sieur de Moustier n'entretiendra aucune correspondance politique avec les ambassadeurs et ministres du roi dans les autres cours ces correspondances ont généralement beaucoup d'inconvénients, nommément celui de compromettre le secret des affaires; c'est par cette raison qu'on ne lui remet pas un chiffre général. Quant à celui de la correspondance ordinaire, il le trouvera à Berlin, ainsi que l'instruction sur la manière de s'en servir.

Le sieur de Moustier fera sa cour au prince Henri de Prusse, mais il mettra de la réserve dans son langage vis-à-vis de ce prince, selon qu'il le jugera bien ou mal avec le roi son neveu. Le prince Henri est très-affectionné à la France, et il mérite certainement de la confiance de notre part; mais il ne nous convient de donner de l'ombrage ni au roi ni à son ministère, parce qu'il en résulterait nécessairement de la réserve et de la gêne, peut-être même de la mauvaise volonté envers le sieur de Moustier, ce qui entraverait le succès de sa mission. Sa sagesse et la connaissance qu'il a des hommes et des affaires dirigeront sa conduite.

Le roi de Prusse est pressé entre deux partis très-opposés, et dont l'influence est très-alternante: l'un est le parti ministériel, et l'autre celui des favoris, à la tête desquels est le sieur Bischoffswerder, gentilhomme saxon. On prétend que ce dernier parti fonde son ascendant sur les prétendus mystères de la secte dite des illuminés. Le sieur de Moustier cherchera à démêler la situation actuelle des deux partis, et surtout le plus ou moins de goût que S. M. Prussienne peut encore avoir pour la mysticité. On a cru un instant le comte de Hertzberg en défaveur à cause des embarras qui ont résulté de sa politique tracassière; mais il semble que l'orage s'est calmé : il serait important de savoir s'il est entièrement dissipé, et si M. de Hertzberg se maintiendra au timon des affaires. Il serait sans doute à désirer que ce ministre payât par sa disgrace tout le tourment qu'il a causé à l'Europe depuis qu'il dirige le cabinet prussien.

Le sieur de Moustier fera, à la fin de chaque année, le résumé de sa correspondance et de ses observations, et l'adressera au ministre des affaires étrangères, avec lequel seul il correspondra sur tous les objets relatifs à sa mission. Lorsqu'elle sera terminée, il lui remettra un mémoire général. Quant à sa correspondance, il la laissera à son successeur.

Berlin est la ville d'Europe où il se présente le plus de Français les uns s'y rendent par curiosité, les autres pour leur instruction. Le sieur de Moustier ne présentera à la cour que ceux qui seront munis de lettres de recommandation de la part du ministre secrétaire d'État des affaires étrangères, et ayant les qualités requises selon les règles suivies à la cour de Berlin pour jouir de cet avantage. Quant aux autres Français qui lui prouveront qu'ils sont des citoyens honnêtes, il leur accordera la protection la plus efficace dans tous les cas où ils en auront besoin; aux gens sans aveu et qui ne pourront justifier de leur qualité de citoyens français il ne devra ni protection ni appui.

CHAPITRE IV.

CORRESPONDANCE DIPLOMATIQUE.

Mémoires et Mémorandum. Notes et Lettres diplomatiques. Dépêches ou Rapports. Lettres officielles adressées à des souverains. - Offices diplomatiques divers.

Observations générales.

La correspondance diplomatique embrasse les communications officielles de toute nature que les cabinets échangent entre eux par l'intermédiaire de leurs agents au dehors, ou que ces agents entretiennent eux-mêmes soit avec leurs collègues dans les différentes cours, soit, avec le gouvernement dont ils sont l'organe. Tout ce qui intéresse le service de l'État dans sa politique étrangère et ses relations internationales, tous les renseignements utiles aux intérêts moraux ou matériels du pays qu'ils représentent, est ou doit être l'objet incessant de leur sollicitude, et donner lieu de leur part à des communications exactes et fréquentes.

Les pièces diplomatiques, qui sont l'expression écrite de ces communications, et dont la forme diffère selon leur importance et leur nature, demeurent ou confidentielles et secrètes toutes les fois que le secret est possible et que leur divulgation pourrait nuire au bien des affaires, ou sont destinées à une publicité

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