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Lettres politiques des souverains.

Dans les pays où la constitution organique de l'État consacre l'irresponsabilité (plus fictive que réelle) du prince, une juste réserve impose au souverain l'obligation de laisser aux ministres responsables la direction ostensible des affaires.

Là, au contraire, où aucun contre-poids légal ne balance la liberté d'action du chef de l'État, on ne doit pas attendre de celui qui se sent ou qui se croit capable qu'il s'efface, à l'intérieur, derrière son cabinet, et s'abstienne, au dehors, de guider lui-même ses agents ou de s'entendre directement avec ses égaux.

Depuis que ce siècle réformateur semble inaugurer l'ère des gouvernements représentatifs, la sphère d'action des souverains a dû se rétrécir, et leur correspondance descendre des affaires de l'État aux communications privées que les liens ou les relations de famille leur imposent. Autant les lettres politiques de Henri IV et de Louis XIV, de Catherine II et de Marie-Thérèse, de Frédéric le Grand et de Napoléon sont nombreuses et dignes d'attention, autant celles des souverains constitutionnels de notre époque sont rares et offrent, en général, peu d'intérêt.

Ces lettres sont, à raison de leur source, étrangères de fait aux études diplomatiques; en reproduisant ici quelques-unes des premières, nous ne les donnons que pour satisfaire, au besoin, la curiosité du lecteur.

LETTRES DE SOUVERAINS A SOUVERAINS SUR DIVERS OBJETS POLITIQUES.

Louis XIV à la reine Christine de Suède. (1662).

Madame ma sœur, je n'ai pas de peine à croire que le traitement inouï que mon ambassadeur a subi à Rome, où le droit des gens a été violé avec tant d'excès et de fureur, n'ait touché V. M. au point qu'elle me témoigne par la lettre qu'elle m'a écrite; mais je lui avoue franchement que je suis surpris de voir la restriction qu'elle ajoute aux offres qu'elle me fait, comme si j'étais capable de pouvoir jamais penser à rien entreprendre contre le Saint-Siége. Je la prie d'être persuadée que je serai toujours le premier à embrasser sa défense, sans épargner, pour cet effet, ni ma couronne ni ma vie, et que je saurai fort bien séparer ses intérêts d'avec les auteurs de l'outrage que j'ai souffert dans cette rencontre. Après cette juste réflexion, je reviens aux marques d'amitié que V. M. me donne si obligeamment par la même lettre; et je lui en rends mille grâces d'aussi bon cœur que je suis, madame ma sœur,

votre bon frère,

Lours.

Écrit à Saint-Germain-en-Laye le 30 août 1662.

Louis XIV au roi de la Grande-Bretagne. (1663.)

Monsieur mon frère, ayant appris par la voix publique les propositions que le parlement d'Angleterre vous fait d'exercer de nouvelles sévérités contre vos sujets catholiques, mon devoir et ma conscience me feraient, en cette rencontre, des reproches secrets si je ne vous témoignais que j'en ai été vivement touché. Vous savez avec quelle douceur et quelle modération les princes catholiques traitent dans tous leurs États leurs sujets qui professent

une autre croyance (1), et, comme vous aimez la justice et que j'ai d'ailleurs une entière confiance en votre amitié, je suis persuadé que vous voudrez bien avoir quelque égard à la recommandation que je vous fais de l'intérêt des catholiques de votre royaume, qui ont en tout temps signalé leur zèle et leur fidélité pour le service du feu roi et pour le vôtre : ce sont des sentiments qui leur sont si naturels, qu'ils me semblent bien dignes de votre protection particulière dans l'orage qui les menace. Je vous la demande pour eux avec toute l'ardeur que méritent leur innocence et leur bonne cause. Je suis très-sincèrement, mon frère,

Paris, 14 avril 1663.

votre bon frère,

LOUIS.

Louis XIV à l'empereur d'Allemagne Léopold Ier. (1672.)

Monsieur mon frère et très-aimé cousin, bien que l'amitié si étroite qui est entre nous et la juste confiance que je dois mettre dans les liaisons réciproques par lesquelles nous avons pris soin de l'affermir, me dussent faire ajouter peu de foi aux bruits qui mêlent V. M. dans les mesures que l'on suppose se concerter dans l'empire contre mes intérêts ou contre ceux de mes alliés, j'ai cru qu'il était de mon affection pour vous, et de la sincérité exacte que je garde dans toutes mes actions et mes paroles, de faire connaître particulièrement mes sentiments à V. M. dans la conjoncture présente : c'est ce dont je charge le chevalier de Germonville. Je ne doute point que lorsqu'il aura fait connaître à V. M. combien je continue à observer religieusement le traité d'Aix-la-Chapelle et ceux de Westphalie, et que mon intention est toujours de maintenir le repos de l'empire, même d'en assurer les avantages dans la guerre que j'ai été obligé d'entreprendre sur ses frontières; surtout lorsqu'il lui fera voir ma fidélité inviolable

