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Eronime eft à moi, c'en eft fait... Ah! mon cœur
N'a qu'un feul fentiment, ne connait qu'un bonheur.
Je le cherchai longtemps, mon ame en fut avide.
Des titres, des honneurs j'ai fenti tout le vuide.
J'ai vécu tristement & feul & fans appui :

L'homme, il n'eft que trop vrai, n'est point heureux par lui.

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Dans nos ennuis cruels, dans nos douleurs extrêmes.
Hélas! à chaque inftant accablés de nous-mêmes,
Las, détrompés de tout, & défirant toujours,
Pouvons-nous porter seuls le fardeau de nos jours ?
Il nous faut un objet où notre ame affervie
Retrouve à tout moment le charme de fa vie,
Un attrait plus aimable & des liens plus doux,
Que nous puiffions placer entre le fort & nous;
Qui dans cette union & fi pure & fi chere,
Nous faffe de l'aimer un bonheur néceffaire.
Voilà mes fentimens, & voilà mon espoir.
Mais quand j'ai recherché le fouverain pouvoir
Qui devait à mes vœux affurer Éronime,
Je ne fuis point entré dans les chemins du crime.
Chéri de mes égaux, devenus mes Sujets,
Je regnerai fur eux par le droit des bienfaits.
TIMÉE.

Qui peut donc vous troubler? Et quels fecrets orages
Sur des jours fi brillans répandent des nuages?
Quoi! de Sparte aujourd'hui craignez-vous les pro-
jets?

On dit

que dans nos murs fes envoyés fecrets De nos Républicains ont excité l'audace.

TIMOPHANE.

Je hais Lacédémone, & brave fa menace.

Je m'afflige, il eft vrai, de voir des citoyens
Refufer leur fuffrage à ce rang que j'obtiens.
Je voudrais écarter la difcorde & la guerre.
Mais je ne puis penfer fans frémir de colere
Que l'altier habitant des bords de l'Eurotas
Ofe juger la Grèce, & regler nos États.
Je fuis prêt à voler aux combats qu'il prépare.
Du fang des citoyens je fus toujours avare ;
Je voudrais voir le fien épuisé par mes coups.;
Et l'orgueil Spartiate irrite mon courroux.
Mais ce qui dans mon cœur porte le plus d'allarmes,
C'èft ma mere, je crains fes douleurs & fes larmes.
Elle a trop pénétré mes fentimens secrets,

Et condamne mes feux autant que mes projets.
Ses difcours m'ont tantôt reproché ma faibleffe:
L'Amour, fi je l'en crois, me dégrade & m'abaisse.
Je dois facrifier mon bonheur & mes vœux,
Quoi! l'on veut me forcer à rougir d'être heureux!
Je le fuis, je la vois.

SCENE

V.

TIMOPHANE, ÉRONIME, TIMÉE.

ERONIM E.

Ан

H! conçois-tu ma crainte? Léofthene eft, dit-on, dans les murs de Corinthe. Timoléon bien-tôt doit le fuivre en ces lieux. Ton regne & notre amour lui feront odieux.

Et tå mere avec lui.....

TIMOPHANE.

Leur espérance eft vaine.
Ils tenteraient en vain de brifer notre chaîne.
O ma chere Éronime! il eft venu ce jour,
Ce jour tant défiré qu'attendait notre amour.
Tu regnes fur Corinthe, ainfi que fur moi-même.
C'eft moi qui fur ton front place le diadême
Et dans le même inftant au pied de nos Autels,
Nous ferons enchaînés par des nœuds éternels.
Éronime, demain le peuple me couronne.
Ah! ce titre brillant, ce fceptre qu'il me donne,
Si tu n'y joins ta main, que ferait-il pour moi?
J'en étais peu jaloux : je l'ai voulu pour toi.
ERONIME,

