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Ce que j'aime encor plus, c'eft qu'il ne danfe pas
En danfeur par état, efclave de fes pas,
Mais en jeune Seigneur qui badine fa danse.
Ah ! comme il coule un pas de menuet!
Perfonne ne l'égale en France,

Et d'un zéphir c'est le portrait.
Dans un tambourin, c'est l'image
D'un vent fubit & furieux,

Qui brise, qui détruit, bouleverse, ravage;
Et c'est ainsi qu'au bal il a frappé mes yeux.
Nous en fîmes tous deux l'ornement & la gloire.
Nous parlâmes longtems, & je lui plus beaucoup.
Du moins il me le dit, & j'ai lieu de le croire.

Je l'avouerai; pour moi, du premier coup Je... mais aidez-moi donc..

ISABELLE.

J'entends, vous l'eftimâtes ?
MELANIÈ.

Oui; mais ce n'eft pas
LUCINDE.

là le mot.

Moi, j'y fuis; vous le distinguâtes?

MELANIE.

Quelque chofe de plus.

ISABELLE.

Comment donc ! vous l'aimates?

MELANIE.

Quelque chofe de moins.Mon cœur n'eft pas fi fot.

LUCINDE.

Attendez vous le préférâces ?

MELANIE.

Non, ce n'eft

pas cela.

ISABELLE.

Quoi donc vous le goutâtes ?
MELANIE.

Oui, justement; voilà le mot que je cherchois.
Il rend mon fentiment comme je le voulois.
Ce fentiment n'eft point cette aveugle manie
Ce fol amour qui tient nos fens afsujettis.
C'eft fimplement le pur goût qui nous lie;
C'eft une douce fympathie,

Qui naît des talens affortis,

Et, fans troubler nos cœurs, fçait unir nos efprits.
Exempte de langueur comme de jalousie
Elle ne fait que des heureux;

Elle regne fans tyrannie.

On n'eft point brûlé de ses feux;

Et l'émulation, dont fa flamme eft nourrie,
Eft le feul aiguillon qu'elle nous fait sentir';
L'amusement la fixe & borne fon defir.

A ceux qu'elle unit, il n'en coûte
Ni liberté, ni larme, ni soupir.

Elle fçait nous guider toujours vers le plaifir,
Sans nous égarer dans la route

Qui mene droit au repentir.

Quand on la fuit, quand on l'écoute,
On fe contente de jouir

D'un talent qu'on n'a pas reçu pour

Et notre ame fe livre toute

l'enfouir,

Au foin de l'exercer, de s'en entretenir.

On s'aninie, on se forme, on s'amuse, on se goûte. Ce mot exprime tout, & je veux m'y tenir.

ISABELLE.

Il est bon; vous avez bien fait de le faifir.

MELANIE.

Vous-même, en me parlant,n'oubliez pas ce terme. Il dit ce que je fens, & mon cœur s'y renferme. Faites-y bien réflexion. ISABELLE.

Oui,mais votre Danfeur vous paroît bien aimable.
MELANIE.

Chacun le trouve tel, c'eft fans prévention.
Votre Poëte, à vous, vous semble préférable.
ISABELLE.

Mais je lui rends juftice, & c'eft fans paffion.
Du vôtre, avec plaifir, vous voyez la présence,
Et fa jambe brillante a pour vous des appas.
MELANIE.

Je ne meurs pas de fon abfence.

Il eft vrai qu'avec lui, plus volontiers je danfe;

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Mais il n'a point fixé ni mon cœur ni mes pas.
Ainfi tout bien pefé, tout mis dans la balance,
Je le goûte, ma four; mais je ne l'aime pas.
ISABELLE.

Je n'aime pas non plus, quoiqu'on veuille me plaire;
J'eftime, je fais cas.

LUCINDE.

Et moi, je confidere.

Le mot d'aimer dit plus que nous ne reffentons.
MELANIE.

Oui, chacun a trouvé fon terme convenable.

ISABELLE.

Oh! les mots font vraiment d'un fecours admi...rable!

Par leur moyen, aux choses nous prêtons
Les couleurs que nous fouhaitons.
[A Mélanie.]

Mais fur un point daignez m'inftruire.
Celui que vous goûtez, a-t-il pris par hafard
La liberté de vous écrire ?
MELANIE.

Oui, j'ai reçu tantôt un billet de fa part.
Ce qué vous estimez, en a-t-il fait de même?

Oui, ce matin.

ISABELLE.

MELANIE.

Du ton que vous le defirez?

ISABELLE.

Le billet étoit court & tel que je les aime.
MELANIE, à Lucinde.

Celui que vous confiderez

Vous a-t-il honoré d'un femblable meffage ?

LUCINDE.

Oui.

MELANIE.

Vous êtes contente?

LUCINDE.

On ne peut davantage.

Et je compte le voir dans cet après-midi.

MELANIE.

Je compte

voir le mien auffi.

ISABELLE.

Et moi, je fuis plus avancée,

Car j'ai vû le mien ce matin.
MELANIE.

Bien loin de l'envier, je plains votre destin,
Et vous perdez beaucoup à m'avoir devancée.
La preuve en eft claire, ma fœur :

D'un bien qu'on a goûté la volupté passée,
D'un bonheur qu'on attend, ne vaut pas la douceur.
ISABELLE.

Il m'en reste toujours un fouvenir flatteur.
D'ailleurs fi j'ai perdu ce bonheur qui s'envole,
En le renouyellant, j'en puis, encor jouir;

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