(') Le même prince, vingt-deux ans plus tard, devait révoquer l'édit de Nantes, souffrir les dragonnades, et pousser dans l'exil deux millions de ses sujets protestants!

par tous les concerts qu'il aura établis en mon nom avec V. M., il ne dissipe aisément cette impression contraire que l'on se serait efforcé de lui donner, et que V. M. ne reconnaisse que ceux qui voudront altérer la bonne intelligence qui est entre nous se peuvent dire non-seulement nos ennemis, mais encore ceux du repos public. Me remettant au surplus à ce qui lui sera dit plus amplement sur ce sujet par ledit chevalier de Germonville, il ne me reste qu'à joindre aux assurances de mon amitié, toujours constante pour la personne de V. M., et de mon affection pour ses intérêts, tous mes souhaits pour l'accomplissement de ses justes désirs; étant très-sincèrement, monsieur mon frère et bien-aimé cousin, votre affectionné frère et cousin,

A Saint-Germain, le 28 nov. 1672.

Louis.

L'empereur Joseph II au roi de Prusse. (1778.)

Monsieur mon frère, si j'ai différé jusqu'à ce moment de remplir la promesse que nous nous sommes faite, tant à Neiss qu'à Neustadt, de nous écrire directement, c'est que, préparé à tous les événements, je voulais attendre d'être moi-même éloigné de la capitale, et par conséquent de toute intrigue politique, pour communiquer à V. M. mes idées, que je crois plus favorables à nos vrais intérêts que toute brouillerie que nous pourrions avoir ensemble. Je les ai rédigées dans le projet de convention ci-joint, que j'ai l'honneur de lui envoyer. Je n'y ajoute aucune réflexion, bien certain qu'il ne lui échappera aucune de celles que ce grave sujet peut faire naître. En même temps je fais donner à Cobenzel les pleins-pouvoirs nécessaires pour que, si V. M. adopte ce projet, il puisse être immédiatement signé; si au contraire elle désirait quelque changement ou explication sur des accessoires, je la prie de me les faire directement connaître. Elle peut compter d'avance que je ne m'y refuserai pas, si je le puis; par contre, tout sera dit si le projet ne lui convient en aucune façon.

Je serais vraiment charmé de raffermir par là de plus en plus

une bonne intelligence qui seule doit et peut faire le bonheur de nos peuples; amitié qui se fonde chez moi sur la haute estime que le génie de V. M. m'a inspiré, qu'une connaissance personnelle a accrue, et que je souhaite vivement de perpétuer par les témoignages réitérés de l'attachement sincère avec lequel je serai toujours, monsieur mon frère et cousin, votre très-affectionné frère et cousin,

Olmütz, le 13 avril 1778.

JOSEPH.

Frédéric II, roi de Prusse, à l'empereur Joseph II. (1778.)

Monsieur mon frère, rien ne peut être plus glorieux pour V. M. I. que la résolution qu'elle daigne prendre d'essayer de conjurer l'orage qui se prépare et qui menace tant de peuples innocents. Les succès, Sire, que les plus illustres capitaines ont sur leurs ennemis se partagent entre bien des hommes qui y concourent par leur valeur; mais les bienfaits des souverains envers l'humanité leur sont uniquement attribués, parce qu'ils tiennent à la bonté de leur caractère comme à l'élévation de leur génie. Il n'est aucune espèce de réputation à laquelle V. M. I. n'ait droit de prétendre, qu'il s'agisse d'actions héroïques ou d'actes de modération; je la crois également capable des uns et des autres. V. M. I. peut être persuadée que j'agirai franchement et je me prêterai de bonne foi à tous les moyens de conciliation que l'on pourra proposer, d'une part, pour prévenir l'effusion du sang innocent, et, de l'autre, pour rendre témoignage des sentiments d'admiration que j'ai pour votre personne. Que V. M. I. soit persuadée que si je me suis hasardé à lui faire part de mes sentiments pour elle, c'est qu'ils sont l'expression pure et simple de la vérité. En attendant ce qu'il plaira à V. M. I. de régler pour l'importante négociation dont il s'agit, je la prie de me croire avec tous les sentiments de la plus parfaite estime et de la plus haute considération, monsieur mon frère, de V. M. I.

Schoenwalde, le 20 avril 1778.

le bon frère et cousin,

FRÉDÉRIC.

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