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GERONTE.

Mais apprenez, ma fille,

Qu'on n'a jamais fauté dans ma famille.

ISABELLE.

On peut élégamment & décemment fauter. D'ailleurs,Monfieur,à ne point vous flatter, On n'aime plus la danse unie.

Elle

La danfe haute eft la danfe du jour.
gagne à la Ville, elle prend à la Cour.
GERONTE.

Elle gagne, elle prend; danse du jour ; j'enrage.
Tout devient neuf pour moi, jufqu'au langage.
De tant de changemens je demeure furpris.
Je ne connois plus rien à la langue, à l'ufage
Aux mœurs, au goût, au ton de mon pays.
J'y redeviens écolier à mon âge,

Et je ferai bien-tôt étranger dans Paris.

ISABELLE.

A mon tour, je fuis étonnée.

Mon

pere, vous aimez l'efprit ;

Votre ame cependant femble être consternée, Quand notre langue s'enrichit.

GERONTE.

Cette richese l'appauvrit.

Le jargon ufurpe sa place.

Je vois, pour comble de disgrace;

Je vois mon fang, que l'exemple féduit,
Suivre du mauvais goût la dangereufe trace.
Non, non, il ne fera pas dit

Que chacune de vous, dans le bel art qu'elle aime,
Se laiffant entraîner aux torrens des abus,
Donne dans les appas que la nouveauté séme,
Ni que vos dons naissans foient ternis ou perdus.
De quelque injufte nom qu'un fot orgueil les

nomme,

J'eftime & chéris les talens ;

Et quoique je fois gentilhomme,

J'aime à les voir briller dans mes enfans ; Mais dans leur pureté je veux qu'ils les confervent; Tels qu'ils étoient du temps de nos ayeux. Les talens mal conduits nuifent plusqu'ils ne fervent; C'est pourquoi j'ai tourné les yeux

Vers trois époux, dignes fur tous les autres Par leurs clartés pour diriger les vôtres Et d'entretenir fains toujours dans ma maison, L'Efprit, la Danfe & la Mufique,

Mon

pere,

Au fort de la contagion,

Qui s'étend malgré la critique.

ISABELLE

de fes droits mon efprit eft jaloux,

Et de briller, fans aide, a la délicateffe.

LUCINDE.

Oh! des frais d'un mari, pour moi, difpenfez-vous.

L'hymen gâte la voix, & tout maître me blesse.

GERONTE.

Mes filles, les talens ont des charmes plus doux, Quand ils font cultivés par la main d'un époux. MELANIE.

Ces Meffieurs, la plûpart ont tant de maladreffe!
GERONTE.

Quand vous les connoîtrez vous changerez de ton.
J'ai pris foin à vos goûts d'affortir leur perfonne.
J'ai dans ces divers choix confulté la raifon,
Et chacune aimera l'époux que je lui donne.
Ifabelle, pour vous j'ai fait choix d'un trésor,
D'un Auteur d'un mérite rare,

Qui femble fait exprès pour modérer l'effor
De votre efprit trop jeune, & que la mode égare.
Du langage moderne il eft ennemi né;
Et par cette raifon je vous l'ai destiné.

Son goût vous guérira, quand vous ferez sa femme,
De la fureur de l'épigramme;

Profcrira le jargon maudit,

Et vous montrera l'art d'écrire fans efprit.

ISABELLE.

Pour apprendre cet art il ne faut point de maître, Malgré foi l'on y réussit ;

Sans compter que Paris tous les ans nous fournit Des modèles nouveaux qui ne pensent pas l'être.

J'ai

GERONTE, à Lucinde.
pour vous un mari dont vous me faurez gré.
C'est un homme de poids, amateur éclairé
De la mufique de nos peres.

Il vous ramenera par fes confeils finceres
Au fein de la nature & du goût épuré.

LUCINDE.

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Un partisan de la vieille musique,
Monfieur, n'aura jamais ma foi.

Son goût avec le mien eft trop antipathique.
GERONTE.

Tu t'en trouveras bien; va, Lucinde, crois-moi. ( A Melanie.)

Je vous deftine, à vous, un militaire,
Et qui pofféde vos talens.

C'est l'homme, fans que j'exagere
Qui dansoit le mieux de mon temps.

MELANIE.

Ah! C'est une raison, mon pere,
Pour qu'il danfe mal aujourd'hui.

GERONT E.

Il étoit du Ballet du Roi, chofe affurée ;
En fix cent quatre-vingt, il danfoit une Entrée.
Perfonne, il m'en fouvient, n'y brilla plus que lui.
Il feroit encor très-ingambe,

S'il n'avoit pas perdu par malheur une jambe
A la prife de Lérida.

MELANIE.

Je ferois bien pourvûe avec ce mari-là,
Moi, qui faute toujours ! C'est une raillerie.
GERONTE.

C'est pour calmer l'excès de cette frénéfie.
Comme à fond, de la danse, il fait la théorie,
Il vous fera danfer comme Balon, Pécour.

MELANIE.

La danfe de la vieille cour!

Peut-on favoir fon nom?

GERONTE.

Ma fille, c'eft Nicandre.

MELANIE.

Mon pere, il eft bien laid.

GERONTE.

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