Tu connais Éronime, & tu fais fi mon ame
Eft digne de la tienne, & brûle de ta flamme.
Ce rang
où mes regard te verront élevé
'Aux vertus d'un héros fans doute eft réservé.
Par fon propre penchant Éronime entraînée,
Eût oublié pour toi le fang dont elle est née ;
Et partageant tes feux fans te demander rien
N'eût voulu que ton cœur qu'elle eût payé du fien.
Mais tu connais affez l'orgueil du diadême.
Il fallait obéir à cet ordre fuprême,

A la loi que mon pere impofa malgré moi.
Enfin, de mon amant l'Amour a fait un Roi.
Je puis m'en applaudir : on m'a dit que ta mere
Répondant à tes foins par un accueil févere,
S'eft tantôt dérobée à tes embrassemens ;
Qu'elle blâme en fecret nos nœuds, nos fentimens.

H

Mais du titre où j'afpire elle eft en vain jaloufej
Je veux, quand je ferai fa fille & ton épouse,
Par mes foins, mes refpects, je veux la défarmer;
A force de vertus je veux m'en faire aimer,
Et détruifant enfin une erreur qui me blesse
La voir entre nous deux partager fa tendreffe.
TIMOPHANE.

Oui, tu dois l'efperer, tu la verras un jour
Te connaitre, t'aimer, & bénir notre amour.
Oui, tu n'en peux douter; oui, ma mere eft fenfible;
Et quelle ame avec toi peut refter infléxible !
Ceffe de rappeller en des momens fi doux
Les obftacles qu'en vain l'on éleve entre nous.
Laiffe-moi m'occuper de toi, de ma tendrefle,
Du bonheur de te voir, de t'adorer fans ceffe,
De l'inftant qui s'approche & va t'unir à moi,
Et du plaifir fi pur d'avoir tout fait pour toi.
'Ah! fi ces cœurs cruels dont la rudeffe auftere
Infulte à ce penchant fi tendre & fi fincere,
Connaiffaient ces vertus qui fixerent mon choix';
S'ils lifaient dans ton cœur, s'ils entendaient ta voix,
Je les verrais honteux de leur erreur extrême,
S'étonner comme moi de ton pouvoir fuprême,
Demeurer devant toi, confus, humiliés,
Et me juftifier en tombant à tes pieds.
ÉRONIM E.

Ah! garde-toi du moins de leur haine obstinée
Qui s'irrite & frémit de fe voir enchaînée,
Qui croît dans le filence & prépare les traits;
Hélas! il eft des cours qu'on n'adoucit jamais.
Crains leurs complots obfcurs & leur fourde menace.
Le retour de ton frere enhardit leur audace.

Les

Les Dieux mêmes, les Dieux confirmant mes frayeurs,
Semblent à notre amour annoncer des malheurs.
De préfages affreux mon ame eft confternée.
Je les rappelle encore: aux Autels d'❜llyménée
Je croyais cette nuit m'avancer fur tes pas.
La foudre a retenti : fes horribles éclats
Ont ébranlé le Temple, ont fait trembler la terre ;
Les crêpes de la nuit ont voilé la lumiere.
A travers mille cris confus & menaçans,
J'ai diftingué ta voix & tes gémiffemens.
Le jour a reparu... Dieux ! mon ame glacée
Voit encor cette image à mes fens retracée.
J'ai vû fur les débris de l'Autel difperfé,
De cent coups de poignard j'ai vu ton corps percé.
Ton frere à tes côtés, dans une horreur tranquille,
Le glaive dans la main, paraissait immobile;
Et moi, l'œil égaré, dans mon saisissement,
Je demeurais fans voix, fans aucun fentiment.
Je pleurais; une main invifible & preffante
Dans tes bras tout fanglans me renverfe expirante;
Et dans le même temps me reprochant ton fort,
Ta mere m'accablait des horreurs de ta mort.

TIMOPHANE.

Va, dans ces vains objets dont tu crains le preftige; L'effroi qu'ils t'ont caufé feul me trouble & m'afflige; Tu dois le diffiper: trompé par fes terreurs, L'Amour fe fait des maux de fes propres erreurs ; Efpere mieux du fort, que ton cœur plus tranquille...

B

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